Par Claude Lelièvre
Historien de l’éducation, Claude Lelièvre a aussi conseillé le parti socialiste pour son programme éducatif. Il déroule ici sa vision des premiers mois du nouveau ministre. Demain un autre regard sur les 180 premiers jours rue de Grenelle…
La première décision importante qui va devoir être prise dès la mi-mai en matière de politique éducative est le choix du futur ministre de l’Education nationale et l’étendue de son ‘’périmètre’’. Compte tenu du fonctionnement des institutions de la Cinquième République, cette décision est entre les mains du président de la République ( et dépend aussi quelque peu du jeu des ‘’chaises musicales’’ qui réserve souvent quelques surprises finales lors des attributions des différents ministères ).
Vers un ministère de l’éducation et de l’enseignement supérieur ?
Il serait cependant tout à fait raisonnable que le futur ministre de l’Education nationale soit Vincent Peillon puisqu’il a été le responsable ‘’éducation’’ dans l’équipe de campagne de François Hollande et qu’il s’est engagé déjà publiquement sur de nombreux points à ce sujet dans différents médias ou débats. Il a été par ailleurs en relation étroite avec un fort aréopage d’experts ( dont bon nombre auront certainement un rôle à jouer dans la conduite effective de la politique scolaire qui sera menée ), et il a déjà rencontré nombre d’organisations qui comptent dans le secteur de l’éducation. Ce ne serait pas très raisonnable de gaspiller tout cela alors que le temps presse.
Il serait aussi raisonnable que le périmètre d’action du futur ministre de l’Education nationale comprenne ( au moins ) le primaire, le secondaire et le supérieur. D’abord et surtout parce que cela serait de nature à faciliter la résolution d’un dossier particulièrement important et urgent, à savoir celui de la formation des personnels de l’éducation. Mais aussi parce que cela pourrait mieux inscrire la résolution du dossier du supérieur considéré par François Hollande et Vincent Peillon comme prioritaire ( à savoir la ‘’licence’’ ) dans la continuité avec les lycées.
Et les 60 000 postes ?
Viennent ensuite , dans l’ordre du ‘’calendrier’’, les décisions à prendre pour la rentrée scolaire de septembre 2002. On sait que l’essentiel, pour cette rentrée, a été déjà décidé sous la houlette de Nicolas Sarkozy et de Luc Chatel. Il ne peut donc être pris, dans l’urgence, que certaines mesures plus ou moins ‘’correctives’’ pour une rentrée qui s’avère d’ores et déjà difficile. Les politiques éducatives effectives ne relèvent pas de la magie, et on ne peut pas – comme par magie – mettre tout à coup devant les élèves des personnels qui n’ont pas été recrutés par concours et formés convenablement en raison de la politique de réductions des recrutements et de déficit de formation professionnelle menée par Sarkozy et Chatel.
Il est prévu qu’il y ait vers la mi-juillet une loi de finances rectificative, et différentes mesures d’urgence ‘’rectificatives’’ ont déjà été annoncées publiquement par François Hollande et/ou Vincent Peillon. En particulier le recrutement d’environ 4000 ‘’assistants d’éducation’’ ( contractuels, pris dans le cadre des « emplois d’avenir » déjà annoncés ), d’ « auxiliaires de vie scolaire »( pour scolariser les élèves handicapés ) et d’emplois spéciaux dit de ‘’sécurité’’ ( pour certains établissements ‘’sensibles’’ ) à statuts particuliers.
Il est également d’ores et déjà prévu ( pour « réamorcer la pompe » des concours de recrutements au niveau ‘’masters’’, avec la préoccupation d’aménager des aides pour les étudiants d’origines populaires intéressés par une carrière d’enseignant mais en difficulté pour entreprendre des études aussi longues ) d’utiliser dès la rentrée 2012 entre 20 000 à 30 000 des 150 000 « contrats d’avenir » annoncés par François Hollande durant sa campagne des présidentielles en ciblant particulièrement les académies déficitaires et les disciplines qui ont du mal à recruter ( tout en demandant en échange à ces étudiants quelques heures d’intervention dans des établissements scolaires, dans le secteur ‘’accompagnement ‘’ des élèves, en particulier ).
