Par François Jarraud
L’équipe pédagogique est une référence permanente des instructions officielles qui la chargent toujours davantage. Ainsi la mise en place de l’accompagnement personnalisé devrait favoriser le travail collaboratif. Pourtant rien n’est fait par l’institution pour lui donner les moyens matériels de fonctionner vraiment.
Le guide proposé par Caroline Letor a l’avantage de s’appuyer sur de nombreux cas et de proposer un ensemble d’outils pour découvrir les règles du travail collectif et faciliter sa mise en route dans un établissement scolaire. Il propose des ressources pour le développer et le mettre en place. Ce petit livre, armé de ses fiches d’analyse, nous permet de prendre de la distance et d’interroger nos projets.
Caroline Letor, Comment travailler en équipe au sein des établissements scolaires ; de Boeck, Bruxelles, 2010, 200 p.
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« Travailler ensemble peut être source de plaisir ». Entretien avec C Letor
Il y a en France, mais aussi semble t-il en Belgique, une injonction à travailler en équipe qui est reconnue par des heures de concertation au primaire, mais qui ne va pas plus loin que l’invitation dans le secondaire. Pourquoi faudrait il le développer ? Dans la pratique quel bilan faites vous du travail collaboratif dans le système éducatif ? A t on des exemples de réussite en ce domaine ?
Il y a dans la plupart des pays européens une injonction faite aux enseignants à travailler ensemble. Celles-ci est plus ou moins contraignante et explicite. Dans l’enseignement secondaire, elle passe davantage par le biais de l’inspection dont les missions ont été récemment renforcées. L’établissement, comme lieu de coordination fait partie des objets d’évaluation et d’inspection : j’ai constaté lors de visite d’école que l’inspection, dans son rapport, avait fait mention d’absence d’évidences de travail collaboratif entre enseignants de tel ou tel degré ou orientation. Cette pression est donc effective. Certaines directions mobilisent la menace de l’inspection pour exhorter les professeurs à travailler ensemble pour qu’ils se concertent sur les questions d’évaluation des élèves en fin d’année. Pour le législateur, ce travail collaboratif fait partie d’un ensemble de dispositifs qui servent le développement de solutions locales d’enseignement et participent à une plus grande qualité et efficacité du système éducatif. Il revêt également une composante organisationnelle dans le sens où le travail collaboratif est censé servir le projet pédagogique.
Le travail collaboratif peut représenter un plus pour les enseignants et la qualité de l’enseignement en général, en terme de cohérence des pratiques, source de réflexion, de remise en question et d’innovations, de validité des évaluations des élèves. Nos travaux montrent que dans certains cas, travailler ensemble est source de plaisir, de développement professionnel pour les individus mais aussi de développement de compétences collectives au sein de l’établissement : qui laissent des traces dans les représentations, les manières de faire, les méthodes, les objets, la configuration des espaces, qui produit de la culture d’établissement.
Quelles conditions sont nécessaires ? Par exemple le rôle du chef d’établissement est-il déterminant ?
Cependant, cette collaboration ne peut se faire à n’importe quelle condition et ces conditions sont multiples. Il est donc rare et difficile de les faire coïncider. Nous avons proposé avec mes collègues, Michèle Garant et Michel Bonami de les systématiser en un modèle (Corriveau et al, 2010, Travailler ensemble en établissements scolaires : conditions, tensions et paradoxes. chez De Boeck). Une des difficultés se trouve dans l’organisation même de l’enseignement, calquée sur une bureaucratie professionnelle qui valorise un certain « individualisme enseignant » souvent invoqué par les enseignants dans l’expression « chacun a sa personnalité ». Pourtant les infirmières ont aussi leur personnalité et travaillent en équipe. Ces logiques à la fois bureaucratiques et professionnelles s’avèrent peu compatibles avec une configuration de type projet qu’implique – d’après ce que nous avons observé- le travail collaboratif : la mobilisation de personnes en fonction de leurs compétences pour un temps donné – structure plus flexible et qui renforce l’interdépendance des personnes-. Ces logiques organisationnelles exigent d’autres modes de coordination que celles instaurées dans le système éducatif autour de l’unité : une heure, une classe, un prof.
