La cohorte des élèves décrocheurs anime les débats sur l’école et suscite propositions et initiatives. Les 3e et 4e de l’enseignement agricole constituent une de ces initiatives. Elles font l’objet d’une étude de l’Onea (Observatoire national de l’enseignement agricole) et d’un colloque. Quels éléments transposables apportent-elles, quelles sont les limites de ce dispositif ? La lecture du rapport et le témoignage de Christophe Bernard, enseignant en MFR (Maison Familiale et Rurale) nous livrent quelques réponses.
Les particularités d’un système
L’enseignement agricole est une particularité dans le système éducatif français. Indépendant de l’éducation nationale, il puise ses racines dans une longue histoire avec le monde professionnel. Il est composé de trois structures, l’enseignement public, l’enseignement privé et les Maisons Familiales et Rurales (MFR) qui proposent des enseignements à rythmes appropriés. Et dans ce système particulier, les MFR occupent une place à part avec un enseignement basé sur une alternance.
« L’alternance propose successivement des séquences de stage en entreprise et d’apprentissage à la Maison Familiale, le plus souvent par périodes de 15 jours. Elle permet la découverte du monde professionnel, pour que le jeune construise son projet d’orientation. » explique Christophe Bernard.
En 2008, près de 30 000 élèves étaient scolarisés en 4e et 3e de l’enseignement agricole en majorité en MFR. L’enquête menée auprès de 1000 apprenants, croisée avec des entretiens et des études de terrain, montre que les élèves viennent en majorité dans ce système motivés par le choix d’une orientation professionnelle précoce ou parce qu’ils sont confrontés à l’échec scolaire. La 4e est plutôt consacrée à la remise à niveau et à la remobilisation scolaire, la 3e à la construction du projet de formation, voire professionnel.
Une orientation marquée par l’échec scolaire
Les performances du système se lisent au regard de l’origine des élèves, de leurs difficultés scolaires à leur entrée en 4e ou 3e de l’enseignement agricole. « Les jeunes qu’on accueille dans ce cycle d’orientation sont souvent en rupture par rapport au système scolaire classique, simplement parce qu’ils n’ont pas trouvé leur place. Rythme inadapté, problème de niveau, troubles non repérés ou perte du sens des enseignements et donc de l’intérêt de l’école : les causes de la rupture sont multiples mais la plupart disent qu’ils « n’aiment pas l’école ». Ils viennent vraiment pour les stages, on sent qu’ils ont besoin d’être acteurs, de « bouger » au sens propre du terme et notre rôle d’accompagnement est donc essentiel. » témoigne Christophe Bernard
L’Onea note que quatre ans après leur sortie de 3e, 75% ont obtenu un diplôme de niveau V en grande majorité agricole. Environ 10% choisissent la voie de l’apprentissage. A la MFR de Goven, « La majorité des jeunes issus de la classe de 3ème choisissent de poursuivre leurs parcours scolaire dans une filière courte dans un premier temps, notamment dans la filière Services Aux Personnes proposée par la MFR (CAPA SMR ou BAC PRO SAPAT). Par la suite, certains reprennent goût aux études, « se sentent capables » de nouveau et continuent après le BAC pour ensuite occuper des postes de direction, en crèche ou en maison de retraite, dans des domaines toujours porteurs d’emploi. D’autres se dirigent vers un apprentissage, et souvent c’est un ancien maître de stage qui devient leur maitre d’apprentissage. » précise Christophe Bernard.
Les sorties sans qualification sont estimées à 20%, un taux supérieur à la moyenne nationale. Les chiffres doivent toutefois être nuancés par un effet positif sur le vécu des élèves. Pour l’Onea, le jugement des élèves interrogés souligne une réconciliation avec l’école et les adultes. « Les élèves insistent en premier lieu sur l’expérience encourageante voire valorisante que constitue leur scolarité dans l’enseignement agricole ». Certes, ils marquent une nette préférence pour les matières techniques ou liées au vivant comme la biologie. Mais leur passage en 4e et 3e agricole leur permet de reconsidérer leur projet d’avenir dans une perspective constructive.
