Par Jeanne-Claire Fumet
Quels usages du numérique permettraient d’optimiser l’orientation scolaire et professionnelle à travers un vaste réseau dématérialisé ? C’est autour de cette question que l’ONISEP et Centre Inffo, deux principaux acteurs du service public d’orientation voulu par les pouvoirs publics selon la loi sur le droit à l’orientation du 24 novembre 2009, ont invité les professionnels de l’orientation à se rencontrer, les 14 et 15 juin, dans les locaux de la Fédération Française du Bâtiment à Paris. Dépasser le clivage entre orientation initiale et orientation en cours d’emploi, ouvrir largement les voies de l’information aux usagers, élèves, familles, salariés ou demandeurs d’emploi, rompre avec les représentations obsolètes d’un choix irréversible et rendre chacun autonome et responsable dans son parcours professionnel grâce aux nouveaux moyens de communication numérique, tel est le défi lancé aux spécialistes de l’orientation. Mais quelques ombres demeurent : fracture numérique, fragilisation des réseaux locaux, déréalisation des parcours, quelques écueils dont les participants rappellent qu’il faudra tenir compte.
Une notion anthropologique de l’orientation. Le choix des locaux de la FFB n’est pas neutre, a souligné Jean-Pascal Charvet, directeur de l’Onisep : « arc de reconnaissance entre la formation initiale et continue », elle montre que l’orientation active tout au long de la vie n’est pas une abstraction théorique, mais un concept qui permet de s’interroger sur les conditions pour doter l’élève, dès le départ, des meilleures conditions et moyens de son autonomie future. Un ensemble de nouvelles mesures, a-t-il ajouté en se référant aux récentes réformes scolaires, tend à favoriser le mûrissement d’un choix plus réfléchi. C’est la conception « anthropologique » de l’orientation qui évolue : ce moment clé vient s’inscrire dans le temps réel du parcours de l’élève, non plus comme un couperet définitif qui le condamnerait mais comme une étape. Le développement du web ne rend pas l’hésitation moins forte au moment de se décider – en confère l’expérimentation de la plate-forme de l’ONISEP sur RTL, le 10 juin dernier, qui a suscité de très nombreux appels au sujet de la procédure de choix APB. Ces outils numériques seraient vains, affirme JP Charvet, s’ils voulaient se substituer aux pratiques existantes. Les réseaux de médiations humaines restent irremplaçables sur le terrain, conclut-il, d’autant que l’injustice sociale reste forte devant le numérique.
Complémentarité, maître-mot de l’évolution. Pour Julien Veyrier, directeur de Centre Inffo, la coopération de l’ONISEP et du CIDJ, spécialistes de la formation initiale, avec Centre Inffo, plus tourné vers la formation continue des adultes, constitue une réelle opportunité d’enrichissement mutuel, et la labellisation des outils locaux déjà existants, loin de les menacer, devrait en assurer la reconnaissance et la pérennité. La virtualisation met en valeur les complémentarités : l’actuel portail d’information et d’orientation voulu par l’État, et le futur portail « orientation pour tous » prévu pour juin 2011, sont le signe d’une mutation du système de la formation professionnelle dans le sens d’un développement prometteur.
Qui utilise quoi et comment, en matière de numérique ? demandait pourtant Christian Bensi, consultant en technologies de l’information, soucieux de rectifier quelques erreurs de perspective courantes. Si 78% des français sont connectés, ce sont les 12/17 ans qui possèdent le plus d’ordinateurs. Mais la proportion d’accès sur le lieu d’étude reste forte. 10% des étudiants n’ont pas d’accès à internet, et les cadres supérieurs sont 4 fois plus connectés que les autres CSP. La différence entre diplômés et non diplômés est déterminante, quel que soit l’âge, dans la « fracture numérique ». L’argument de générations « digital natives », ces jeunes gens nés dans un environnement numérique et qui en maîtriseraient spontanément les arcanes, est un trompe-l’œil : très habile techniquement et gestuellement face aux machines, les jeunes usagers n’en restent pas moins très inégaux devant la compréhension et l’analyse des données fournies par le net. De même, un fort usage ludique de l’outil ne prédispose en rien à l’effort de recherche, d’étude, d’attention et de discernement que requiert l’utilisation de dispositifs d’information professionnelle. Et ceux qui auraient le plus besoin d’aide sont les moins intéressés par ce que leur offrent les structures d’aide locales. « Comment les aider ? » demande Christian Bensi. « Il faudrait mettre de l’humain dans internet, dans les relations informatiques ; c’est là que la complémentarité peut jouer un rôle ». Le géolocalisation et les serious games semblent les poids lourds actuels du numérique ; peut-être faut-il trouver un moyen de les utiliser dans les portails d’orientation ? Quant aux réseaux sociaux, cible favorite des actions éducatives virtuelles en raison de leur popularité (26% des 9/10 ans et 55% des 11/12 ans, en principe interdits d’inscription, possèdent déjà des comptes sur Facebook), ils satisfont plus un souci de reconnaissance que d’ouverture au monde, chez les jeunes gens.
