Par Jeanne-Claire Fumet
Il ne s’agit pas du correcteur automatique de copies dont on rêve parfois en salle des professeurs, moins encore d’une machine à définir les critères objectifs d’évaluation qui mettrait fin aux actuels débats sur la question, mais d’un logiciel d’analyse décisionnelle simple et adaptable, que présentait mercredi matin Microsoft France Éducation, dans ses locaux d’Issy-les-Moulineaux. Élaboré en concertation avec deux professeurs de sciences physiques, Pascal Bihoué et Pascal Cherbuin, le logiciel permet de gérer de multiples données évaluatives, par compétences disciplinaires ou transversales, exprimées en notes ou par appréciations (acquis, en cours d’acquisition, non acquis, par exemple), et d’en faire la synthèse avec des évaluations traditionnelles pour un bilan complet. L’avantage de ce système, composé à partir des éléments du socle commun, est de pouvoir s’adapter aux spécificités des disciplines, et même des enseignants, selon les choix et les priorités pédagogiques qu’ils voudront définir. Pour montrer l’intérêt de cet outil, Christophe Desriac, Directeur Éducation et Recherche de Microsoft, s’était entouré d’Anne-Marie Bardi, Inspectrice Générale honoraire, des professeurs de physique Pascal Bihoué et Pascal Cherbuin, et de Pascal Laforest, démonstrateur de la maquette « d’aide au suivi et à l’évaluation des élèves pour le Collège et le Lycée ».
« Depuis quand se préoccupe-t-on des acquis des élèves ? »
Un tel outil ne vaut que si on admet l’intérêt de l’évaluation par compétences, qui s’inscrit depuis peu dans les valeurs du système scolaire français. S’excusant par avance d’un discours forcément « exagéré et caricatural », faute de temps et pour stimuler la discussion, Anne-Marie Bardi l’explique : des programmes nationaux, assurés par des enseignants formatés, des évaluations standards, des examens anonymes et uniformes, avec l’exigence de 80% d’une classe d’âge au bac, c’est l’idéal d’égalité de la nation en vigueur jusqu’en 2005. Mais que représente, dans ces conditions, l’obtention d’un bac, qui par le jeu des compensations de notes, peut avoir n’importe quel contenu : avec par exemple un 6/20 en mathématiques en section scientifique ?
Le corps d’encadrement veut qu’on traite le programme conformément aux pratiques pédagogiques convenues, les parents s’intéressent aux notes plus qu’aux apprentissages, les élèves veulent assurer des résultats corrects pour que « ça passe » et les enseignants, piégés dans cette nébuleuse, fournissent ce qu’on leur demande sans autres perspectives, assène l’Inspectrice.
« L’évaluation par compétences, une révolution copernicienne »
En 2005, sous la triple pression des Accords de Lisbonne, qui imposent l’apprentissage par compétences, du Conseil de l’Europe, qui met en place le CECRL en langues vivantes, et de la révision générale des politiques publiques en France, qui oblige le Ministère à rendre compte des performances scolaires, la vision de l’évaluation se transforme. Le socle commun, en passe de prendre le pas sur les programmes, met en valeur les compétences transversales, l’évaluation prend un sens positif, portant sur des objectifs assignés selon des repères communs dans un discours unifié. « On passe à l’idéal d’un système de liberté et de responsabilité. »
Le tournant ne se fera pas vraiment, faute d’une continuité politique pour soutenir le projet et d’une réforme radicale et définitive. « Depuis, ça grince et ça craque ». Les pratiques anciennes résistent et l’évaluation chiffrée, « qui a tous les défauts » (non fiable, subjective, variable, anxiogène, sans rémission, faussement précise par juxtaposition de notes incertaines en moyennes aléatoires, accompagnées de commentaires qui ne disent pas grand-chose), se maintient. Pour cause : elle « permet tous les arrangements et les ajustements », elle est facile à comprendre et facile à traiter algébriquement. D’autres système européens se sont pourtant résolus à l’abandonner, ce n’est pas impossible.
Un projet présenté au Forum des enseignants innovants.
L’autre solution, c’est-à-dire l’évaluation fine par compétences multiples, deux professeurs de physique l’ont explorée chacun de leur côté, avant de se retrouver au Forum des Enseignants innovants du Café Pédagogique de Dax (2009) et de Lyon (2010). L’un, Pascal Bihoué, enseigne dans un petit collège de Bretagne, l’autre, Pascal Cherbuin, dans un lycée de 2 500 élèves à Corbeil-Essonnes, auprès d’un public très hétérogène. Leurs démarches différentes aboutissent aux mêmes résultats : la prolifération des données, à défaut d’un outil fiable de traitement et d’exploitation, est un frein majeur au développement de ce type de pratiques.
