Par Guillaume Hamon
« Que les évaluations nationales de français et mathématiques portent bien sur les items du socle commun et non sur les programmes de CM2. Que les items des compétences soient intelligibles et compréhensibles par tous ». Professeur des écoles, Guillaume Hamon analyse le socle commun, les programmes de 2008 et les fameuses évaluations nationales. Il montre à quel point cette juxtaposition crée de la confusion. « Est-ce qu’il faut maîtriser toutes les compétences des programmes 2008 pour valider le socle commun ? Si c’est le cas, on constatera malheureusement, en dépit des efforts et de la bonne volonté des enseignants, que tous les élèves ne maîtriseront pas toutes les compétences des programmes 2008 et ne pourront ainsi obtenir le palier 2 du socle commun ». Et il propose une clarification.
Dans le dernier rapport du Haut Conseil de l’Education de décembre 2011, il est indiqué que « les personnels sont souvent demandeurs d’un “mode d’emploi du socle”, d’outils d’ordre pédagogique, cohérents avec les grilles de références, conçus, ou du moins diffusés, au niveau national, pour les aider à faire maîtriser le socle commun par tous les élèves ». Ces grilles de référence, publiées en janvier 2011, nous sont effectivement utiles pour valider les items du Livret Personnel de Compétences et répondent à notre besoin d’articuler socle et programmes, ce qui faisait défaut à la réforme des programmes 2008.
Si je prends l’exemple d’une des compétences du palier 2 – Maîtrise de la langue française « Distinguer les mots selon leur nature », la grille de référence nous propose pour valider cette compétence de : Distinguer selon leur nature les mots des classes déjà connues, ainsi que les pronoms possessifs, démonstratifs, interrogatifs et relatifs, les mots de liaison (conjonctions de coordination, adverbes ou locutions adverbiales exprimant le temps, le lieu, la cause et la conséquence), les prépositions (lieu, temps). Cette compétence est précisément une des compétences CM2 des programmes 2008. S’il s’agit de reconnaître un nom, un adjectif, un déterminant, un verbe…ce qui a déjà été travaillé par mes collègues de cycle 3, il semble évident d’attester de la maîtrise de cette compétence en fin de CM2. En revanche, demander aux élèves de maîtriser également les pronoms possessifs, démonstratifs, interrogatifs et relatifs, les mots de liaison (conjonctions de coordination, adverbes ou locutions adverbiales exprimant le temps, le lieu, la cause et la conséquence), les prépositions (lieu, temps) qui relèvent du programme CM2 me semble un objectif trop élevé pour que chaque élève puisse maîtriser toutes ces natures grammaticales sur une année scolaire. Ou bien alors, il faut commencer plutôt dès le CE2.
Je prends un autre exemple qui porte sur deux des compétences d’orthographe. En lisant les rubriques « explicitations des items » et « indications pour l’ évaluation » données par les grilles de référence (palier 2), sont mentionnées des compétences CM2 des programmes 2008 :
L’enseignant doit en déduire que les élèves doivent maîtriser les règles d’orthographe et de grammaire non seulement celles de CE2 et de CM1 mais aussi celles de CM2 pour valider ces deux compétences. Et si l’on regarde toutes les explicitations des items de français et mathématiques du socle commun, on constate qu’elles reprennent très souvent les compétences des programmes CM2. Pour la future application numérique du Livret Personnel de Compétences (LPC) pour le primaire, je crains qu’elle poursuive également cette même logique. Le site internet du CRDP de Poitiers propose un outil de validation du LPC en démonstration sur ce lien : https://www.cerise-prim.fr/versiondemo/. On constate là aussi, que la validation des items est conditionnée à l’acquisition des notions de grammaire et d’orthographe étudiées en CM2.
Concrètement, cela signifie que la validation des items des compétences du socle commun, pour ce qui est du français et des mathématiques, est conditionnée à l’acquisition des apprentissages de CM2 indiqués par les programmes 2008. Il faut donc appliquer pleinement les programmes 2008 pour atteindre le socle commun. Autrement dit, les programmes 2008 ne sont que la déclinaison des compétences du socle commun, le socle et les programmes ne faisant qu’un.