Des liens renforcés avec le monde professionnel
Pour favoriser cette réconciliation, l’aspect professionnel est fortement sollicité avec un module de découverte des filières liées à l’enseignement agricole, des stages en entreprise et l’utilisation de l’exploitation agricole de l’établissement comme support pédagogique. Donner du sens aux apprentissages en mettant en perspective leurs applications dans le monde professionnel sert de fil rouge au cursus. « Ces deux classes s’appuient sur « des pédagogies diversifiées centrées sur l’activité concrète des élèves (exercices y compris d’habileté gestuelle, travaux pratiques, projets à réaliser, études de cas, enquêtes…) », précise le rapport. Ces pratiques vont jusqu’à la mise en œuvre de l’alternance dans les MFR.
« Dans mon établissement, nous multiplions les interventions de professionnels, ou d’associations comme « l’outil en main » qui milite pour la promotion des métiers manuels et du savoir être. On sort souvent des murs de l’école pour aller à la rencontre des entreprises, ou de notre territoire proche, à l’occasion de la réalisation de marchés solidaires dans la commune par exemple. Une autre forme d’alternance à laquelle nous tenons beaucoup est le voyage d’étude, qui apporte aux jeunes cette ouverture aux autres et cette capacité d’adaptation et de mobilité essentielle aujourd’hui. » nous dit Christophe Bernard.
Une diversité des approches
L’hétérogénéité du public, ses particularités favorisent les pratiques de pédagogie différenciée. Aide et suivi individualisés, pédagogie de projet, pluridisciplinarité, le référentiel permet de développer des initiatives pour remobiliser l’élève dans ses apprentissages et laisse une marge de manœuvre que les équipes pédagogiques apprécient et utilisent. « Il peut s’agir des dédoublements de classe, de l’existence non pas d’un référent, mais de deux référents l’un pédagogique, l’autre éducatif… » cite l’étude de l’Onea.
Les classes de 4e et de 3e sont incluses dans des établissements proposant différents niveaux jusqu’au Bac voire au BTS. Cette proximité motive aussi en montrant à des élèves jusqu’alors en échec une perspective de progression devenue possible. L’environnement d’enseignement est pointé dans l’étude de l’Onea comme un facteur de réussite. Des lycées à taille humaine, des enseignements liés au vivant, un engagement fort des personnels, l’implication des familles et un internat où les activités culturelles et de soutien scolaire poursuivent l’action éducative constituent des éléments favorables.
La réussite pédagogique tient beaucoup aux initiatives, à l’innovation, proposées par les équipes dans une relation qui dépasse le cadre strict de la didactique pour emprunter toutes les dimensions de l’éducation.
Dans les MFR, l’enseignant devient moniteur avec une forte présence dans l’établissement. « J’apprécie la polyvalence du métier de moniteur, qui nous sort du simple rôle de transmetteur des savoirs. Nous sommes présents dans notre bureau, en dehors de nos heures de cours, ce qui nous donne les moyens horaires et matériels d’accompagner au mieux le projet de chacun. L’alternance modifie les rapports au savoir, et donc les liens entre les jeunes et les formateurs. Quand un jeune revient de stage et me dit – « le boulanger m’a dit que je ne connaissais pas mes tables de multiplication ! On ne pourrait pas revoir ça avec vous ? »- Je sais que c’est gagné… »
L’internat dans les MFR possède une fonction importante où les rôles sont redistribués. « Les jeunes sont le plus souvent internes, ce qui renforce le côté « familial » de l’établissement. D’autre part, ils participent à l’entretien des locaux au quotidien, aux côtés des formateurs également sollicités. Cette proximité et cette écoute permanente peut même au départ déstabiliser les jeunes, peu habitués à ce type de relation. L’accompagnement de l’équipe éducative au sens large est donc essentiel : moniteurs, maîtres de maison qui gèrent la cuisine, animateurs et surveillants d’internat, secrétaires doivent unir leurs efforts pour communiquer et rester en cohésion face aux jeunes. L’adulte devient ou redevient alors un soutien à qui l’on peut parler et demander des conseils. ».