Faire de l’intérêt d’apprendre le moteur du travail scolaire.
Donner du sens à l’évaluation, c’est faire de l’intérêt d’apprendre le moteur du travail scolaire à la place de la note, disent les deux enseignants. La notion de compétence, « faire face à une situation complexe et nouvelle, en l’identifiant et en construisant une réponse adaptée », permet de mettre en place un faisceau de critères souples et variables à tester dans la plupart des situations d’apprentissage. Reste ensuite à démêler les points forts et les points faibles de chacun, et à trouver les moyens d’une remédiation adaptée.
Les difficultés rencontrées par les enseignants sont de deux ordres : l’un strictement pédagogiques, l’autre technique, dans le recensement, la compilation, le croisement des données recueillies ; à ces dernières, un outil informatique mesuré au plus près des besoins des enseignants pourrait donc remédier. Pouvoir intégrer, transmettre et partager les données, en publier les résultats sous une forme lisible et explicite, aussi bien à l’égard des familles que de l’institution, constituerait un apport considérable en termes d’efficacité.
Constituer un projet en équipe.
Pascal Cherbuin a fédéré l’ensemble des 12 professeurs de physique de son établissement exerçant en seconde ; les classes ont été fondues en 30 groupes de compétences (de 18 élèves). L’usage de l’évaluation par compétences, très lourd à gérer, reconnait-il, a amélioré les résultats et constitue un élément précieux de communication avec les familles : l’analyse détaillée des performances de l’élève permet d’étayer les préconisations du conseil de classe, quand une simple moyenne peut les rendre incompréhensibles aux yeux des parents et des élèves. Les histogrammes de l’évolution de chaque élève au cours de l’année, seul et par rapport à la classe, la dissociation des éléments acquis et non acquis, le recours à une évaluation ternaire par couleurs (sur la base d’un calcul de pourcentage), sont des moyens de cibler la remédiation et de nuancer les appréciations de manière plus précise que la notation classique. Mais impossible d’étendre l’expérience à l’ensemble des disciplines du lycée, ou à d’autres établissement à l’aide des seuls outils « bricolés » au fur et à masure. Ce serait pourtant la condition d’un vrai changement d’attitude face aux apprentissages.
« Un outil souple du point de vue du choix des contenus et homogène du point de vue de l’institution », conclut-il, permettrait de gagner de gagner un temps précieux sur les tâches de gestion au profit de la pédagogie.
Une simple problématique d’analyse décisionnelle.
Pour le démonstrateur du projet, Pascal Laforest, la question se formule simplement : il s’agit de transcrire des données multiples et hétérogènes en informations. C’est « un problème de compréhension fine et de pilotage d’une activité », qui peut comme une autre être ramenée à des schémas techniques de résolution. A partir de la plate-forme Microsoft BI, sans acquérir d’outils spécifiques onéreux, on peut avoir un dispositif connecté sur internet, et qui propose un ensemble de fonctions adossé au socle commun mais susceptible de recevoir d’autres champs d’évaluation, selon les exigences de chaque enseignant. Offrir la structure d’accueil et de traitement d’une multiplicité variable d’éléments d’évaluation, librement élaborés par chaque enseignant ou chaque équipe, dans la seule limite d’une évaluation définie par l’accumulation de critères croisés, ce serait donc l’intérêt précis de ce logiciel évolutif.
Sans résoudre les problèmes d’enseignement.
Ce support, si les enseignants choisissent de se l’approprier, pourrait devenir un moyen de propagation et de développement efficace de l’évaluation par compétences. Mais on ne peut en attendre qu’il résolve d’autres problèmes plus spécifiquement liés à l’enseignement : ce schéma d’analyse détaillée par compétences peut-il s’appliquer à des domaines d’apprentissage moins logiquement déterminés que les mathématiques ou les sciences ? Les données implicites de la situation d’apprentissage, les rythmes hétéronomes de la compréhension, les voies contournées de l’intelligence peuvent-ils être correctement rendus par des évaluations de détail juxtaposées ? A quoi l’on répondra sans doute que la traditionnelle évaluation chiffrée ne leur rend sans doute pas mieux justice.
Jeanne-Claire Fumet
Liens :
Le site Education Microsoft :
http://www.microsoft.com/france/education/
La loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005
http://www.education.gouv.fr/bo/2005/18/MENX0400282L.htm
Pascal Cherbuin au Forum de des enseignants innovants :
http://cafepedagogique.net/communautes/Fo[…]
Sur le site du Café
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