Par Julie Anne
Le professeur documentaliste : Le nouveau défi de l’enseignement scolaire à l’ère du numérique, un livre écrit à six mains (celles de Françoise Leblond, Charles Moracchini et Brigitte Pierrat), qui confrontent leur vision et leurs réflexions tirées d’expériences de terrain pour tenter de cerner le métier en évolution qu’est le nôtre, dans toutes ses dimensions et ses implications. Déjà, le titre relie notre métier à «numérique » (ce qui est classique) et « enseignement scolaire » (ce qui peut l’être moins, étonnamment), sous l’angle d’attaque du « nouveau défi » que la communauté éducative se doit de relever. Si ce livre s’adresse, bien évidemment, aux premiers concernés (nous), il s’adresse aussi (et surtout) aux membres de la direction des établissements : on retrouvera en effet dans cet ouvrage nombre d’évidences pour nous, mais qui ne vont pas forcément de soi pour les autres. Et comme le dit l’expression, « ça va mieux en le disant » !
Dès le sommaire, l’ouvrage promet de balayer large (changements sociaux, place de l’enfant et de l’adolescent dans cette société en évolution, etc.) et loin (réflexions sur les sanctions disciplinaires), et d’enraciner le rôle et la place du prof doc au sein de l’Établissement et de sa politique éducative. Les titres sont très parlants (« Bibliothéconomie, classement, mise en ordre du réel et du virtuel ») ; d’autres beaucoup plus… inhabituels : « de quoi la discipline scolaire est-elle le nom dans une société post-moderne ? », « la condition d’outlaw du professeur-documentaliste », et même « le métier de professeur-documentaliste » (finalement le titre de chapitre le plus incongru !).
Tout au long de l’ouvrage, le professeur-documentaliste est présenté comme l’« accompagnateur » indispensable des nouvelles réformes (au risque parfois d’apparaître comme le détenteur d’une baguette magique). Les grands chantiers y sont passés en revue : numérisation, redocumentarisation, échec scolaire ou encore « peur d’apprendre » (p.80). L »évolution du C.D.I. vers un « centre multiservices » est donc de fait pensée comme mettant ressources et compétences à disposition de chacun selon ses besoins, dans une nouvelle conception du rôle de l’Éducation Nationale vers davantage d’apprentissage de (et en) l’autonomie par les élèves. Nous sommes donc désignés médiateurs entre des compétences éclatées par l’évolution des supports et le découpage disciplinaire scolaire, les formateurs d’hyperlecteurs, bref, les « médiaglateurs du XXIè siècle ».
À côté de certains poncifs décidément incontournables (le professeur-documentaliste « chef d’orchestre de la politique documentaire », p.92), quelques petites piques salutaires de revendication professionnelle émaillent l’ouvrage, revendication professionnelle que l’on retrouve dès l’introduction, p.15 : « le professeur-documentaliste a plus que jamais besoin d’une boussole pour orienter son action ». Et, avec beaucoup d’humour, les auteurs notent que « l’on ne manque pas de retrouver le C.D.I ça et là dans les textes officiels […] (il) est souvent situé au centre des usages, mais ce n’est pas le cas du professeur-documentaliste, sans doute caché sous la banque de prêt ». Sans être redondant, le fait que le rôle du professeur-documentaliste soit méconnu au sein de l’établissement est mis en exergue. Nous en devenons même le « super-veilleur bienveillant […] guide expert qui prépare à la célébration des mystères de comportements, des apprentissages et des valeurs» (p.35), rien de moins !
Un ouvrage très théorique donc, mais qui a la vertu de (re)poser les fondations de l’École d’aujourd’hui – et encore plus celle de demain. On en ressort plein de réflexions en suspens et de pistes à approfondir (les notes de bas de page sont plus que copieuses) : j’en retiendrai pour ma part un livre d’Amos Oz (Comment guérir un fanatique ?) et toute un chapitre sur l’aménagement de l’esprit comme « espace fictionnel » (p.82-83) depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours.
Finalement, on a surtout envie de faire suivre le livre aux collègues et à la hiérarchie. Parce qu’il ne cesse de répéter que l’établissement et la communauté qui le compose a besoin d’un professionnel de l’info. Parce qu’il n’est pas sûr qu’ils le lisent spontanément, même si ce livre leur est en partie adressé. Et parce que tous les propos et réflexions concernent, de fait, l’ensemble de la communauté éducative. Il serait donc dommage de les en priver !
Le professeur documentaliste : Le nouveau défi de l’enseignement scolaire à l’ère du numérique. Françoise Leblond, Charles Moracchini, Brigitte Pierrat, Éditions Berger-Levraul
39,60€. ISBN : 9782701317816
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