Un temps révolu mais tellement actuel !
Par Dino Herde
Une étude de la presse de quasi deux cents ans, quelle utilité aujourd’hui, à l’heure où la presse doit se renouveler constamment pour survivre, quel intérêt ? Balzac nous brosse ici un tableau criant d’actualité, surtout très drôle et extrêmement caustique.
Oui ! Il est possible de se détendre, cet été, en lisant une étude de la presse. Grâce à la réédition de « Journalistes » de Balzac chez « Le mot et le reste », on (re)découvre la presse parisienne du XIXe siècle, et toutes ses « variétés » de journalistes, suivant la classification pour le moins acerbe opérée par Balzac (on notera par exemple les groupes de « rienologue » ou « d’écrivain monobible »). Un portrait à l’acide qui en plus d’être drôle n’oublie pas de nous faire réfléchir sur l’organisation sociale de la presse d’hier et d’aujourd’hui, ainsi que sur l’avenir de celle-ci, notamment grâce aux axiomes que place régulièrement l’auteur, tels que « Moins on a d’idée, plus on s’élève », « Plus un homme politique est nul, meilleur il est pour devenir le Grand Lama d’un journal » et le définitif « Si la presse n’existait pas, il faudrait ne pas l’inventer ».
Cette réédition de 2012 remet au goût du jour de la plus belle des façons ce texte jouissif, agrémenté d’une préface de R. Sorin, d’une introduction de R. Meltz et de l’introduction originale par Gérard de Nerval.
Honoré de Balzac. Les journalistes, Monographie de la presse parisienne. Ed. Le mot et le reste, 2012.
Présentation sur le site de l’éditeur
http://atheles.org/lemotetlereste/attitudes/lesjournalistes/
2020 : de quoi parle-t-on quand on parle culture ?
Par Justine Margherin
Voilà un rapport qui analyse la complexité de la place de la culture dans une évolution du numérique et de la société. Une analyse systémique qui essaie de traduire la complexité de la révolution qu’apporte notamment le numérique dans l’accès à la culture. On y parle d’une quarantaine de chantiers à mettre en œuvre. «Au tournant du XXIe siècle, les principaux enjeux de la politique culturelle sont à l’intersection des patrimoines et de la création, à celle de la création et des industries culturelles et de communication et à celle des patrimoines et des industries culturelles et de communication. » (p. 29)
Déconcentration, territorialité, évolutions démographiques et sociales, nouvelles cultures, mondialisation, … tout sur tout pour savoir comment faire pour donner accès, favoriser, etc. On trouve trace d’éducation, de relation à l’École dans plusieurs chapitres. Devant la complexité du dossier, nous nous attarderons pour l’instant à une première partie. La suite viendra pour la rentrée.
Un nouveau rapport à la culture, un effet générationnel
Pour établir une stratégie ministérielle pour les dix années à venir, il faut bien partir sur des bases sûres, solides et savoir ce que l’on peut « offrir » à qui. Et il y a urgence semble-t-il à repenser la place de la culture dans notre société du 21ème siècle. Revoir le rôle de tous les acteurs est le pari, mais la première étape reste l’analyse des acteurs ; ce qui, vous en conviendrez, entre le numérique et la crise financière, relève d’une nouvelle grille de lecture. En effet, les grandes sociétés sont entrées dans la culture pour en devenir des acteurs majeurs de la diffusion via le numérique (nous pensons là par exemple à Google art Projet, mais aussi aux ebook par exemple). Devant toutes ces transformations et celles sociales du public, il est donc nécessaire de modifier les modes de gouvernance, de redéfinir une politique culturelle qui soit en adéquation avec le monde de 2012 et des années qui viennent.
En tout premier point le rapport souligne les modifications des pratiques culturelles. Si dans les établissements nous nous intéressons aux jeunes, le Ministère de la culture et de la communication pose un regard plus large. Une transformation des pratiques –pas spécifique à la France d’ailleurs- réalisée en peu de temps, profonde et marquée sur la pyramide des âges, impose de revoir les modes d’accès à la culture. « A partir de 2020, l’essentiel de ce basculement sera accompli, porté par de nouvelles générations que caractérisent de nouveaux rapports à la culture, aux loisirs, au plaisir, au savoir, etc ». C’est positif ou négatif ? On fait comment pour cultiver cette nouvelle génération qui définit elle-même, visiblement, une nouvelle culture ? Cette génération nouvelle qui associe culture à loisirs, ce qui est noté comme nouveau dans le rapport. Et ne risque-t-on pas avec la naissance de cette nouvelle génération et de sa relation à la culture nouvelle, de créer un fossé générationnel ? Comment porter la culture à tous et quelle culture.
