Par François Jarraud
Des bacheliers professionnels conduits au master en 5 ans ? Impossible ! C’est pourtant le pari de l’Ecole Vaucanson. S’il est trop tôt pour savoir si l’expérimentation relèvera jusqu’au bout ce défi, la réunion du conseil scientifique de l’école, le 22 juin, permet de faire le point. Malgré les difficultés et les peurs, en s’appuyant sur une pédagogie de projet que certains diraient inaccessible aux bacheliers professionnels, le projet avance. Le Café a rencontré des étudiants impliqués et épanouis, des enseignants bien motivés et des dirigeants qui savent où ils vont. L’Ecole pourrait bénéficier de l’engouement pour la voie professionnelle que les statistiques du bac mettent en évidence.
La première promotion de l’école Vaucanson compte 18 étudiants, tous bacheliers professionnels. Ils préparent, pour 14 d’entre eux, une licence Sciences, technologie, santé mention sciences pour l’ingénieur et, pour 4 jeunes filles, une licence droit, économie, gestion mention économie, gestion, langues. Celles-ci ont obtenu un bac pro services, vente, commerce ou comptabilité. Ceux-là (ce sont des garçons) viennent de bac pro MEI, électrotechnique, ELEEC ou technicien d’usinage. Tous sont e contrat d’apprentissage pour trois ans dans de grandes entreprises (Michelin, Thalès, GDF, EDF, Schneider, Air liquide, Lafarge, PSA). La seconde promotion est en sélection. Vaucanson a reçu plus de 70 dossiers, en a retenu 40 et pense avoir de 24 à 30 étudiants en première année l’an prochain.
C’est que le projet a de quoi séduire un bachelier professionnel. « Environ 100 000 jeunes deviennent bacheliers professionnels sans qu’o ait songé à mettre en place une filière leur permettant de poursuivre des études sans avoir à renoncer à ce qu’ils ont appris précédemment », souligne Michel Pébereau, président du conseil scientifique de Vaucanson. Car le projet c’est de prendre en compte les savoirs professionnels pour former des ingénieurs. Vaucanson veut leur permettre « d’atteindre des niveaux de compétences comparables à ceux de leurs camarades des voies traditionnelles mais sans quitter la voie professionnelle ». On a là une des originalités du projet avec le maintien du master en 5 ans. Pour M. Pébereau, l’enjeu est double. « On ne peut plus dilapider le potentiel de talent des bacheliers professionnels… Il y a aussi un enjeu social : ces jeunes proviennent des minorités visibles. Vaucanson offre une voie d e promotion sociale mais aussi quelques chose d’exemplaire pour toute la voie professionnelle ».
Une pédagogie originale. Pour Vincent Merle, directeur de l’Institut Vaucanson, il s’agit de « redonner le goût d’apprendre de façon à ce que les élèves aient les bases pour que le choses changent ». Toute la scolarité est organisée en projets, les jeunes étant auteurs de leur formation. Les étudiants doivent pour mener leur projet faire preuve d’initiative et développer les compétences nécessaires. Par exemple, un groupe travaille sur une serre horticole. Ils doivent réaliser le dossier de remise en état de l’installation électrique de la serre. Un autre a du imaginer la création d’un restaurant fast food, c’est à dire faire une étude de marché, travailler le design du restaurant et sa carte, donc sa politique de prix et la communication du restaurant. Un autre a réalisé un dossier financier pour une première acquisition de logement, dossier défendu devant un jury de banquiers. Pauline Alamichel, professeur de marketing, assimile son enseignement à du coaching. « La pédagogie de projet est utilisée en école de commerce. Mais c’était nouveau pour ces élèves. Il faut les rassurer mais aussi fixer les exigences. La particularité des élèves c’est leur autocensure. Une fois qu’on l’a levée leur imagination et leur implication prennent le dessus ».
Le défi est de taille. La pédagogie est très différente de celle du bac professionnel où les élèves sont très dirigés pour les enseignements théoriques. L’autonomie n’est pas à l’ordre du jour. Si Vincent Merle se refuse à faire un bilan pédagogique, il estime que « tous sont en train e changer. Un tiers des étudiants est en grande capacité d’apprendre, un tiers a pris le pli des méthodes nouvelles mais a besoin d’être aidé pour devenir autonome. Un tiers est e difficulté et a besoin de renforcement. Ce qui est important c’est que tous disent progresser. Ils redécouvrent le plaisir d’apprendre ». Pour Michel Pébereau, dans une université classique 90% aurait échoué. Jean-Pierre Boisivon parle de « bricolage héroïque ». « Personnellement je trouve le bilan de cette année plutôt positif « , nous confit William Pédard, apprenti chez Michelin. « Au début on était découragé tellement c’était nouveau », nous dit-il avec beaucoup d’aisance. « Et puis les enseignants ont revu leur méthode et on va vers le mieux. Les points les plus difficiles c’est la théorie en électrotechnique où il faut assimiler beaucoup de connaissances ».
L’expérimentation se heurte à des difficultés. « Tout le monde est d’accord pour trouver ce projet intéressant. Mais beaucoup sont sceptiques », nous dit Christian Forestier, administrateur général du CNAM, partenaire de Vaucanson. « En fait tout le monde nous dit « allez-y d’abord ! ». Les entreprises prennent les apprentis de Vaucanson au compte goutte car ils sont nettement décalés par rapport aux étudiants d’école de commerce ou d’ingénieur ou de BTS. L’Etat, qui avait promis de nombreux postes de professeurs de lycée professionnel pour encadrer les jeunes n’en a finalement donné.. qu’un seul ! Début mai, Vincent Merle nous confiait que le projet était « sur le fil du rasoir ».
Des projets d’extension. Pourtant l’école Vaucanson prépare son extension. A la rentrée 2012 elle devrait ouvrir de nouveaux sites à Rennes, en Champagne et à Nantes. « On ne vas pas révolutionner l’enseignement professionnel », promet M Pébereau. Mais si ça marche on aura régler le problème de l’orientation par l’échec dans la voie professionnelle ». Une récente étude de Vincent Troger a pu montrer que la voie professionnelle devenait une filière choisie par certaines familles pour accéder à l’enseignement supérieur. La forte hausse des candidats au bac pro cette année montre qu’une mutation semble s’opérer. Vaucanson, en ouvrant une voie d’excellence pour les bacheliers professionnels, participe à cette évolution.
Liens :
Bilan d’une année ambitieuse
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/05/16_Vaucanson.aspx
Du bac pro au master avec Vaucanson
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2011/bb2011_30.aspx