Or, dans le décret du 11 juillet 2006, il est énoncé très clairement « que l’enseignement obligatoire ne se réduit pas au socle commun. […] que « le socle ne se substitue pas aux programmes de l’école et du collège, il n’en est pas non plus le condensé ». Dans son dernier rapport de décembre 2011, le Haut Conseil de l’Education réaffirme que « le socle, […] n’est pas le tout de l’enseignement. »
Comment comprendre dès lors la logique du socle commun ? Quelle est sa finalité ? Est-ce qu’il faut maîtriser toutes les compétences des programmes 2008 pour valider le socle commun ? Si c’est le cas, on constatera malheureusement, en dépit des efforts et de la bonne volonté des enseignants, que tous les élèves ne maîtriseront pas toutes les compétences des programmes 2008 et ne pourront ainsi obtenir le palier 2 du socle commun. Je crois qu’il y a là une interprétation erronée de la loi du socle commun. Il me semble que la volonté initiale du législateur est d’emmener les élèves à un niveau de compétences atteignable par tous. Cela veut dire que le socle doit être suffisamment accessible, pour que chaque élève le réussisse et suffisamment exigeant, pour que les élèves apprennent et fassent des efforts pour atteindre le niveau attendu à chaque palier. Ce niveau attendu est l’acquisition de compétences indispensables à chaque étape de la scolarité obligatoire pour réussir à s’insérer dans la vie sociale et professionnelle.
Il ne s’agit pas de nier que les compétences des programmes 2008 doivent contribuer à la validation des compétences du socle commun ; mais à mon sens, c’est faire une erreur que de vouloir confondre ce qui est à enseigner et ce qui est à maîtriser par l’élève. Même si l’enseignant fait de son mieux, il ne peut être assuré que ses élèves maîtrisent tout ce qu’il enseigne et évalue. Pour arriver à un niveau de maîtrise, il faut de l’entraînement, avoir vu la notion sur plusieurs années pour que l’ élève ait un degré de maîtrise suffisant. Or, on lui demande de maîtriser des notions d’orthographe et de grammaire (exemples : les pronoms possessifs…) qu’il a eu le temps d’étudier uniquement sur une année. Cela n’est pas suffisant pour que les enfants intègrent ces nouvelles notions. Dès lors comment comprendre que les grilles de référence nous recommandent la maîtrise des règles d’orthographe de CM2 pour valider en fin de CM2 ces deux compétences générales que sont la maîtrise de l’orthographe grammaticale et lexicale ? Pourquoi, ne pas vouloir privilégier des notions clés d’orthographe et de grammaire, enseignées depuis la 1ère année de cycle 3, révisées sur les trois années du cycle, et dont on sait que la maîtrise est possible par tous les élèves.
De plus, le Haut Conseil de l’Education mentionne le fait que « quelques exigences des paliers intermédiaires de l’actuel livret personnel de compétences peuvent paraître très ambitieuses et pourront être revues ». Le HCE prend l’exemple des « trois domaines “Étude de la langue : vocabulaire”, “Étude de la langue : grammaire”, “Étude de la langue : orthographe” qui n’apparaissent plus au palier 3, ce qui signifie que, à la fin de l’école primaire, tous les élèves doivent par exemple maîtriser l’orthographe lexicale et l’orthographe grammaticale, savoir entre autres systématiquement “[é]crire sans erreur les homophones grammaticaux déjà étudiés, ainsi que on/on n’, d’on/dont/donc, quel(s)/quelle(s)/qu’elle(s), sans/s’en”, apprentissage qui demande certainement à être approfondi au collège. » Je confirme qu’il est effectivement difficile pour des enseignants de cycle 3 de valider la maîtrise de l’orthographe alors qu’on sait pertinemment que les élèves de CM2 n’ont pas encore acquis cette capacité cognitive. Si beaucoup d’élèves savent appliquer les règles concernant les homophones dans des situations d’exercices, il y en a beaucoup moins à les maîtriser dans leur production d’écrit car l’élève est d’abord concentré sur sa tâche d’écriture. Il faut au moins le temps du collège pour arriver à une certaine maîtrise lexicale et grammaticale. A ce propos, je voudrai mentionner le projet Voltaire qui a une approche innovante sur le processus de validation de la maîtrise de l’orthographe. (cf. plus bas).