Pour avoir noté -merci à l’École d’avoir joué son rôle dans ce jeu social- que de plus en plus de personnes accédaient à la culture et que les fréquentations des musées, du spectacle prenaient de l’importance, on remarque un passage d’une « culture légitime » ou « culture cultivée » à une « culture des écrans », qui prend le pas. Oui, certes. Mais la question va-t-elle être comment redonner accès à cette « culture légitime » ou-bien, comment développer cette « culture des écrans » ? Sans se préoccuper de cette question, le rapport, à juste titre, positionne l’action du ministère sur cette question : la politique culturelle est (relativement) absente (ou trop peu présente) de cette « culture des écrans ». C’est donc un des points de réflexion et d’action à mener.
Ici, ailleurs ; d’ici et d’ailleurs
Mondialisation. Le mot entre de plain pied dans le monde de la Culture. Il aurait tendance à le secouer un peu. Il y a le côté diversité culturelle et accès à des mondes culturels distants. La politique culturelle porte bien ses fruits : la France s’est ouverte à des cultures du monde (voir l’ouverture du Musée des Arts Premiers par exemple). Mondialisation et numérique. Là une relation sérieuse, lourde, conséquente est à analyser et surtout on attend des propositions politiques.
Côté moins positif : la révolution numérique a mis en avant plutôt une culture anglo-saxonne et japonaise que française. Aïe. Voilà une fragilité qui pourrait, lit-on, trouver une solution dans la dimension européenne. Car en effet, les sociétés des industries culturelles françaises sont fragiles. Cependant les grands établissements publics devraient avoir la force de relever le défi. On notera le majestueux effort de la BnF pour la numérisation et l’accès à son fonds, ou encore l’INA. Cependant pour aller plus loin, on ne peut s’arrêter à l’aide aux industries culturelles ou aux grands établissements publics pour qu’ils diffusent la culture française via le numérique. Notre pays, notre vieille Europe doit aussi évidemment revoir tout ce qui relève des droits, des réglementations, … Car cette dimension internationale se heurte aux droits. Vers quelle homogénéisation aller ?
Quelle politique mener pour la culture en France ? Comment la mener ?
L’économie de la culture ne peut être portée par l’état seulement. S’appuyer sur les collectivités territoriales est nécessaire, d’autant qu’il est souhaitable de permettre une proximité dans l’accès aux œuvres. Cette culture de proximité est souvent portée par des mouvements associatifs. Les acteurs privés sont de la partie évidemment. « La montée en puissance des industries culturelles […] est également une tendance aussi sinon plus forte ». Hors de question de parler culture sans parler économie. Avec une question aussi prégnante on comprend que l’effort de répartition des coûts compte. Est-ce à rendre marginale l’institution ? Il faudra y veiller et redéfinir clairement la place. Le ministère recentre son action sur l’élaboration de la stratégie sans perdre de vue le soutien à la création et la mission de conservation du patrimoine ou encore une mission de développement et régulation des industries culturelles et de communication, de transmission. La place prise / à prendre par les intermédiaires techniques, juridiques et économiques de la création et diffusion culturelle reste à définir. Mais à l’aube de 2020 on attend que l’institution énonce clairement ce que doit être la politique cultuelle en lien avec le numérique.
« Il ne s’agit pas d’une politique du numérique au ministère de la Culture et de la Communication. Il ne s’agit pas davantage d’une politique numérique culturelle, mais il s’agit d’une politique culturelle dans un renouvellement de contexte, marquée profondément par l’émergence de technologies culturelles universelles. […]. La prise en compte de l’ensemble de ces dimensions est nécessaire à la définition du caractère culturel des politiques relatives au numérique » (p.41)
Lire le rapport-Culture-Medias
Ministère de la Culture et de la Communication. Un ministère nouvelle génér@tion : cutlue & médias 2020. Mars 2012.
Consultable en ligne
http://www.culturecommunication.gouv.fr[…]Rapport-Culture-Medias-2020