Pas peu fier pour sa Une du 18 décembre 2011, Le Monde annonce « la carte des 14 000 postes supprimés » pour 2012. En dehors du feu qu’il met sur une huile déjà bouillante, Luc Chatel en rajoute disant qu’on « peut continuer à ne pas remplacer une partie des départs en retraite » après 2012. Laissons de côté cette calamité d’une gestion statistique qui fait le miel des médias, aimant tant les chiffres hauts et forts, milliers de postes, millions de chômeurs, milliards de notre Liliane nationale. Mais la carte ?
Les cartes sont devenues des images qui dispensent de lire des textes. Elles sont censées « parler» comme des dessins, de la BD, des logos, des pictogrammes. Et à ce titre, une carte a souvent quelque chose de magique dans son évidence. Ce qui est loin d’être le cas de la carte des suppressions de postes présentées comme un « sujet sensible ».
Car que voit-on sur cette carte ? Rien ou presque. Qu’il y a un peu plus de postes supprimés dans le nord de la France que dans le sud. Et encore ! L’académie de Toulouse perd 227 postes contre 216 à Strasbourg dans le premier degré. Ah si ! La petite Corse et ses 250 000 habitants ne perdent que 20 postes… Tout ce barouf pour ça ?
Car la carte ne dit rien de la hausse du nombre des élèves due au « mini baby boom » du début des années 2000. Elle ne donne pas de renseignements relatifs au nombre des enseignants par académie. Elle ne dit pas ce que les académies ont déjà perdu ces dernières années. Elle pourrait vouloir suggérer une certaine égalité républicaine qui passerait par le territoire, mais on sait bien qu’il existe mille stratégies d’évitement territorial qui rendent obsolète « l’égalité ». Elle apprendrait qu’on suit les mouvements de réfugiés brésiliens aux frontières en Guyane en dotant l’académie d’enseignants plus nombreux ? La carte soulignerait-elle la « diagonale du vide », les périphéries par rapport au centre ? La belle affaire !
On peut ergoter et se demander si cette annonce le jour des vacances de Noël n’est pas destinée à étouffer la mauvaise nouvelle dans l’édredon des fêtes et les bulles de fin d’année. On trouvera bien un politologue, un ingénieur statisticien patenté pour nous faire croire qu’on n’a pas juste habillé des pages austères du journal en laissant que ce document produit par le ministère est « stratégique ».
La géographie n’est pas une discipline liée à la statistique. Elle peut tout mettre en carte ou presque. Mais toutes les statistiques en carte ne sont pas de la géographie. La géographie est d’abord une discipline du sens : « Pourquoi les choses sont là et pas ailleurs » aimait à résumer F. Durand-Dastès. Si la question des suppressions de postes peut révéler des inégalités, encore faudra-t-il les interpréter. Les syndicats font la critique de cette politique mais ils ne représentent pas tous les avis. Pourtant ce sont eux qui commentent la carte.
Enfin et surtout, les postes ne sont pas les heures devant les élèves. Certes, les enseignants assurent ces heures, la plupart sans doute à des fins utiles, mais « si les enseignants refusaient de les assurer, il y aurait dans chaque établissement, une classe sans professeur » selon Philippe Tournier, du syndicat des chefs d’établissement cité par Le Monde. Une enquête sur les refus d’assurer les heures complémentaires serait autrement plus intéressante et là, sans même besoin d’en cartographier les données.
Ne boudons pas notre plaisir. Les cartes sont à la mode. Elles plaisent. Elles peuvent dire beaucoup de choses mais elles ne peuvent pas tout dire. Il y a encore trop de cartes bavardes. Apprenons aux jeunes générations à s’en indigner.
Gilles Fumey est professeur de géographie à l’université Paris-IV. Il a animé les Cafés géographiques jusqu’en 2010. Il dirige la revue de géographie culturelle « La Géographie ».