Comment peut-on enseigner aujourd’hui au collège ? En 80 minutes, le documentaire de Clara Bouffartigue, « Tempête sous un crâne », nous livre une réponse pleine d’entrain, en nous plongeant au vif d’une classe de 4ème du Collège Joséphine Baker, à Saint-Ouen, aux côtés des enseignantes de rançais et d’arts plastiques, Alice Henry et Isabelle Soubaigné, d’une CPE, Camille Michaux et de la Principale, Sylvie Carot. Le résultat, magistral, déjoue les pièges convenus du genre : ni misérabilisme ni angélisme, ni thèse sociologique ni stigmatisation identitaire, le film donne à voir l’invisible de la relation pédagogique, ce qui se passe dans l’acte d’enseigner et de transmettre, à travers le quotidien d’une équipe éducative comme une autre. Soutenu par le SNES-FSU, le film était présenté ce mardi 18 septembre, en avant-première, à l’Espace 1789 de Saint-Ouen, en présence de la réalisatrice, de la productrice Françoise Davisse et du secrétaire général du SNES, Roland Hubert, qui ont ensuite animé le débat avec la salle. Un film à voir dès sa sortie, le 24 octobre 2012.
Faire tenir la classe par le contenu du cours
Il s’en passe, des choses, dans la classe de 4ème C ! Intégrée avec finesse et discrétion, la caméra de Clara Bouffartigue suit les cours et les inter-cours comme si elle n’y était pas. On y voit surgir, après Monsieur Madeleine et sa tempête sub-crânienne, la Thénardier, Cosette avec son seau, Zola qui accuse, et aussi les glaïeuls en glaive de Rimbaud, au beau milieu des mille chamailleries, bruissements, ondulations et agacements d’élèves qui ont du mal à tenir en place et à se supporter. Alice Henry, l’enseignante, suit le fil de son propos avec une détermination et une patience inépuisables, attentive à reprendre les élèves dans le sens du cours et à les remettre en selle sans perdre la tension du propos, louvoyant avec virtuosité dans les degrés et les tons de la fermeté sans rudesse ni exaspération. Et la leçon, que l’on aurait pu croire condamnée à l’échec, s’accomplit malgré les turbulences ; et elle se prolonge dans des compositions écrites dont la qualité étonne le spectateur – mais pas la professeure, qui sait à juste titre ce qu’elle attend de ses élèves.
Faire de la lumière avec du noir ?
En cours d’Arts Plastiques, un peu plus détendus, les mêmes élèves sont confrontés aux défis impressionnants que leur propose Isabelle Soubaigné : représenter une forêt dans la nuit, à l’aide d’un stylo bille et d’une feuille blanche ; faire de la lumière avec des matériaux noirs, de la colle et du scotch ; reproduire, avec un morceau de fil de fer, un portrait qu’on vient de crayonner sur une feuille et que l’on fera jouer ensuite dans la lumière pour en photographier les ombres projetées. Après de longs moments de doute et de réticence, d’étonnantes réalisations font leur apparition – non sans chicanes sur le partage du matériel ou des idées. La professeure, à la fois présente et discrète, accroche les réalisations : suspension de poissons-bouteilles chatoyants, jeux d’ombres et de reflets pour les sculptures linéaires inspirées de Calder ; nul besoin de commentaires pour lire dans le soin qu’elle y met la valeur qui s’y joue.
L’humour, ressource salutaire
Dans le couloir, la CPE, Camille Michaux, régule les flots d’élèves en perpétuel mouvement, jusque dans le bureau de la Principale, où se tiennent d’hallucinants conciliabules, au sujet d’un élève onaniste (« c’est l’adolescence… » « Certes ! Mais… en cours!? ») ou pour rappeler à un élève difficile les dispositifs d’aide scolaire mis en place à son intention et dont il fait peu de cas. Avec un professionnalisme indéfectible, la CPE raisonne, gronde, réconforte, discute, vide les querelles, conjure les drames, entourée de tous les acteurs de la vie scolaire, dans un ballet jamais en repos. A la pause déjeuner, tout le monde se croise et échange trois mots entre deux bouchées sur la vie du collège. Avec un humour salutaire, les maux et les lassitudes se changent en anecdotes et le travail reprend.
Saisir en différé un travail qui se fait en direct
Un travail dont on voit, à travers les images fines et sans tricherie de Clara Bouffartigue, à quel point il est complexe et difficile en soi. C’est la grande force du documentaire de ne jamais jouer sur la corde de l’anecdote ou de la mise en scène : ni portrait d’élève ou d’adulte, ni récit orienté par une thèse, il donne à saisir en différé les moments significatifs d’un travail qui se réalise en direct. Le recul de la mise en forme et les choix du montage cisèlent une vision incroyablement juste de ce qu’est l’acte d’enseigner dans sa forme vive. On ne sait rien des protagonistes, on devine les efforts et les joies, on capte l’ombre d’un épuisement à travers le lapsus d’une prof, la détresse d’une jeune fille dans des bribes d’entretien, mais ce qui compte au fond, ce qui fait tenir la classe, c’est la dynamique d’apprendre et de progresser. Mieux qu’aucun discours théorique, le film agit en révélateur de ce qui fait le sens du métier.
« Ce n’est pas un film de propagande ! »
Un sens dont on peut espérer qu’il se révèle au plus large public, auquel il s’adresse autant qu’aux enseignants. « Ce n’est pas un film de propagande ! annonce Roland Hubert pour ouvrir le débat. Le SNES a choisi de le soutenir pour son authenticité parce qu’il nous a enthousiasmé.» C’est un film qui ouvre à la réflexion, ajoute-t-il, non pas pour juger les choix pédagogiques des enseignants (« notre métier est fait de choix constants ») mais pour réfléchir à ce qui se passe en classe quand on y apprend, malgré tout – ce qui se passe la plupart du temps et dans la plupart des classes.
Mais saura-t-on y reconnaître la qualité positive d’un enseignement in concreto, quand la période est plutôt au pessimisme et au mécontentement ? Une spectatrice se désole qu’on « étudie encore de vieux auteurs comme Hugo, Zola ou Rimbaud » en littérature… Une autre s’insurge qu’on entende davantage les enseignants que les élèves et que les méthodes de travail soient trop autoritaires. Un spectateur s’inquiète en toute bonne foi que l’on fasse travailler les arts plastiques avec « des moyens matériels si pauvres ». On s’avise alors que l’un des métiers les plus commentés, jugés, critiqués par le public est peut-être tout simplement l’un des moins bien connus dans sa complexe réalité, ses exigences, ses ambitions, ses conditions.
Le remarquable travail cinématographique de Clara Bouffartigue parviendra peut-être à inspirer un nouveau regard sur ce qui se passe en classe, peut-être parfois même à l’insu des protagonistes, tant le feu de l’action laisse peu de marge pour apprécier les effets. La réalisatrice voulait construire un regard « constructif et bienveillant » sur les métiers de l’enseignement, pas seulement destiné aux professeurs mais à tous les protagonistes, directs et indirects, de l’école : « un film politique, au sens noble » donc, en ce qu’il concerne tout le monde. On ne peut que souhaiter à ce beau documentaire, qu’il atteigne le plus large public.
Jeanne-Claire Fumet
Tempête sous un crâne, un film de Clara Bouffartigue. Production Luc Martin-Gousset et Françoise Davisse, société Point du Jour. Sortie en salle le 24 octobre 2012.