« Des mauvaises herbes des champs aux bonnes herbes des villes », le projet animé par Philippe Duffaut, formateur en aménagement paysager et en économie au centre de formation par apprentissage d’Agropolis à Montpellier offre un véritable voyage agronomique à travers l’histoire, les approches et les territoires. Dans des parcelles aménagées et cultivées par des apprentis, céréales et plantes messicoles se côtoient pour constituer une frise de la préhistoire à nos jours. L’objectif pédagogique est d’inviter les apprentis à réfléchir sur les pratiques, éveiller leur curiosité sur l’histoire et connaître les techniques favorables à la biodiversité. Le projet a été sélectionné pour le forum des enseignants innovantsorganisé par le Café Pédagogique et des associations d’enseignants qui se déroulera à Orléans les 1er et 2 juin prochains.
L’idée est née en 2007 dans le cadre d’un réseau informel autour du thème des plantes messicoles animé par l’Institut d’Education à l’agro-environnement de Florac, une structure dépendant de Supagro. Coquelicots, bleuets, camomille, nigelles, les plantes messicoles colorent les champs et méritent bien un réseau pour leur ôter l’épithète de « mauvaises herbes ». Enseignants, agriculteurs, gestionnaires de l’espace naturel, scientifiques, la biodiversité rassemblait au sein de ce réseau. Des stages pour les enseignants étaient organisés et l’équipe de Supagro Florac venait apporter son appui par une visite dans les établissements impliqués. Cet accompagnement est pour Philippe Duffaut un atout certain de l’enseignement agricole. Florac fait partie du SNA, système National d’Appui qui apporte son aide aux établissements dans des domaines aussi variés que l’innovation pédagogique, l’innovation scientifique ou encore l’élaboration des projets d’établissement. Sur son projet, Philippe Duffaut a reçu l’aide de « gens bienveillants », dans le réseau mais aussi dans la proximité géographique du CFA Agropolis.
Le CFA Agropolis fait partie de l’établissement d’enseignement agricole public de l’Herault, qui, comme tous les établissements de ce système éducatif particulier, a dans ses missions la contribution aux activités de développement, d’expérimentation et d’innovation agricoles. Le projet de Philippe Duffaut entre totalement dans cet axe. Il bénéficie de la proximité de l’Inra et du CIHEAM (Centre international des hautes études agronomiques méditerranéennes), deux éminents lieux de recherche scientifique en matière agronomique. « Dans un rayon de 1 km, il ya beaucoup de gens qui savent ». Une proximité scientifique bienveillante est effectivement un atout de taille. Car après avoir eu l’idée de constituer une frise historique pour retracer l’histoire des céréales du néolithique à nos jours, il a fallu trouver des graines. L’Inra de Mauguio, lui en a donné, le conservatoire de Clermont Ferrand aussi. Pour les plantes messicoles, la tâche était un peu plus compliquée puisqu’elles ne sont pas commercialisées. Le réseau informel a fourni des contacts avec le conservatoire botanique des Pyrénées Orientales ou avec l’archéo-botaniste L. Boubi.
Une fois les graines collectées, les apprentis en CAP horticulture entrent en action pour les élever, les faire pousser. Le résultat n’est parfois pas celui escompté avec des plantes qui ne correspondent pas à l’étiquette. Mais les avantages pédagogiques sont indéniables : tous les stades de croissance de la plante, une plante parfois méconnue, sont observés favorisant ainsi l’acquisition de compétences dans le domaine de la reconnaissance des végétaux. L’activité attise la curiosité des apprentis.
Pour les apprentis en aménagement paysager, l’approche est moins aisée. L’activité ne rentre pas dans un cadre académique : pour des futurs jardiniers faire pousser du blé et mettre des « mauvaises » herbes peut sembler incongru. L’idée est donc de leur confier la conception et l’aménagement de 12 carrés du type « potager du roi » avec des murets en pierre sèche. Chaque carré est ensuite attribué à une équipe d’apprentis en horticulture pour l’entretien et la plantation.
L’originalité du projet est aussi de mêler céréales et plantes messicoles et de refléter des préoccupations actuelles sur l’aménagement de l’espace et la biodiversité. Les prairies et jachères fleuries se multiplient dans les villes, une façon d’afficher sa contribution à la biodiversité. La Mairie de Montpellier avait ainsi développé des parcelles de ce type. Mais le constat est mitigé. Dans les mélanges vendus à prix plutôt onéreux, les graines ne sont guère adaptées au climat méditerranéen. On trouve dans ces mélanges un peu de tout et parfois du n’importe quoi, des éléments improductifs pour une réelle préservation de l’espace naturel. Avec des membres du réseau, Philippe Duffaut est allé dans le Larzac observer les variétés présentes, les mauvaises herbes des champs qui pourraient devenir des bonnes herbes des villes en zone méditerranéenne . Des botanistes en ont établi la liste dans laquelle le formateur a pu puiser pour rechercher des graines utilisées. Côté plantes messicoles, l’expérience possède donc un intérêt scientifique indéniable. Elle offre aussi aux apprentis une ouverture vers des pratiques émergentes en particulier dans les collectivités territoriales, une sensibilisation à une esthétique des jardins qui ne correspond pas aux canons académiques jusque là communément partagés.
« Des mauvaises herbes des champs aux bonnes herbes des villes » n’est pas uniquement un projet de botaniste, d’horticulteur ou de jardinier, il inclut un volet historique, animé par la formatrice en histoire et en éducation socio-culturelle (ESC). Les CAPA deuxième année sont aussi allés rencontrer un paysan boulanger qui remet au goût du jour avec succès le pain de Nimes, un pain fabriqué à base de Touzelle, une céréale fort prisée au Moyen Age. L’association Slowfood les accompagnait dans cette balade « alimentation et paysage » sur le thème de la diversité des cultures et des mets. Un partenariat se dessine avec l’ethnobotaniste Michel Valentin qui mène au Pont du Gard le projet « Mémoire des Garrigues » où les céréales sont fortement présentes. Le CFAA Agropolis fournirait de son côté son expérience et ses graines en matière messicole.
Cette année l’ouverture a aussi été pédagogique puisqu’un jeu a été conçu et utilisé pour favoriser la connaissance et la reconnaissance des plantes messicoles. Ouverture scientifique, ouverture territoriale, ouverture disciplinaire, la jonction entre les mauvaises herbes des champs et les bonnes herbes des villes n’en finit pas d’essaimer et de s’épanouir.
Monique Royer