Par François Jarraud
Sur quel récit peut-on fonder l’Ecole française ? Auteur de l’excellent « Gouverner l’école », Denis Meuret revient sur les modèles de Durkheim et de Dewey et cherche à en peser l’influence chez les enseignants français. Surprise ! Le modèle traditionnel durkheimien a du plomb dans l’aile et ceux qui ont cru pouvoir s’appuyer uniquement sur lui ont échoué. Mais alors sur quoi fonder notre Ecole ?
Dans « Gouverner l’école », Denis Meuret avait pu montrer les difficultés que faisaient peser sur l’école française le poids de son histoire durkheimienne. Dans un article publié dans la revue Education et Didactique, vol 5(1), Denis Meuret rend compte des résultats d’une enquête menée auprès des enseignants du secondaire de l’académie de Limoges. 559 enseignants ont répondu ainsi que 131 responsables éducatifs.
« Il y a un peu plus d’un siècle, furent élaborées, d’une part en France, d’autre part aux Etats Unis, deux conceptions très articulées et complètes de l’enseignement, respectivement par Emile Durkheim et John Dewey », rappelle D Meuret. « Chacune a fortement influencé l’école de son pays, mais l’autre y a aussi été présente. En France, ce qu’on a appelé la pédagogie active s’est référée à l’œuvre de Dewey tandis que, sinon Durkheim lui-même, du moins le modèle français, était invoqué aux Etats-Unis pour y défendre un enseignement davantage orienté vers les disciplines fondamentales et la transmission de la grande culture ».
Un des principaux enseignements de l’enquête de D Meuret c’est que « les enseignants français ne penchent pas massivement d’un côté ou de l’autre mais ils sont plus nombreux à pencher vers le modèle Durkheim que vers le modèle Dewey… Leurs représentations empruntent le plus souvent aux deux modèles, mais le centre de gravité des réponses penche légèrement du côté du modèle durkheimien. Les enseignants qui ont une conception des buts de l’enseignement plus proches du modèle de Dewey sont un peu plus favorables à l’ouverture du second degré. Ceux qui ont une conception des conditions de l’enseignement plus proches de ce modèle pensent plus souvent que leur action peut faire une différence et se déclarent un peu plus satisfaits de leur métier ».
Mais D Meuret va plus loin. « S’il est vrai que l’adhésion unanime des enseignants au modèle durkheimien a fait la force de l’Ecole de la troisième république, une telle adhésion n’existe plus », note-il. « Comme il faut accorder à Durkheim et à Dewey le mérite d’avoir proposé des modèles très cohérents, il n’est pas sûr que le métissage entre leurs deux modèles puisse inspirer aux enseignants une action cohérente, ni que les élèves ne pâtissent pas d’être confrontés à cette pluralité de modèles ». Il voit d’ailleurs dans l’affaiblissement du modèle durkheimien un facteur d’échec de Robien et Ferry, deux ministres qui avaient cru gouverner l’école par le « revivalisme durkheimien » sur le mode de l’autorité de l’enseignant.
Cette crise du modèle peut aussi être un signe positif. » Peut être, cependant, faut-il tirer de cette investigation une conclusion plus désenchantée : Il ne faudrait plus espérer gouverner l’Ecole au nom d’un quelconque « grand récit » (Lyotard, 1979) Il faudrait faire son deuil de modèles attachés à l’école moderne et inadéquats à l’école post-moderne. Au lieu d’attendre d’une théorie la définition des buts et des modes d’action de l’école, il faudrait l’attendre, non pas d’un simple questionnement des acteurs, puisque celui-ci conduit parfois à des contradictions, mais de mécanismes démocratiques de production d’accord, mobilisant à la fois les usagers et les professionnels de l’Ecole ».
D Meuret et M Lambert, Les buts et les conditions de l’enseignement selon les enseignants du second degré, Education et Didactique, vol 5(1).
L’école française n’est pas gouvernée
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