Le développement du web 2.0 a changé la donne. Sur les réseaux sociaux, les forums, les chats, les blogs, les élèves explorent au quotidien de nouvelles façons d’écrire, collectives, participatives, interactives. Qu’il s’agisse de Wikipedia, du site d’un quotidien d’informations ou de la « ligne de temps » de Twitter, la plupart des pages que nous parcourons sur internet ont été produites par des émetteurs variés. Dès lors, il paraît légitime d’explorer en classe de nouvelles façons de produire des textes, il semble même judicieux d’exploiter l’appétence des élèves à « écrire avec » pour développer chez eux de réelles compétences d’écriture, et même de lecture.
Cela suppose de bousculer nos représentations. Il convient de rappeler combien la sacralisation de l’auteur est située dans le temps et l’espace : en gros, du 17ème au 20ème siècle, en occident, comme l’ont démontré Alain Viala ou William Marx. Il faut aussi se souvenir que l’originalité n’est pas une valeur esthétique universelle : l’humaniste Montaigne, un des premiers à constituer la personne de l’écrivain comme objet littéraire, écrit des « Essais » polyphoniques où il cite, reprend, transforme, où il « butine » dans la culture antique pour « faire son miel » ; le plus grand des artistes, pour les classiques, c’est encore celui qui imite le mieux les Anciens. La glorification de l’écrivain comme génie et le culte de l’écriture dans sa singularité sont des constructions historiques : on peut les dépasser, en particulier à l’école, où la tâche du professeur de français n’est pas fondamentalement de former les Stéphane Mallarmé de demain…
Cela implique encore de transformer le statut de l’écriture en classe. L’écriture individuelle qui y est essentiellement pratiquée est d’ailleurs en réalité peu personnelle. De la prise de notes à la restitution sur copie des connaissances, l’école est le principal lieu du copier-coller. Le professeur de lettres enseigne le plus souvent la conformité avec des modèles rhétoriques, par exemple ceux du commentaire ou de la dissertation. Cette écriture individuelle est de surcroît individualiste. Les programmes et les usages laissent trop peu de place aux « ateliers d’écriture », seuls susceptibles d’entraîner les élèves par la pratique régulière à décrire, raconter, versifier, dialoguer, argumenter, pasticher, inventer … Comme on les fait composer essentiellement en fin de séquence dans le cadre d’une écriture d’évaluation, le but, c’est la note : l’école n’apprend guère à écrire de mieux en mieux, elle vise plutôt à faire écrire mieux que les autres.
Pourtant, l’écriture collective présente de nombreux intérêts. Elle appartient à cette culture numérique qui préexiste désormais à la culture scolaire et qui est susceptible d’entrer dans les classes pour l’innerver et la revitaliser. Tous les témoignages d’enseignants soulignent combien ces dispositifs stimulent le plaisir d’écrire, notamment parce que l’écriture « peer to peer » y acquiert un vrai destinataire, autre que le professeur, et donc un sens. La créativité qui s’y exerce suscite l’investissement de tous les élèves, y compris des plus faibles : ceux-ci se trouvent portés par une dynamique de classe qui repose sur la collaboration et non la concurrence, ils ne sont pas individuellement stigmatisés pour l’éventuelle maladresse de leurs propositions et se retrouvent même valorisés parce que participant pleinement à la réalisation d’un bel ouvrage. Dans le florilège d’exemples proposés dans ce dossier, qui vont de l’école primaire à Sciences Po en passant par des forums d’écrivains, on verra combien ces écrits collectifs sont aussi formateurs pour perfectionner son maniement de la langue, améliorer son style, s’approprier des connaissances littéraires comme les codes du roman policier, les enjeux spécifiques d’une fable de La Fontaine, les particularités d’écriture d’un poème d’Arthur Rimbaud ou d’Henri Michaux, la construction d’un personnage romanesque, le mouvement oulipien … Les échanges variés qui accompagnent ces travaux, en cours de réalisation pour justifier des choix et/ou en fin de production pour commenter les réalisations, sont de précieux moments de verbalisation, d’argumentation, de construction des savoirs. Relevant d’une pédagogie (à encourager) de l’intertextualité, ils permettent en particulier de développer l’intelligence de l’interstice : explorer ce qui est entre (entre mon texte et celui de mes camarades, entre mon texte et celui de l’écrivain dont éventuellement je m’inspire), c’est-à-dire parcourir l’espace où se déploient les ressemblances et les différences, où se perçoivent les modèles et s’affinent les écarts.
Les TICE évidemment simplifient de telles pratiques et élargissent les possibilités : il est plus facile de rassembler des écrits qui ont été directement édités sur traitement de textes ou des diaporamas qui mis bout à bout deviendront un livre numérique ; des outils spécifiques comme les wikis ou Google Docs, d’une prise en main facile, sont conçus pour l’écriture collaborative ; les réseaux sociaux comme Twitter peuvent susciter des projets originaux de « twittérature » pour orchestrer un concert de gazouillis… Soulignons d’ailleurs que l’écriture patchwork peut être aussi créative sur papier, comme le montrent les cadavres exquis surréalistes ou le projet « la grande lessive » de la plasticienne Joëlle Gonthier.
Apprendre à écrire avec, écrire avec pour apprendre : les défis sont à relever. Par les élèves et les enseignants. Par l’école en général, qui a tout intérêt à tisser du lien pour devenir à son tour un réseau social : un vivant espace d’échange et de créativité.
Quelques conseils techniques sur le site de Céline Dunoyer :
http://formation.dunoyer.free.fr/articles.php?lng=fr&pg=142