Ecole, collège et lycée du futur
Par Serge Pouts-Lajus, Education & Territoires
Depuis plusieurs années, la population scolaire française évolue peu en quantité. Pourtant, chaque année, des écoles, des collèges et des lycées nouveaux sont construits car les familles se déplacent. Il faut créer ici, fermer ailleurs. Les bâtiments anciens se dégradent, ils doivent être rénovés, restructurés, parfois détruits et reconstruits, au même endroit ou un peu plus loin.
Prospective obligatoire
S’il est un domaine où il est indispensable de se projeter dans l’avenir, c’est bien celui de la construction. On construit pour 50 ans, 100 ans, beaucoup plus peut-être. Au moment de dessiner le plan d’une école, l’architecte ne peut manquer de se poser cette question : le programme à partir duquel je travaille me dit comment fonctionne l’école d’aujourd’hui, mais comment fonctionnera-t-elle dans 10 ans, 20 ans, 100 ans ?… Comment les élèves apprendront-ils, sur quels supports, avec quelles méthodes, en compagnie de quels enseignants et comment les espaces de leur école devraient-ils être agencés pour répondre aux besoins d’alors ?
A qui de telles questions devraient-elles être adressées ? On pense bien sûr au premier responsable du système éducatif, l’Etat dans notre pays. Mais en France, depuis que la charge de la construction et de l’entretien des écoles a été confiée aux collectivités territoriales – aux communes pour les écoles par la loi Guizot en 1833, aux départements et aux régions pour les collèges et les lycées par la première loi de décentralisation en 1981 -, l’Education nationale leur a abandonné le terrain de l’action, mais également celui de la réflexion…
Blocages français
La contribution de l’Education nationale aux projets de construction scolaire se limite aujourd’hui au rappel des pratiques et des programmes d’enseignement du moment. Croit-on donc que le fonctionnement de l’école de demain sera semblable à ce qu’il est aujourd’hui et le restera durablement ? Probablement pas. Cette réponse par défaut est seulement le signe d’une absence de pensée prospective de la part de l’Etat.
Les collectivités territoriales s’y résignent. Elles exercent leurs responsabilités et leur réflexion sur ce qui reste et leur revient : les techniques de construction, la maîtrise des coûts, la conception des espaces de circulation, la façade. Les établissements scolaires construits récemment sont incontestablement plus beaux, plus clairs, plus résistants et mieux isolés que ceux d’autrefois. Sur ce plan, les progrès sont incontestables. Mais sur bien d’autres aspects, rien n’a changé : des classes de même taille, des laboratoires de science, des ateliers, un centre de documentation, des bureaux pour l’administration et la vie scolaire, des couloirs pour y accéder, un hall d’accueil. De ce point de vue, la situation française est exceptionnelle. Elle s’explique par le très faible niveau de concertation entre l’Etat et les collectivités territoriales dans le domaine scolaire et par les multiples blocages auxquels l’absence de concertation conduit.
L’actualité récente nous en fournit un bel exemple. Le gouvernement, nous dit-on, envisage d’augmenter le temps de présence des professeurs du secondaire dans les collèges et les lycées. Il suggère, pour accompagner sa proposition, que des bureaux, individuels ou pour des petits groupes, soient aménagés dans chaque établissement à l’intention des professeurs. Mais celui qui fait cette proposition n’en assumera pas les conséquences pratiques. Ce n’est pas lui qui devra trouver les surfaces et financer les travaux. Que penseront les collectivités territoriales de ce projet ? Qu’on se moque d’elles. Et quand bien même elles trouveraient l’idée intéressante, elles songeront avec tristesse au collège ou au lycée dont la construction s’achève et dans lequel aucun bureau d’enseignant n’a été prévu parce que personne ne le leur a demandé… Ou peut-être à un collège ou à un lycée futur dans lequel il faudra fermer les bureaux des professeurs parce que le gouvernement d’alors aura décidé de réduire le temps de présence des enseignants dans l’établissement…
Un autre exemple. Faut-il des salles informatiques dans les écoles, les collèges et les lycées d’enseignement général ? Ces équipements sont critiqués depuis longtemps mais là où ils existent, ils sont souvent très utilisés. Qu’en pense l’Education nationale ? Rien. Ce n’est pas son problème… Les décisions, puisqu’il faut bien en prendre, sont donc élaborées localement, mais nul ne sait comment. On construit aujourd’hui des collèges sans salle informatique parce que le département a fait le choix du Wifi et des portables, et d’autres, avec plusieurs salles informatiques parce qu’un « expert » du rectorat a estimé qu’une salle informatique pour 600 élèves, à notre époque, ce n’est pas assez.
Le projet des usagers
Puisque la France semble quelque peu paralysée, regardons ailleurs. Par exemple en Angleterre ou en 2007, les responsables du Walker Technology College de Londres choisirent de confier la conception de leur nouvelle école à ses usagers, aux enseignants et aux élèves eux-mêmes. Ce long processus créatif, encadré par des professionnels du design des services, aboutit à un document réjouissant, intitulé « Dear architect » (a vision of our future school), dans lequel les élèves, les enseignants et l’équipe de direction définissent eux-mêmes le programme et ce qu’ils attendent de leur nouveau collège.
La démarche consistant à associer les usagers d’un bâtiment à sa conception n’est pas nouvelle. Mais dans le cas du collège Walker, le sérieux et l’application avec lesquels l’opération a été conduite impressionnent. Des initiatives semblables existent en France mais elles sont rares. Il faut signaler ici le bel exemple du lycée de Revin, en cours de construction dont la réalisation a été confiée par la région Champagne-Ardennes à un architecte britannique, Duncan Lewis, qui a réussi à inscrire le bâtiment avec beaucoup d’élégance dans son environnement naturel.