A vrai dire, si la validation des paliers du socle commun pose question, c’est parce qu’on peut mettre en doute la légitimité des critères donnés par les grilles de référence pour valider les compétences. Outre les deux exemples en grammaire et en orthographe, je vais en aborder un autre qui traduit cette déficience. Dans la compétence 3 « Les principaux éléments de mathématiques » palier 2, la compétence « Ajouter 2 fractions décimales ou 2 fractions simples de même dénominateur », étudiée uniquement en CM2 dans les programmes 2008, figure explicitement dans le LPC au même titre que « Ecrire, nommer ; comparer et utiliser les nombres entiers, les nombres décimaux (jusqu’au centième) et quelques fractions simples ». Cette dernière est une compétence dont la maîtrise sollicite plusieurs compétences des programmes 2008 (les nombres entiers, les fractions simples et décimales, les nombres décimaux) et requière un travail sur les trois années du cycle 3. Pourquoi mettre sur le même pied d’égalité deux compétences, une complexe et essentielle et l’autre simple et accessoire ? En quoi, la compétence « Ajouter 2 fractions décimales ou 2 fractions simples de même dénominateur » est-elle si indispensable en fin de CM2 pour qu’elle figure explicitement dans la validation des items de la compétence 3 ? Quand je valide de tels items dans les Livrets Personnels de Compétences de mes élèves, j’ai l’impression de valider non pas des compétences du socle commun mais bien celles de CM2 des programmes 2008.
Je le redis. Tout cela porte à confusion. Lorsqu’on constate ces incohérences, on est en droit de se poser ces questions : est-ce que ces items sont appropriés ? Evaluent-ils vraiment bien des compétences indispensables ? Reposent-ils sur des éléments probants, empiriques, qui permettent de déterminer un seuil de compétences ? A l’heure actuelle, nous n’avons aucune information là-dessus.
A cette confusion socle et programme induite par les grilles de référence, s’ajoute celle des évaluations nationales de français et mathématiques. Prenons l’exemple en vocabulaire en comparant les items des évaluations nationales et les items du socle commun :
Doit-on considérer que ces deux items des évaluations nationales, qui reprennent deux compétences du programme CM2, soient deux critères suffisamment fiables pour évaluer ces items de vocabulaire du palier 2 de la maîtrise de la langue française ?
De plus, certains items de français sont omis par les évaluations nationales alors qu’ils seraient facilement évaluables. Exemple : Répondre à une question par une phrase complète à l’écrit (Ecrire – Maîtrise de la langue française – palier 2).
Enfin, on constate que certains items des évaluations nationales ne correspondent pas aux items du socle commun censés y être évalués. Exemple en Géométrie :
Ces évaluations nationales de français et mathématiques ne nous facilitent pas la tâche pour valider efficacement le palier 2 des compétences Maîtrise de la langue française et Principaux Eléments de Mathématiques.
Dernièrement, le Haut Conseil de l’Education a constaté qu’il est difficile de susciter l’adhésion des parents sur le LPC. J’ajouterai aussi que celle des enseignants reste à faire car le choix des items et de leur validation ne donne pas encore pleine satisfaction. Aussi, si l’on veut persuader les parents et les élèves de la pertinence de ce outil, il faut également que les compétences et les items soient lisibles et intelligibles par tous. Malgré nos efforts d’explicitation, les parents, nous font comprendre que le LPC est un document très exhaustif et peu accessible. Certains intitulés relèvent davantage du jargon professionnel que des items pour le grand public. Je prends un exemple : la lecture de l’heure dans la compétence 3 « Les principaux éléments de mathématiques » palier 2. Cette compétence figure implicitement dans « Utiliser des instruments de mesure » alors qu’il serait beaucoup plus compréhensible qu’elle figure explicitement dans le LPC sous la forme « Lire l’heure ». Ces items devraient être intelligibles par tous, en premier lieu les élèves, les premiers concernés pour s’approprier les compétences. C’est l’une des avancées des programmes 2008 qui ont fait cet effort de lisibilité par rapport aux programmes 2002 et dont le LPC pourrait s’inspirer.
