Par François Jarraud
Les politiques ont-ils tout dit sur leur projet d’école ? Les partenaires de l’Appel de Bobigny ont fait le pari, vendredi 23 mars, de les soumettre aux questions des experts. Les représentants de F. Hollande, E. Joly, JL Mélenchon et F Bayrou ont joué le jeu.
Lancé en 2010, l’appel de Bobigny est reconnu aujourd’hui comme un texte unique par la diversité de ses signataires. En effet, il réunit une centaine de maires et présidents de collectivités locales, des syndicats (Fsu, Cfdt, Cgt, Unsa), des mouvements pédagogiques, des associations de lycéens et d’étudiants. Un rassemblement tout à fait unique. Malgré cette diversité et la recherche du consensus, l’appel a abouti à des exigences pour l’Ecole. C’est pourquoi son président, Yves Fournel, rappelle l’urgence à ce que les politiques s’emparent de ce texte. Il déplore « le mépris de Nicolas Sarkozy », seul candidat à ne pas avoir répondu à l’invitation de ce 23 mars. La soirée s’organise en deux temps : le moment des experts qui leur permet de poser des interrogations auxquelles les politiques présents répondent.
Les questions des experts
La dimension historique de l’appel est soulignée par Claude Lelièvre, historien de l’Ecole, qui y voit « un texte sans précédent » marqué par la volonté de sortir des controverses pour dégager de l’unité. Ses interrogations portent sur l’organisation de l’Ecole. « Quand cessera-t-on de compter sur le haut du plafond pour relever le plancher ?», demande-t-il. Il demande aussi aux politiques s’ils envisagent de toucher à la journée de 6 heures de cours. « Le faire c’est faire intervenir les autres acteurs dans l’Ecole ».
Xavier Nau, professeur de philosophie et auteur d’un rapport signalé pour le Conseil économique, social et environnemental , interroge les politiques sur l’égalité. « Quand aurai-je dans ma classe des élèves de tous les milieux sociaux avides de comprendre leurs différences ? Quand comprendra-t-on que ce métier (d’enseignant) s’apprend ? »
C’est Jacqueline Costa-Lascoux, sociologue, membre du HCI et ancienne présidente de la Ligue de l’enseignement, qui commence à mettre les pieds dans le plat. Elle interpelle les politiques sur les déviances communautaristes dans certaines collectivités locales et sur « l’instrumentalisation » des parents contre le service public d’éducation. Elle cite en exemple les efforts de la région Ile-de-France pour la parité.
« Donne-t-on vraiment la même chose à tout le monde ? »
Mais c’est Nathalie Mons, maître de conférences en sociologie à l’université de Paris-Est et expert auprès de l’OCDE, qui prend à partie les politiques. Rappelant le travail de « déconstruction » de l’Ecole poursuivi sous N Sarkozy, qui a « détruit une certaine forme de mixité sociale » comme le montre ses travaux sur la carte scolaire, elle affirme sa méfiance envers une nouvelle dérégulation. « Dans un pays centralisé comme la France, je me méfie d’une décentralisation dérégulée », explique-t-elle.
Elle attaque les politiques avec deux questions précises. Sur l’égalité entre établissements d’abord. « L’offre scolaire est devenue caricaturale », souligne-t-elle, avec des établissements attractifs qui offrent une grande variété d’options (langues, théâtre etc.) et des établissements repoussoirs au choix restreint. « Quand aura-t-on une offre aussi riche pour les élèves en difficulté susceptibles de décrocher ? », demande-t-elle. Au niveau des établissements, elle rappelle comment se constituent des effets de filière. « Donne-t-on vraiment la même chose à tout le monde ? ». Surement pas ! Elle intervient ensuite sur le collège unique. Evoquant le refus à gauche de réformer le collège unique, elle parle de « non assistance à collège en danger ». Alors que l’UMP a mis sa suppression au programme, « quelles sont les propositions concrètes sur le collège des autres partis ? » demande-t-elle.
Les réponses des politiques
Pour François Cocq, secrétaire national à l’éducation du Parti de gauche et représentant Jean-Luc Mélenchon, « l’école de l’égalité ne peut exister dans un océan capitaliste ». Il dénonce le « socle minimaliste pour la glèbe et les savoirs pour les autres ».
Représentant de François Bayrou, Sylvain Canet, responsable de la commission éducation du Modem, était à la peine pour défendre le programme de son candidat. Certes il a « une impression positive sur l’appel de Bobigny ». Mais comment défendre des mesures d’égalité sans remettre en question le strict maintien des postes existants ?
« Il faut réparer les blessures faites à l’Ecole par Nicolas Sarkozy », affirme Yannick Trigance, responsable des questions d’éducation dans l’équipe de campagne du PS. Opposé aux atteintes contre le collège unique, il affirme que celui-ci ne peut être « un collège uniforme ». F Hollande s’est engagé sur une loi de programmation et d’orientation, qui sera définie en concertation avec les acteurs de l’Ecole. « Cette loi sera aussi un moyen de donner un sens à l’Ecole ». Pour lui, il y a une « dette éducative de la France ». « Le redressement de la France passe par l’investissement dans l’éducation ».
Pour un nouveau collège unique
Expert devenu politique, Philippe Meirieu représente Eva Joly et ses réponses sont attendues. Pour lui il faut une loi de « restructuration » de l’Ecole construite sur 5 priorités. La première « un service public de la petite enfance » pour répondre avec équité aux attentes des parents. Il revendique « une école fondamentale » regroupant école et collège « sans sélection ». Le troisième vœu se porte sur les jeunes sans qualification à qui il faut offrir une « allocation de formation ». La réforme de la formation des enseignants est le 4ème point. Il rejoint F. Cocq sur le dernier point : il faut « une cohérence sociétale » autour de la transformation de l’école. Peut-on par exemple continuer à entretenir « un capitalisme pulsionnel » qui pousse les enfants à la satisfaction immédiate à travers des publicités télévisées et cultiver l’effort scolaire ? Il lui revient d’apporter une réponse aux interrogations sur le collège unique. Il propose un collège organisé en modules regroupant une dizaine d’enseignants stables auxquels seraient confiés 120 élèves. Cette fois-ci, le politique est descendu au niveau de la classe. C’est l’effet de l’appel de Bobigny.
François Jarraud
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