Par François Jarraud
Est-ce le jeu ? Est-ce la pédagogie de projet ? Voilà un succès qui interroge. Arnaud Vespa, Marine Auriol et Clément Martinez, trois collégiens d’un établissement très ordinaire de Miramas ont obtenu un 4ème prix au concours international Intel Isef, un des plus importants événements scientifiques internationaux. Leur réussite montre deux choses. D’une part on peut construire un véritable projet pédagogique et apprendre beaucoup en mettant un jeu vidéo au centre du projet, ici un simulateur de navigation. D’autre part, la pédagogie de projet rebat les cartes. Grâce au génie et à l’engagement de leur professeur, Francis Loret, les collégiens de Miramas sont passés devant bien des établissements prestigieux.
Du 9 au 13 mai, à Los Angeles, 1500 jeunes venus de 65 pays se sont affrontés à l’occasion d’Intel Isef devant un jury comprenant 1200 juges, dont 6 prix Nobel. Nos collégiens de Miramas ont tellement bien défendu leur projet, en anglais, qu’ils ont obtenu le 4ème prix de la catégorie Mathematical Science Grand Awards, ex aequo avec une autre équipe française, celle d’un autre établissement français ordinaire, le lycée Vinci de Montaigu.. Ce succès interroge dans un pays où existe une hiérarchie brutale entre établissements prestigieux et les autres. Francis Loret, professeur de mathématiques et animateur de l’atelier scientifique du collège Albert Camus de Miramas, nous explique comment il a mené cette aventure exemplaire.
Votre projet s’appuie sur un jeu , un simulateur de navigation ?
L’atelier scientifique du collège a participé à une course simulée du Vendée Globe qui a opposé près de 200 000 personnes. Nous avons fait partie des 79 qui ont battu le record actuel de la course. Ce résultat a été obtenu grâce à un important travail de recherche scientifique qui a abouti à la programmation d’un robot de navigation capable en permanence de faire les bons choix de navigation en fonction des informations récoltées.
En classe les élèves font de la géométrie dans une seule dimension. Pour mener le bateau dans le simulateur et gagner il faut apprendre les règles de la géométrie dans l’espace. Donc on quitte la salle de classe et on se retrouve face à des chercheurs ou un professeur d’université pour apprendre de nouvelles formes de géométrie. Mais il faut aussi être capable de lire une situation météo, donc on recueille les explications d’un spécialiste de Météo France. Et on transforme tout cela en règles de navigation pour le robot.
Dans les concours scientifiques traditionnels, les Olympiades de maths par exemple, les prix sont raflés par des lycées prestigieux. Comment expliquez-vous la réussite d’un établissement comme le collège Albert Camus de Miramas ? Comment vous faites pour passer devant ?
C’est vrai que les moyens des lycées que vous citez sont considérables. Ils ont des élèves qui ont de très grandes capacités. Mais pour gagner un concours comme le notre, qui ne consiste pas à réussir des exercices de maths en temps donné, mais à aller au bout d’un projet, ce sont d’autres qualités qui sont nécessaires. Il faut de l’huile de coude et de la débrouille parce qu’il faut se déplacer, trouver les partenaires capables de donner un coup de pouce. Par exemple, nos trois collégiens ont du sortir sur trimaran de course avec un navigateur pour comprendre comment il évolue dans l’espace marin, comment s’exercent les forces. Ils ont du trouver des centaines d’heures de travail mais aussi des partenaires. Au collège nos trois jeunes ont plus de temps pour faire cela que les lycéens des grands établissements qui sont accaparés par leur chasse à la mention.
Mais ça veut dire que ces enfants d’un établissement plutôt défavorisé peuvent battre des plus défavorisés quand la situation pédagogique change. Cela tient à la nature de l’épreuve ou à la pédagogie déployée ?
Je crois en la pédagogie de projet pour ces jeunes collégiens. C’est elle qui donne du sens à ce qu’ils font. C’est pour trouver les bonnes routes de navigation qu’ils ont du poser des questions complexes de géométrie , par exemple comment éliminer un point dans un polygone.
Comment avez-vous organisé ce travail ?
Chaque année j’anime un atelier scientifique qui accueille de 30 à 70 jeunes de 4ème et 3ème de tous niveaux. Dans cet ensemble certains iront beaucoup plus loin que d’autres. En fin de compte ceux qui vont le plus loin apprennent à faire équipe. On utilise tous les temps que l’on peut. On travaille sur l’horaire d’accompagnement personnalisé mais aussi durant les récréations, à midi… On fait comme on peut.
Cela engage d’autres disciplines ?
Mes collègues de SVT, de lettres, d’anglais nous ont beaucoup aidé pour réussir ce concours.
Comment faites-vous pour trouver des scientifiques capables de répondre aux questions des jeunes ?
Je fais jouer les réseaux par exemple celui de l’IREM. On prend le temps nécessaire pour aller voir le chercheur qui nous donne un peu de son temps. Je veux remercier Julien Cassaigne et Glenn Marlet, de l’Irem, Pierre Encrenaz, astrophysicien à l’académie des sciences ou Gilles Camus, un biologiste. Ou encore Marc Boyer Chammard, DSI à la CMA CGM. Tous ont aidé les collégiens à comprendre les questions scientifiques que posait leur projet. Mais je dois aussi remercier Kate Helary, la professeure d’anglais du collège qui les a fait réviser leur présentation en anglais.
Quelles qualités sont mobilisées par un projet comme celui-ci ?
Ce projet surdéveloppe les qualités dans l’équipe. Il met en valeur leur diversité. Par exemple, pour réussir ils doivent apprendre à communiquer entre eux et avec les autres, à s’exprimer et pas seulement à faire des maths. Dans l’équipe il y a un excellent programmeur en C++ qui est le père du robot de navigation. Ce jeune était plutôt renfermé. Le projet lui a appris à échanger avec les autres, jeunes ou scientifiques. La force de l’équipe c’est sa diversité.
Comment avez vous financé le projet ?
Cela a été très difficile car on est dans un pays où les concours scientifiques ont une place très modeste par rapport à ce que peuvent faire d’autres pays comme l’Allemagne, le Brésil (qui alignait 30 équipes), l’Inde, Porto Rico (33 équipes) ou la Chine (50 équipes). Le conseil général, le conseil régional, l’association Maths pour tous, Animath nous ont beaucoup aidé pour aller au bout de ce projet.
Ces jeunes sont en troisième. Que deviennent-ils ?
Durant le projet les jeunes ont découvert l’entreprise. Leur robot de navigation a une valeur commerciale et ils ont appris à le présenter devant des chefs d’entreprise. L’un d’entre eux est déjà en lycée en série S. Les deux autres, qui étaient en 4ème au moment du projet, choisissent leur orientation. L’un veut devenir ingénieur. Marine, une jeune fille très déterminée, veut devenir pilote de chasse. Le troisième, plutôt littéraire en fait, veut devenir journaliste scientifique. C’est la diversité de cette équipe qui lui a permis de gagner.
Propos recueillis par François Jarraud
Liens :
Vidéo de présentation de l’évènement Miramas France
Vidéo de présentation du contenu en présenté en anglais par les élèves
Vidéo de présentation de la progression du travail au cours de ces 12 derniers mois