Le risque de la marginalisation
Le système proposé par les MFR amène de nouvelles fonctions à l’enseignant, un autre métier qui s’exerce quasiment dans tous les compartiments de la vie quotidienne, s’écartant de la seule relation pédagogique. Dans l’enseignement agricole classique qu’il soit public ou privé, le rôle de l’enseignant s’élargit vers un accompagnement plus personnalisé sans quitter les rives de la relation pédagogique. On puise alors dans la pédagogie de projet ou la pluridisciplinarité pour remobiliser les élèves vers les savoirs de base.
Les enseignants interrogés lors de l’enquête de l’Onea insistent sur la nécessité de ne pas limiter leurs interventions aux classes de 4e et de 3e mais au contraire de nourrir leurs pratiques par des enseignements auprès d’autres classes de l’établissement. Inclure dans un système ordinaire ou aménager une cursus spécifique, les modèles proposés par l’enseignement public et privé et celui développé par les MFR divergent sur ce point. L’étude de l’Onea ne dispose pas d’éléments d’analyse assez fins pour comparer la réussite en terme d’insertion scolaire et professionnelle.
Les contenus des enseignements sont également à interroger au regard du socle commun. Permettent ils uniquement, et c’est déjà beaucoup, de replacer l’élève dans la dynamique d’apprendre, dans une réconciliation avec le système scolaire ? Ou, ouvrent-ils les horizons largement, vers un enseignement professionnel mais aussi vers des sections générales pour ceux qui le souhaitent ? « Le programme est le même que celui dispensé dans l’enseignement agricole classique en temps plein de formation. Le rythme approprié des MFR, qui limite les heures de face à face pédagogique, nous impose donc la réalisation de plans de formation efficaces. Nous présentons les jeunes à la série technologique du Diplôme National du Brevet et nos résultats sont comparables à ceux obtenus par les collégiens du système d’enseignement agricole classique. » nous dit Christophe Bernard.
Les éléments de réussite sont variables d’un établissement à l’autre et même selon le type d’établissement. Pendants d’une certaine autonomie, ils tiennent aussi de l’engagement de l’institution. Dans l’enseignement public, on constate une certaine marginalisation des 4e et des 3e : « Le contexte est celui d’une quasi absence de soutien explicite de l’Administration publique centrale et régionale vis-à-vis de ces classes qui font émerger de nombreux doutes quant à leur légitimité et leur pérennité. ». Alors que pour les MFR, « ces classes sont dans leur grande majorité considérées comme le début d’un cycle de formation en 4 ans voire plus avec la réforme du bac pro » nous dit le rapport.
Des satisfécits et des limites
L’Onea estime que «les élèves et les parents trouvent au sein de cet enseignement des réponses à leurs préoccupations qu’elles soient d’ordre scolaire, comportemental, social ou liées à un pré-projet professionnel ». Le satisfecit est toutefois nuancé par des recommandations sur le rôle des classes de 4e et 3e, leurs missions, l’évaluation et le suivi, les structures et les moyens. L’expérience mérite d’être prolongée et renforcée, en valorisant le travail des équipes pédagogiques et en développant l’offre de formation dans l’enseignement public partout sur le territoire. Elle demande aussi à bénéficier d’un suivi et d’une évaluation propre à mesurer son apport dans la lutte contre le décrochage scolaire.
L’étude menée par l’Onea montre aussi toute l’ambigüité des objectifs du système éducatif. Doit il viser l’acquisition d’une qualification ou d’une culture minimum, d’un socle de connaissances qui permettent à l’élève de s’engager dans la vie adulte dans une perspective d’évolution. Les deux ne sont pas antinomiques mais le risque est réel en visant l’insertion professionnelle avant tout d’enfermer les élèves dans une voie particulière sans passerelle avec d’autres formations. L’étude souligne l’importance d’une politique institutionnelle claire pour empêcher une marginalisation du système dans le cadre du seul enseignement à rythmes particuliers.
Les points saillants de l’étude seront repris et commentés lors d’un colloque le 19 avril prochain. Nul doute que les apports et les limites des 4e et 3e de l’enseignement agricole pour la lutte contre le décrochage scolaire seront soulignés.
Monique Royer
Le rapport de l’Onea
http://www.chlorofil.fr/systeme-educatif-agricole/organi[…]
Notre dossier sur l’enseignement agricole
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/Ens[…]
Le blog de Christophe Bernard
http://christophebernard.eklablog.com/