Au démarrage des travaux, le conseil régional a sollicité La 27e Région, « laboratoire de transformation publique des régions de France », pour conduire une résidence destinée à associer l’ensemble de la communauté éducative à la conception de l’aménagement intérieur du futur lycée. Les résultats de cette résidence ont été réunis dans un document de synthèse de très grande qualité qui fait parfaitement écho à celui du Walker Technology College.
La portée de la démarche de conception participative évoquée à travers ces exemples n’est cependant pas la même dans les deux cas. Le Walker Technology College est un établissement privé dont les propriétaires et le personnel s’engagent en tant que tels dans le projet. Leur capacité à maintenir une identité forte à leur établissement dans la durée est soutenue par une tradition culturelle ancienne. Elle donne toute sa légitimité à la démarche de conception participative et lui permet d’être efficace.
En France, la tradition républicaine fait de l’établissement scolaire un lieu de passage dont le seul propriétaire est le peuple français et dont les usagers ne le sont qu’à titre provisoire. L’équipe de direction, les élèves et les enseignants qui se sont engagés dans la résidence de mars 2009 à Revin ne seront pas, pour l’immense majorité d’entre eux, les usagers du bâtiment qui sera livré. La structure nationale de notre système éducatif et la place que notre tradition culturelle lui assigne limitent de fait la portée des initiatives locales. Ou, pour être plus précis, les initiatives locales en matière de construction scolaire ont besoin, pour être légitimes et efficaces, d’un fondement commun que l’on peut bien sûr qualifier d’idéologique ou de politique, mais qui est avant tout un imaginaire commun.
Ce constat nous renvoie à la question de la prospective. Quel est notre imaginaire de l’école du futur ? Pour aborder cette question, un détour par l’étranger, à nouveau, nous aidera. Les trois images ci-dessous montrent trois établissements scolaires, construits récemment, l’un à Orestad au Danemark, l’autre à Maidstone au Royaume-Uni, le troisième à Stockholm en Suède.
Collège d’Orestad au Danemark
New Line Learning Academy, Maidstone, Kent, UK
Ecole Vittra-Telepfonplan à Stockholm en Suède
Un rapide examen des trois images suffit à repérer quelques traits communs. Deux principalement. L’ouverture d’abord : l’école du futur est une école sans mur, on y circule librement. Une absence ensuite : le regard des élèves n’est pas polarisé vers une position particulière occupée par un enseignant. L’école du futur n’est sans doute pas une école sans professeurs mais elle est certainement une école sans place assignée aux enseignants. On peine d’ailleurs sur les photos à en repérer un seul. Ils sont parmi les élèves. La dissymétrie des places occupées par l’enseignant et par les élèves qui caractérise les espaces scolaires traditionnels est ici abolie. D’autres photos montreraient certainement un troisième trait marquant : l’omniprésence de l’informatique. Mais celui-ci est certainement moins caractéristique que les deux précédents.
Ces traits communs dissimulent des différences que seule une investigation spécifique permettrait d’identifier et d’analyser. Les arrière-plans culturels au Danemark, au Royaume Uni et en Suède étant différents, les visions qui ont inspiré ces projets le sont également. De ce point de vue, la similitude des images, signe peut-être d’une sorte de mode architecturale, est certainement trompeuse.
Est-ce cela qu’il nous faut ?
Partout où elles sont montrées, ces images suscitent admiration et envie. On aimerait être élève dans de telles écoles ! Qui n’aurait du plaisir à y demeurer et à y apprendre ? Quant au plaisir d’y enseigner, c’est peut-être moins évident… Mais peu importe, le plaisir des élèves devrait rejaillir sur leurs professeurs : rien ne satisfait davantage un enseignant qu’un élève qui prend plaisir à apprendre.
On peut continuer d’admirer ces écoles ou choisir de les critiquer. On peut y envoyer des délégations ministérielles à la recherche d’idées, d’exemples de « bonnes pratiques », d’une inspiration qui nous fait défaut. On peut croire que ces écoles du futur pourraient être aussi les nôtres. C’est bien sûr une illusion. L’imaginaire n’est pas un produit d’importation.
Notre pays est aujourd’hui structurellement incapable de développer un imaginaire commun sur l’avenir de son école en raison de l’absurde répartition des responsabilités entre l’Etat et les collectivités territoriales, entre celui qui devrait contribuer à la conception mais ne le fait pas et ceux qui doivent construire et le font car ils n’ont pas d’autre choix. L’inachèvement de notre décentralisation nous condamne au sur-place et à l’impuissance.
Une décision politique simple pourrait contribuer à nous sortir de l’ornière : créer une instance de concertation entre l’Etat et les collectivités, la charger de produire une représentation commune de l’avenir de nos écoles, de nos collèges et de nos lycées, d’imaginer s’il le faut d’autres établissements scolaires qui porteraient d’autres noms, rédiger une lettre semblable à celle des élèves du Walker Technology College, signée par tous les partenaires publics et qui commencerait par ces mots : chers architectes, voici notre vision…
Serge Pouts-Lajus
Liens
Le projet de rénovation du Walker Technology College
La 27e région
La résidence du lycée Jean Moulin de Revin
http://www.slideshare.net/27eregion/revin-vers-un-campus-ouvert
Apprendre avec l’architecture
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/laclasse/[…]