Si j’ai pris l’initiative de vous écrire, c’est donc pour vous souligner à quel point la mise en oeuvre du socle commun entretient une véritable confusion dans les esprits et qu’elle s’éloigne de l’objectif initial, à savoir l’assurance de la maîtrise d’un socle des indispensables à la fin de la scolarité obligatoire.
Je terminerai en ajoutant, ce qui me semble nécessaire de mon point de vue :
– Que l’on réaffirme l’objectif du socle commun et qu’il y ait une clarification entre socle commun et programmes en indiquant, parmi les compétences des programmes, celles qui sont nécessaires de maîtriser et en s’assurant que chaque item soit bien indispensable à chaque palier du socle commun
– Que l’on (ré)introduise dans les programmes, le LPC et les grilles de référence les termes suivants : connaissances (savoirs), des capacités (savoir-faire) et attitudes (savoir-être). Cela permettrait de rentrer pleinement dans culture du socle et d’avoir un langage commun, entre les différents acteurs du système éducatif français, sur la notion de compétences.
– Que la validation des compétences et des items repose sur des données probantes, empiriques qui permettent à chaque enseignant, non pas de porter une appréciation subjective, mais bien de déterminer de façon objective un seuil de compétence. Si je prends l’exemple de l’item : « Lire à haute voix avec fluidité et de manière expressive un texte de plus de dix lignes, après préparation. » du palier 2 de la compétence Maîtrise de la langue française. Pour évaluer cette compétence, les travaux du laboratoire Cognisciences de Grenoble (Université Pierre Mendès-France) sur la fluence de lecture gagneraient à être davantage connus. Ces travaux ont mis en place un outil d’évaluation très pertinent : un score MCLM (Mots Correctement Lus à la Minute). Cet outil a été testé auprès de nombreux élèves et a apporté un critère objectif pour apprécier la fluidité de lecture.
– Que les évaluations nationales de français et mathématiques portent bien sur les items du socle commun et non sur les programmes de CM2.
– Que les items des compétences soient intelligibles et compréhensibles par tous (élèves et parents).
Guillaume Hamon
Professeur des écoles
Rennes
Note : Le projet Voltaire
Ce projet a été créé par une société Lyonnaise (Woonoz) : http://www.projet-voltaire.fr/. Il concerne les élèves du CM2 jusqu’aux étudiants salariés. C’est un site d’entraînement, de remise à niveau et de progression en orthographe. Après une évaluation de son niveau d’orthographe sur le site Internet, l’étudiant se voit proposer une remise à niveau avec des exercices d’entraînement. Il y a 7 niveaux, classés dans un ordre croissant de difficultés. La personne avance à son rythme depuis un ordinateur connecté à internet et valide ses acquis. 360 règles d’orthographe et de grammaire y sont revues au cours de 8000 exercices. Ce projet a déjà été testé dans des lycées post-bac (en BTS) et son efficacité semble faire des émules puisqu’il est envisagé de le répandre aux lycéens de 1ère et terminale. Au début, la plupart des étudiants bac+1 et +2 maîtrisent 20 % de ces règles. Après 6 à 10h d’entraînement, ils passent la barre des 50%. A la fin, ils peuvent passer la certification Voltaire (un test écrit qui confère un score de 0 à 1000 points (500 points correspond à une orthographe professionnelle). Pourquoi ne pas imaginer de faire passer un tel brevet à la fin de l’école primaire, du collège et du lycée avec un niveau attendu à chaque étape de la scolarité ? Cela démontrerait qu’il faut un certain nombre d’années pour acquérir une maturité orthographique.
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