Les manuels scolaires forment depuis longtemps une composante fondamentale de l’enseignement de l’histoire en classe. Cependant, en Grande-Bretagne, la généralisation de nouveaux équipements tels le lecteur DVD, le vidéoprojecteur ou les logiciels de présentation (PowerPoint) remet en question la position dominante des manuels dans les modes d’enseignement et d’instruction de l’histoire en classe. À tel point qu’on assiste à un changement de paradigme dans l’enseignement de la discipline.
Dans la dernière livraison annuelle de la Société internationale pour la didactique de l’histoire, [1] Terry Hadyn présente les résultats de son enquête auprès des enseignants et de futurs enseignants.
En préambule, Haydn note que les manuels ont connu en Grande-Bretagne et à partir des années 1980 une modification significative dans leur conception. L’influence de la Nouvelle histoire, du développement des techniques d’édition et des programmes nationaux amènent à
– la diminution du texte principal du manuel;
– l’augmentation des sources historiques;
– une présentation plus attractive des manuels avec force d’images, de dessins, graphiques et photographies auxquels s’ajoute encore la couleur.
Au final note Haydn [2] : «It’s important to understand one particular change in the «job to be done» by history textbook. It was no longer the function of the text book to simply inform students of the one authoritative or definitive account of what happened in the past […]. One of the key functions of the history textbook was to help students to developp an understanding of why accounts of the past might differ, and to provide them the abitlity to critically appraise the validity of differing accounts.»
Par ailleurs, ces manuels se voient progressivement accompagnés de textes et documents numériques sur cd-rom. Ceux-ci sont projetés via les projecteurs numériques ou les tableaux blancs interactifs plutôt que d’être lus dans le manuel par les élèves.
De son enquête auprès des enseignants sur la place occupée désormais par le manuel d’histoire, il ressort ensuite que l’emploi des manuels d’histoire est progressivement rejeté, avec quelques exceptions notables, dans les marges de la leçon d’histoire ou dans le travail donné aux élèves à la maison. Les moyens et l’attractivité offerts par les développements technologiques (vidéoprojecteurs, tableaux interactifs, internet, PowerPoint) expliquent cette évolution [3] : «I hardly ever use text books […] I worry that text book work turns pupils off the subject now that we have more vivid and exciting options with access to data projector and whiteboard.»
Il faut souligner que les investissements consentis en Grande-Bretagne dans l’équipement d’une majorité de salles de classe en vidéoprojecteurs et/ou tableaux blancs interactifs facilitent ce basculement [4] : «we’ve got data projectors in all the classrooms so it’s easy to incorporate music, images and digitised moving image extracts that are more vivid […] make it easier to bring the subject alive.»
Après cette première phase d’intégration des ressources numériques en complément, puis en remplacement des manuels traditionnels, certains souhaitent maintenant aller plus loin [5]: «Also, we are very keen to try and use more active learning approaches with the pupils doing things.»
Au final sur les treize départements d’histoire interrogés, seul un département estime que les manuels scolaires jouent un rôle plus important que dix ans auparavant, deux estiment que son importance est identique et les dix autres qu’il a perdu de son influence en terme de ressource pour l’enseignement de l’histoire, remplacé par l’utilisation du vidéoprojecteur et de PowerPoint. Ce dernier est devenu, selon des enseignants encore favorables aux manuels, la nouvelle orthodoxie et le mode d’enseignement par défaut des enseignants d’histoire.
Ce changement fort de paradigme dans l’enseignement de l’histoire se retrouve lorsqu’Haydn interroge de futurs enseignants d’histoire. Désormais, les manuels ne sont utilisés en moyenne qu’un tiers du temps de la leçon d’histoire alors que la vidéoprojection est utilisée de manière intensive en classe à chaque leçon ou presque. Plus encore, concernant les manuels, Haydn note que pour ces futurs enseignants [6]
«There were some indications of text book use been seen as «a bad thing» or «pedagocally incorrect», in terms of ideas about good pedagogical practice, or in terms of departemental culture.»
