Par Frédérique Yvetot
La circulaire de rentrée est enfin parue et, cette année, un paragraphe va particulièrement intéresser les professeurs documentalistes : l’annexe 7. Et que dit cette annexe intitulée « Encourager la dynamique pédagogique et l’innovation » ? Elle explique, entre autres, que « dans le cadre d’expérimentations, les établissements peuvent réfléchir à la mise en œuvre de «centres de connaissances et de culture » (3C) ». Qu’est-ce donc que ce 3C ? Vite, on clique sur le lien qui nous redirige vers une page d’Éduscol…
Évolutions, omissions, imprécisions
Une évolution sans en être une…
Ainsi on ne parle plus de Learning centre mais de Centre de Connaissances et de Culture (3C, CCC, C3) : « des espaces de ressources à la fois au centre des établissements scolaires et intégrés à leur environnement local », « des projets éducatifs et pédagogiques à part entière », des lieux qui « font cohabiter le livre et le numérique», des lieux qui permettent de « décloisonner espaces et temps scolaires pour donner aux élèves plus d’autonomie » et leur permettre de collaborer entre eux ou encore des espaces « pour personnaliser l’accompagnement des élèves et développer de nouvelles pratiques pédagogiques adaptées à leur besoins ». Certes les CDI de France et de Navarre ne sont peut-être pas tous tels que le décrit Éduscol ; et si ces éléments ne sont pas déjà présents dans tous les CDI, c’est du moins dans le domaine du très possible, en tout cas du hautement souhaitable. C’est alors une bonne chose de dire, une bonne fois pour toutes, ce que les CDI doivent permettre ou ce vers quoi ils doivent tendre. Mais il n’y a aucune révolution dans ce qui est proposé et Eduscol parle d’évolution des CDI alors que c’est bien souvent ce qu’ils sont déjà.
Intégrer les nouvelles modalités d’accès à l’information
Le Centre de Connaissances et de Culture semble vouloir avant tout répondre aux changements de notre temps en intégrant davantage les nouvelles modalités d’accès à l’information. Notons la disparition du terme « information » dans le sigle… Le Rapport de la mission parlementaire de Jean-Michel Fourgous (2012), « Apprendre autrement à l’ère numérique », fait ce même constat de nécessaire évolution des CDI. « À l’heure où l’information est accessible à tous, les centres de documentation tels que nous les avons connus, n’ont plus lieu d’être. Il est nécessaire d’envisager de faire évoluer les CDI en Learning-Center, espace flexible permettant d’accéder à de nombreuses ressources et supports numériques » (p. 103). Les professeurs documentalistes n’ont évidemment pas attendu qu’un texte l’explique pour s’adapter à l’évolution des technologies, pour les faire rentrer dans le CDI et pour faire évoluer le lieu. Comment alors améliorer cet accès aux ressources numériques dans les meilleures conditions possible ? Le texte définit les 3C comme des projets qui « s’appuient sur les compétences du professeur-documentaliste », nous ne pouvons qu’en être ravis, mais il n’y a nulle précision supplémentaire des compétences en question. Le seul indice est que le 3C doit désormais « proposer une gamme de services étendus ». La vidéo sur le cas du futur Learning centre du lycée Émile-Mathis de Schiltigheim permet d’en apprendre un peu plus sur ces « services étendus », sans pour autant être réellement explicite. En effet, le professeur documentaliste de ce lycée explique que le futur Learning centre va permettre d’offrir « des services performants grâce aux outils mis à disposition », ce qui devrait avoir pour conséquence de développer « tout un service d’ingénierie éducative, c’est à dire que les personnels du learning centre vont faire le trait d’union entre les enseignements et la technologie ». Étrange manière de considérer le rôle des professeurs documentalistes, ceux-ci ne seraient que des aides à l’utilisation des machines ? Il est vrai que cela arrive parfois de prêter main forte aux enseignants ou élèves pour résoudre différents problèmes ou pour les aider dans leur utilisation des outils numériques mais ce rôle n’a jusqu’alors jamais été institué. Voilà qui est fait !