On le sait, le nombre de présents aux concours de recrutements des enseignants à dramatiquement chuté ces deux dernières années en raison de la politique de réduction des postes menée par le gouvernement et le ministère de l’Education nationale et de la façon dont ils ont conduit la politique de ‘’matérisation’’. Les effets sont là et bien là. Ils ne peuvent disparaître par un coup de baguette magique. Les postes « budgétaires » sont une chose. Mais les « postes » pouvant être occupés par un personnel effectif et bien formé en sont une autre. Il va falloir quelque temps pour rétablir la situation et s’y prendre le plus tôt possible en amont, en devant assumer des positions transitoires entre temps ( que ce soit pour les affectations ou pour la formation professionnelle des stagiaires ). Rien ne sera facile et vraiment stable.
« Refonder l’Ecole »
Mais les mesures ponctuelles urgentes à prendre ne sauraient faire oublier l’urgence de la « refondation de l’Ecole » à mener et à commencer au plus tôt. C’est d’ailleurs ce qui est d’ores et déjà prévu, en particulier pour son « épine dorsale » majeure, à savoir la « loi d’orientation et de programmation » qui doit être discutée à l’Assemblée nationale et au Sénat dès l’automne de cette année, et votée à la fin de l’année ou, au plus tard, en janvier 2013.
Des propositions ont déjà été faites ; des discussions ont déjà été menées avec des organisations représentatives. Cela doit se poursuivre tout l’été de façon plus intensive et plus formelle par des concertations approfondies à partir de projets gouvernementaux portant notamment sur la création des « Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation », la réforme des « rythmes scolaires » ( 4 jours et demi d’enseignement, la réduction de la ‘’journée de classe’’ dans le primaire, et peut-être de la durée des vacances ), la refondation des évaluations ( celles du système scolaire étant distinguée de celles des élèves ), le « socle commun de connaissance et de compétences » et les programmes de l’Ecole obligatoire à repenser en même temps que le « livret personnel de compétences » ( en déterminant en particulier quelle type d’instance – sans doute à créer – pourrait être en mesure de le faire ).
Compte tenu de l’importance de ce « rendez-vous », il ne saurait être question de le manquer, de quelque façon que ce soit. Il convient d’abord de prendre conscience du caractère inédit de l’entreprise. Il y a déjà eu des « lois d’orientation » ( comme celles de 1989 et de 2005 ). Il y déjà eu, parfois, des ‘’programmations’’ ( mais pas à proprement parler de « loi de programmation », du moins dans l’Education nationale ; et l’on peut mesurer par là le degré d’engagement pris en faveur de l’Ecole alors même que l’on subit une crise financière d’une acuité toute particulière ). Il n’y a donc jamais eu – a fortiori – de « loi d’orientation et de programmation » dans le secteur éducatif, pour le secteur éducatif. C’est vraiment historiquement inédit. Mais on peut dire aussi que c’est historiquement nécessaire si l’on veut « refonder l’Ecole », et non pas se contenter de ‘’rectifier’’ ce qui est jugé comme allant particulièrement mal, ou simplement ‘’réformer ‘’ à la ‘’petite semaine’’ et ‘’ à vue’’ ( ce qui a été dans le passé trop souvent le cas, et qui a ‘’désorienté’’ et ‘’lassé’’ – c’est le moins que l’on puisse dire – le plus grand nombre ).
« Refonder l’Ecole » , si l’on est à la hauteur de cette ambition, prendra nécessairement du temps : au moins cinq ans ( peut-être dix ans ) comme le montrent toutes les grandes transformations de l’Ecole ( à commencer celle initiée par Jules Ferry et les siens en leur temps ). Il faut donc, et le plus tôt possible, tracer des perspectives claires, afin que l’on puisse donner sens aux transformations successives qui devraient avoir lieu, bien identifier les étapes et les repères afin que chacun s’y retrouve ( ‘’orienter’’ et ‘’programmer’’, au moins pour les cinq premières années à venir ).
Bref, on ne devrait pas s’ennuyer. Mais cela ne va pas être un lit de ‘’pétales de roses’’ ( sans épines ) ou un long fleuve tranquille ( sans compter que l’on a passé sous silence bien d’autres sujets d’importance, et des sujets qui ‘’fâchent’’ ). On se demande bien pourquoi on voulait tellement gagner cette élection. Premier rendez-vous dans six mois qui devraient être sinon décisifs du moins très indicateurs quant aux possibilités effectives.
Claude Lelièvre
Voir aussi
Le désert des châteaux de sable