Un étudiant note ainsi que le fait d’utiliser le manuel d’histoire serait un signe de paresse et qu’il limiterait la créativité de l’enseignant.
Enfin du côté des élèves, un rapport récent de l’”Office for Standards in Education“ souligne les effets négatifs des manuels scolaires sur la motivation des élèves et leur implication dans la matière. Ce rapport confirme une enquête précédente de Haydn (2004) auprès de 700 élèves. Dans cette dernière, aucun des élèves interrogés n’avait d’ailleurs émis de commentaire positif à l’égard du manuel scolaire. Pour Haydn, ce n’est pas tant que par nature le manuel serait ennuyeux, mais plutôt par l’utilisation qui en est faite par les enseignants [7] : «One common abuse of text books in the UK is the practice of student teachers using text books to do ”reading round the class” […]»
Cependant, lorsqu’on interroge les élèves sur la fiabilité des différents outils à leur disposition concernant la connaissance du passé, les élèves estiment que les manuels restent la source la plus fiable. Après ceux-ci, les élèves placent leur confiance dans les cd-roms et l’Internet. La télévision, la radio et les journaux viennent en dernier.
Toujours est-il qu’en Grande-Bretagne qu’une nouvelle orthodoxie s’impose en classe d’histoire. Désormais le futur de cette leçon se conjugue et s’organise autour de l’utilisation de présentations PowerPoint pendant que le manuel d’histoire est lui progressivement rejeté dans les marges de celle-ci. À tel point que des élèves ont, dans un établissement, déposé une pétition pour utilisation abusive de PowerPoint en classe…
Lyonel Kaufmann, Professeur formateur, Didactique de l’Histoire, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse)
Notes
[1] Haydn T. (2011). «The Changing form and use of textbooks in the history classroom in the 21th Century : A View from the UK.» In Jahrbuch der int. Gesellschaft für Geschichtsdidaktik 2011 : Analyzing Textbooks: Methodological Issues, p. 67-85.
[2] «Il est important de comprendre un changement particulier dans le travail à réaliser à l’aide du manuel d’histoire. Ce n’était plus sa fonction d’informer simplement et de manière univoque les élèves de ce qui était arrivé dans le passé […]. Désormais, une des fonctions clés du manuel consiste à aider les élèves à comprendre pour quelles raisons les visions/versions du passé peuvent différer et de leur fournir les outils nécessaires pour évaluer de façon critique ces différents comptes-rendus du passé.» Haydn (2011 : 72)
[3] «Je n’utilise presque jamais les manuels. […] Je crains que le travail avec le manuel désintéresse les élèves maintenant que nous avons à disposition des moyens plus vivants et passionnants d’accès à l’histoire avec les vidéoprojecteurs et les tableaux blancs interactifs.» Haydn (2011 : 75)
[4] «nous avons des vidéoprojecteurs dans toutes les salles de classe, il est donc facile d’intégrer de la musique, des images numérisées et des extraits de films qui sont plus vivants et permettent de rendre plus facilement le sujet attractif.» Haydn (2011 : 75)
[5] «Aussi sommes-nous très désireux d’essayer et d’utiliser des démarches d’apprentissage actives avec les élèves et à leur faire faire eux-mêmes certaines choses.» Haydn (2011 : 75)
[6] «Certaines indications relatives à l’utilisation du manuel donne à penser que celui-ci est considéré comme «une mauvaise chose» ou «pédagogiquement incorrect» en termes de bonnes pratiques pédagogiques, voire de culture des départements d’histoire.» Haydn (2011 : 80)
[7] Une utilisation courante des manuels scolaires au Royaume-Uni est la pratique des futurs enseignants d’utiliser les manuels pour ”faire la lecture à toute la classe » […]» Haydn (2011 : 82)
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