Développer le partenariat école – entreprise. A l’occasion d’une table ronde qui rassemblait un panel d’intervenants liés au dispositif SPO (Service public d’Orientation), Jean-Marc Huart, sous-directeur des lycées et de la formation professionnelle tout au long de la vie à la DGES du Ministère de l’Éducation nationale, a clairement affirmé le sens de la démarche ministérielle : internaliser l’orientation scolaire en responsabilisant davantage les enseignants, et renforcer les relations école/entreprises, pour construire des diplômes, développer la formation, la connaissance de l’entreprise (mini entreprises du dispositif « entreprendre pour apprendre », par exemple) et de ses métiers, par le biais de partenariats renforcés dès le collège.
Francis Da Costa, président du comité paritaire national pour la formation professionnelle et membre du MEDEF, appelait cependant à la prudence devant un « adéquationnisme » illusoire entre formation et emploi, et au respect des aspirations de chacun. Les accords de partenariats se renforcent et se développent de manière régulière, en particulier avec l’Université. En tant que représentant des partenaires sociaux, insiste sur le fait qu’« orienter signifie accompagner la décision de l’autre, pas décider à sa place, et que cela suppose d’accepter que l’erreur soit formatrice » – même s’il remarquait, à propos d’une question sur la difficulté de trouver un stage en entreprise, qu’il ne suffit pas d’avoir choisi une entreprise ou un métier pour obtenir ce qu’on veut.
Même virtuelle, la voie vers le monde du travail n’est pas simple : François Falise, directeur de formation à la FFB, évoquait les difficultés concrètes du travail du bâtiment, qu’il valait mieux découvrir in situ pour en prendre conscience – mais aussi pour changer l’image très « moyenne » de ce secteur dans l’esprit du public. Face au risque d’être noyé sous l’information, il préconise pour les jeunes l’expérience concrète de la réalité « qui donne du sens à l’orientation », surtout pour ceux qui sont peu réceptifs aux données abstraites. « Pour découvrir un métier, rien ne remplace la rencontre avec un professionnel », dit-il.
Des usagers saturés d’informations, c’est aussi la difficulté que rencontre Armel Guillet, responsable du FONGECIF d’Ile de France : s’il estime absolument nécessaire d’engager l’utilisation d’outils virtuels (3 millions d’usagers potentiels pour 140 agents, dans ses services), la sélection de sites fiables et la démarche d’accompagnement durable sont les enjeux à privilégier dans l’avenir. Quant à Bruno Lucas, directeur général adjoint de Pôle Emploi, il cherche surtout comment faire d’internet le moyen d’optimiser les entretiens physiques et de capitaliser le travail effectué avec le demandeur d’emploi, sous forme d’un enregistrement des étapes de ses démarches.
Au terme de ces échanges, le projet prometteur et stimulant d’un grand portail public virtuel de l’orientation laisse planer quelques ombres : l’inquiétude réaffirmée des professionnels de terrain quant à la disparition progressive de leurs fonctions, la crainte, pour les réseaux locaux et les structures existantes, d’une absorption par le dispositif national unifié, le danger de négliger la vocation généraliste de l’école, seule à même d’assurer aux futurs professionnels l’adaptation nécessaire sur le marché du travail, le manque de prise en compte de la « fracture numérique » qui alarme les observateurs sociaux, enfin le risque de décalage entre des parcours virtuellement auto-construits par les usagers, et la réalité sociale et économique parfois très éloignée – toutes raisons qui semblent plaider en faveur du maintien et du renforcement des réseaux de conseils personnels assurés par les CO-Psy, les CIBC et Pôle Emploi dans le cadre de l’accueil des usagers.
Quelques plates-formes d’orientation à découvrir.
Un atelier de travail sur la présentation d’exemples de plates-formes a permis au public de se familiariser avec l’offre existante en matière d’outils d’orientation dématérialisés.
Deux portails nationaux, celui de l’ONISEP présenté par Philippe Daubignard, directeur de projets :
www.mon-orientation-en-ligne.fr
et celui de Centre Inffo, présenté par Karim Bangoura, directeur multi-média :
Un portail régional, présenté par Chantal Deniau, responsable pôle ressource C2RP :
et une plate-forme téléphonique présentée par Cyril Pattegay, directeur du service ressources Uniformation : 01 53 02 02 53