Relevons que le travail collaboratif a un prix. Il est porteur de remises en question, de discussions, d’ajustements mutuels, de compromis, de concessions qui sont autant de sources d’apprentissages mutuels mais aussi de stress : se mettre d’accord génère des émotions et cela fatigue. Les conflits d’idées peuvent glisser en conflits de personnes. Ouvrir à la discussion ce que je fais avec mes élèves dans ma classe, c’est s’exposer à la critique, dans un métier régulé par le regard des pairs. Dans les cas que nous avons analysés, nous avons constaté un certain turn-over des enseignants. Il est donc important que l’équipe pèse le pour et le contre d’entrer dans de telles démarches. L’idée proposée est d’adapter le travail collaboratif au contexte organisationnel. Ce n’est pas la même chose de travailler ensemble dans une petite école de village que dans un grand lycée; là où les enseignants partagent des conceptions éducatives similaires que dans des établissements où l’équipe est assez hétérogène. Partager les pratiques ne se fera pas de la même façon. Les pratiques que nous avons observées sont variables d’un contexte à l’autre. Certaines équipes cherchent à fusionner leurs pratiques, à créer des communautés ; d’autres se répartissent la tâche, sauvegardant une part de liberté personnelle. Je n’ai pas de jugement de valeurs par rapport à cela. Il n’y a pas une manière de travailler ensemble a priori meilleure qu’une autre. Je n’ai pas voulu établir d’échelle entre coopérer, collaborer, se concerter etc. Le travail collaboratif reste un moyen, pas un but en soi. D’autres modes de coordination, plus périphériques, plus extérieures comme des évaluations externes, peuvent être sources de cohérence dans les pratiques et sources de réflexion, d’amélioration. La question est : est-ce qu’il est souhaitable de généraliser ce mode de travail de manière uniforme ?
Peut on inclure les communautés virtuelles (weblettres, cartables etc.) qui sont totalement extérieures à l’institution dans ces pratiques de travail en équipe ?
Quant aux communautés de pratiques, c’est une forme de travail collaboratif qui inclut à la fois une dimension d’appartenance, d’identité – c’est donc une condition pour en développer au sein de l’établissement ou à partir de l’établissement- et un aspect spontané : ce sont des personnes qui y adhèrent, en font partie partageant des conceptions, des représentations, des intérêts qui développent ces communautés. Aussi, elles peuvent se développer au sein de l’établissement tout en le dépassant, le traversant, s’appuyant sur les réseaux que les enseignants ont développés. La direction peut stimuler le développement de communautés de pratique ou d’apprentissage à condition de laisser des marges de liberté aux équipes qui y prennent part, au risque d’en perdre le contrôle, qu’elles prennent de l’autonomie. C’est un risque disons positif à prendre.
Quels peuvent être les freins ?
Un des risques ou freins du travail collaboratif vient entre autres des logiques organisationnelles du système éducatif avec les injonctions paradoxales qu’il porte : faites des projets, travaillez en équipe de manière autonome… L’autre risque est de rendre procédurier ce travail lorsqu’il prend la forme d’une obligation à remplir et perd sens. Ce qui est au coeur du travail collaboratif c’est la signification qu’il revêt dès qu’il prend forme au sens cognitif (Il veut dire quelque chose pour quelqu’un) , social (il crée du lien) et affectif. (il touche les personnes).
Le travail collaboratif prend forme lorsqu’il revêt un sens pour une équipe d’enseignants – j’y inclus la direction dans une relation collégiale- ; lorsqu’il est soutenu par la hiérarchie avec des marques de reconnaissance – j’y inclus aussi la direction dans une relation verticale- ; lorsqu’il y a des lieux et des temps mis à disposition, des moyens de communication effectifs et efficaces développés; lorsque l’équipe favorise une certaine stabilité. Il y a aussi l’importance d’un climat de confiance et d’aménité, faite de convivialité et de respect, un climat à établir et à entretenir ; la présence d’intérêts communs, significatifs pour les personnes, d’ une identité collective et/ou organisationnelle : je fais partie de cette équipe, de cette école … peuvent générer des dynamiques d’apprentissage organisationnel.