Donner accès à tous types de ressources
Le numérique et les évolutions qu’il entraîne sont largement abordés dans ce texte du site Éduscol, mais le livre et la lecture y sont totalement absents. La seule mention au livre se trouve dans cette nécessité de faire « cohabiter le livre et le numérique », ce qui, soit dit en passant, est une évidence pour bon nombre de professeurs documentalistes. Les CDI ne sont pas des temples de la lecture et les professeurs documentalistes ne gèrent pas que des ressources papier comme pourrait laisser le croire un passage du rapport Fourgous : « Jusqu’à aujourd’hui, les bibliothèques regroupaient des livres, objets difficilement accessibles au plus grand nombre. À l’heure où l’information, la connaissance, les progrès de la recherche sont accessibles à tous, de n’importe quel lieu, il est nécessaire de repenser ces lieux de savoirs. Ainsi,le CDI des établissements scolaires devrait être réinventé». Même avec les évolutions technologiques, avec les nouveaux modes d’accès à l’information ou avec le développement de la lecture numérique, le livre a toujours sa place au CDI. Il n’est pas moins important que le document numérique. Donner accès à ces livres et promouvoir la lecture sont d’autant plus importants que l’on sait que certains CDI d’établissement sont les seuls lieux de lecture fréquentés par les élèves. Ainsi donc, omettre de mentionner la place de la lecture dans les 3C alors que le terme « culture » fait son entrée dans le sigle est quelque peu dérangeant, tout comme l’est le fait de dire que le 3C propose «une approche centrée sur la maîtrise de la langue » sans accorder une ligne à la promotion de la lecture, ni même à la maîtrise de l’information.
Contribuer à la réussite des élèves
Les différents intervenants dans la vidéo nous le disent, l’objectif du Learning centre est de contribuer à la réussite de l’élève. Nous travaillons tous à cela mais il était certes bon de le rappeler. Tous les élèves n’ont pas les mêmes besoins, les mêmes ambitions, les mêmes difficultés, aussi le 3C devrait-il permettre de « décloisonner espaces et temps scolaires pour donner aux élèves plus d’autonomie » et leur permettre de collaborer entre eux. C’est «un lieu pour personnaliser l’accompagnement des élèves et développer de nouvelles pratiques pédagogiques adaptées à leur besoins ». En regardant la vidéo, il semble que l’accent soit essentiellement mis sur la « modularité des espaces » ou sur la «multiplicité des espaces de travail qui permet de scinder une classe en plusieurs groupes pour multiplier les différentes activités ». A aucun moment le professeur documentaliste n’est mentionné, il participe pourtant lui aussi à cette réussite de l’élève, de par ses compétences autres que techniques, et parce qu’il l’accompagne vers l’autonomie, vers un usage critique et raisonné de l’information où qu’elle soit, support physique, numérique, statique, mobile…. Il aurait été intéressant de voir développé le rôle du professeur documentaliste dans ces nouvelles pratiques pédagogiques et de voir défini sa place dans les équipes pédagogiques. Et pour ce qui est de l’aide et la formation apportées aux élèves, rien n’est identifié. Le lieu, ses ressources et ses outils ne suffisent pas à eux seuls pour induire de nouvelles pratiques et contribuer à la réussite des élèves. Oui il est nécessaire de proposer un accès à l’information numérique, de fournir les outils et le matériel dernier cri, mais il est aussi nécessaire d’éduquer les élèves à l’information, de les ouvrir aux cultures de l’information. Ce point n’est pas abordé dans le texte d’Éduscol, et pourtant il est incontournable. Sans cette éducation et sans précision sur sa mise en œuvre, le 3C (CDI, Learning centre ou quel que soit le nom qu’on lui donne) restera un texte et non un objectif au service des élèves .
Le problème de ce texte et de la vidéo qui l’accompagne est qu’ils décrivent un lieu, ses objectifs et ses atouts sans même aborder l’identité, le rôle et le statut des personnes qui l’auront en charge. Le professeur documentaliste de la vidéo parle de « la fusion de la vie scolaire et du CDI » qui permettrait de « créer un guichet unique vers lequel les usagers que ce soient des profs ou des élèves puissent se tourner ». Pourquoi est-il nécessaire de fusionner vie scolaire et CDI ? Quel est le bénéfice pour les élèves ? Rien n’est précisé. Il est certes important de repenser la place des CDI dans les établissements, de repenser la collaboration du professeur documentaliste avec la vie scolaire ou de repenser les pratiques pédagogiques, mais il est tout aussi important, et urgent, de définir la place du professeur documentaliste, ses missions et son statut, ainsi que ceux des CPE… quel que soit le lieu.
Orientations et instructions pour la préparation de la rentrée 2012
http://www.education.gouv.fr/pid25535/bullet[…]
Sur Eduscol, Les centres de connaissances et de culture
http://eduscol.education.fr/cid59679/les-centres-de-c[…]
Rapport J.M. Fourgous, « Apprendre autrement à l’ère numérique »
http://www.missionfourgous-tice.fr/missionfourgous2/dossi[…]