Ce processus peut prendre forme à partir d’un problème rencontré quelle que soit son importance, banal, anecdotique ou grave. Des plaintes récurrentes peuvent donner lieu à un travail d’analyse et de remise en question des « allants de soi » et une recherche de solutions. Ce processus peut « démarrer » également d’un projet, d’une mission que des personnes se donnent. Quel que soit le point de départ, c’est la qualité du processus d’explicitation et d’objectivation qui permet à chacun de traduire et s’approprier le problème dans sa réalité qui donne sens : dire, mettre de la distance, comprendre les tenants et aboutissants, interpréter, émettre des hypothèses, entrevoir des solutions. Ce travail de problématisation peut être l’occasion pour mettre en évidence les écarts entre ce que l’on dit que l’on fait et ce que l’on fait. Lorsque ce travail prend une valeur collective, voire organisationnelle, il correspond à ce que les auteurs appellent de l’apprentissage organisationnel. Quel défi pour les équipes pédagogiques! Quelles que soient la profondeur et l’ampleur du processus, nous appelons dynamiques d’apprentissage organisationnel, ce processus mis en oeuvre dans certains établissements à certains moments.
La figure de la direction ressort de l’étude comme une des clés d’un travail collaboratif qui a du sens pour les enseignants et porteur d’apprentissage organisationnel. C’est un travail pour lequel les directions n’ont pas toujours les ressources: une marge de liberté, du soutien de la part de leur hiérarchie, des compétences… Nous avons désigné son action autour de deux termes : une gestion inspirée. Il développe un leadership porteur d’un projet, d’un sens, d’une vision communs. La direction effectue à ce niveau, un travail de traduction des actions individuelles ou collectives, rappelant le sens des actions développées, ramenant les initiatives en les situant par rapport à ce fil conducteur. Elle effectue un travail de gestion en sollicitant, régulant, exerçant un certain contrôle des actions des uns et des autres dans un souci d’équité, veillant à développer un sentiment d’appartenance tout en gardant des zones d’intimité et d’initiative, de collégialité et de responsabilité, de soutien et de confiance. Tout un programme !
Qu’attendez vous de cet ouvrage ? Peut -il avoir un effet sur les pratiques ?
Dans ce guide, j’ai voulu mettre à la disposition des équipes éducatives, mais aussi des accompagnateurs de ces équipes (intervenants de conseil et d’accompagnement), des outils : faire le point sur les ressources dont l’équipe enseignante dispose sur les contraintes qui structurent leurs actions, sur ce que veut l’équipe, ce qu’elle peut développer : ce qu’elle veut et peut quant aux objets et aux finalités de travail collaboratif. Le but est de renforcer les compétences des équipes pédagogiques à partir de ce qu’elles connaissent déjà mieux que des externes : leur contexte, les compétences qu’elles ont développées dans des expériences passées. Il est de donner l’opportunité de remises en question, de réflexion collective et donc, d’apprentissage collectif. Ces outils sont ponctués de cadres théoriques, qui attirent l’attention sur les conditions organisationnelles, peu visibles aux yeux des enseignants. Cette perspective organisationnelle est en effet peu développée dans les guides disponibles. Ces encarts explicitent les principes théoriques qui donnent au travail collectif, une visée d’apprentissage organisationnel, c’est à dire de développer des compétences collectives qui se développent au sein de l’établissement et qui s’y perpétuent. A travers les vignettes d’exemples de pratiques et d’expériences, j’ai voulu donner de l’épaisseur au guide : qu’il soit un outil que les lecteurs s’approprient. Un livre, mais je ne le lis pas toujours dans l’ordre que me propose l’auteur. Bienvenue aux idées, ajustements, critiques…
Caroline Letor
Caroline Letor est docteur en sciences de l’éducation, maître de conférence à L’UCL et aux Fucam (Belgique), conseillère pédagogique à l’Institut de pédagogique et multimédia de l’UCL. Les recherches auxquelles elle a été associée en Belgique (CeRIO/FUCaM; GIRSEF/UCL) et en Amérique latine, se centrent sur les dimensions socio-émotionnelles et sociocognitives des pratiques professionnelles dans les métiers de la relation et de service, leur formation et leur évaluation. Ses derniers travaux portent sur les processus d’apprentissage collectif en organisation, particulièrement en milieu scolaire.
L’ouvrage
Caroline Letor, Comment travailler en équipe au sein des établissements scolaires ; de Boeck, Bruxelles, 2010, 200 p.
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