Par Justine Margherin
« Don’t Be Evil» (ne fais pas le mal) est la phrase choisie par l’entreprise Google. Étonnant non ? On ne s’attend pas à une telle devise de la part de ceux qui ont la main mise sur les ressources du web.
Une histoire à dormir… où au fait ?
Où n’est pas Google ? Où ne sera-t-il pas s’il ne l’est pas encore. Randall Stross nous conte l’histoire de la « Planète Google » en posant, en sous titre la question : « Faut-il avoir peur du géant du Web ? ».
A lire cet ouvrage (accès facile), on frémit souvent, on sourit quelque fois, mais chapitre après chapitre, on se construit une représentation de plus en plus claire du développement de l’entreprise Google. Google est un phénomène. Tout le monde peut le concevoir aisément : qui n’a pas loué ses services au moins une fois ? Google c’est aussi une entreprise, Sergey Brin et Larry Page en sont les fondateurs. C’est une devise : « Don’t Be Evil ». Et c’est aussi un objectif : « organiser toutes les informations du monde ». Alors difficile de ne pas mettre en parallèle le développement formidable du moteur, et des multiples applications et… Big Brother. Alors confiance ? Méfiance ? Défiance ? Quelle optique prendre ?
A la lecture de cet ouvrage -très précisément documenté- mais dont on regrette l’insupportable renvoi des notes en fin d’ouvrage, on ne sait plus trop.
Admiration
Admiration pour avoir compris et pour comprendre ce qu’est le web et surtout ce qu’il sera dans l’avenir, le futur proche ou pas. C’est là que je mettrai la force de Google. Pas dans la puissance du développement des techniques (impressionnante), pas non plus dans le désir fou de ses fondateurs (quoique!), pas plus dans leurs multiples essais… non, dans la compréhension de ce que le web sera le lendemain d’aujourd’hui. Cette longueur d’avance c’est une organisation, ce sont des recrutements, c’est une gestion d’entreprise qui le permet, c’est… c’est le nez, le flair, la volonté de toujours repartir de cette phrase qui sonne comme une volonté de fer : « organiser TOUTES les informations du monde ». Et dans le « toutes », on trouve le texte (origine du développement du Page Rank), la vidéo, le son, la Terre, les mails … (Google maps, google Earth, gmail, google docs…). L’organiser pour la mettre à disposition des usagers d’internet. Le tout sans « a priori » d’installation d’un commerce entre l’usager et Google. Pas de relation marchande. Et cette relation non marchande rapporte, rapporte énormément. A l’origine, il y a ce programme qui fait le lien entre les informations recherchées ou utilisées par le « Google adept », leur exploitation sémantique (on pourrait dire une exploitation mécanique, automatique) et les liens publicitaires avec les entreprises. Ce montage économique est aussi une sacrée opportunité, un talent qu’il faut bien reconnaître. C’est ce qui a donné une formidable croissance économique à l’entreprise, croissance qui lui a permis de pouvoir consacrer temps, équipes et argent pour aller de l’avant. Et quels développements ! Une stratégie que l’on peut qualifier de stratégie de conquête. On a envie de voir, à la lecture globale du livre, les armées qui crient « en avant ! » et qui sont prêtes à tout balayer pour arriver à leur but. Pourtant, si l’on s’arrête au détail de la mise en œuvre de quelques applications (Google Earth par exemple) on voit bien que si la volonté « féroce ? » d’avancer est sous-jacente, Google sait attendre et observer (juste ce qu’il faut, certes), Google sait revenir en arrière lorsqu’il s’est trompé. Google sait reconnaître qu’ils se sont trompés… pour mieux rebondir. On pourrait développer le vocabulaire militaire et aller à dire pour mieux envahir…
La révolution numérique de Google est à la fois bruyante et silencieuse
« Guidé par sa mission fondatrice, organiser toutes les informations du monde, Google a constitué des capacités de stockage qui lui permettent, mieux que quiconque, de connaître les pensées et les actes de ses utilisateurs, et d’en conserver trace indéfiniment, sans avoir à effacer les anciens enregistrements pour en accueillir de nouveaux. » (page 76) Ce qui rend ces avancées un tantinet vertigineuses. Alors certaines arrivent tranquillement, d’autres avec grand renfort de discussions : révolutions à la fois bruyantes et silencieuses, mais à chaque fois révolution. Changement de paradigme assuré !
L’exemple de la mise en œuvre de gmail est éloquente : Google va savoir ce que contiennent mes mails… Bruyante aussi la sortie de Google Earth : rendre visible par tous des espaces… privés.
Silencieuse car ces applications, tellement fonctionnelles, tellement utiles, tellement simples… sont vites intégrées et en masse.
Vous ne qualifieriez certainement pas les démarches de Google d’hésitantes. Pourtant en allant de l’avant, on se rend compte que bien des fois, ils ont dû faire marche arrière pour se repositionner. L’exemple de Google Print devenant Google Book Search est un exemple assez parlant. Idée première : 2001, Sergey Brin et Larry Page décident que la numérisation des ouvrages est trop lente. « A ce jour, vous n’avez accès qu’à ce qui se trouve sur Internet, expliquait Page. Pas à ce qui se trouve dans les bibliothèques. Pas à ce qui se trouve dans les journaux ou dans leurs archives, en général. Pas à tous les programmes de télévision qui ont été diffusés un jour. Mais ça viendra ». (page 111) Cette lenteur devient un frein. Les deux fondateurs décident de forcer un peu cette marche lente. L’investissement paraissait alors insurmontable à qui souhaitait numériser les fonds des bibliothèques. C’est le début de la mise en œuvre du « rêve d’une bibliothèque universelle ». Leur assurance financière associée à un culot monstre… les pousse à chercher des accords. C’est ainsi qu’Amazon entre dans le circuit, intéressé par les liens publicitaires. Puis ce sont certaines bibliothèques américaines, partenariat qui permet à Google de contourner les règles du droit d’auteur (américain bien évidemment). Le projet avançait ainsi à grands pas, faisant fi des problèmes de droits d’auteur… jusqu’à ce que cette dernière question apparaisse au grand jour. Stop. Arrêt (silencieux). Procès. Arguments. Contre arguments… « Google et ses défenseurs allaient inlassablement invoquer l’image incontestable du traditionnel catalogue sur fiches. […] Quand dans l’histoire de l’homme la loi a-t-elle requis l’autorisation d’un auteur (ou d’un éditeur) pour qu’une œuvre puisse être répertoriée dans un catalogue sur fiches ? » (page 127). Google exécutait ce travail, officiellement, non pas comme une numérisation des œuvres, mais une numérisation qui permettait aux moteurs de recherche d’aller interroger le contenu de l’œuvre pour en permettre le référencement. Ainsi le résultat d’un moteur de recherche était-il assimilé à une fiche de catalogue bibliographique. Argument astucieux ? Toujours est-il que le projet Google Print abandonné pour Google Book Search, a permis de fédérer sur le projet vingt huit bibliothèques, de régler des problèmes logistiques et techniques, de réunir au final une bonne partie des textes publiés dans le monde. CQFD
Cette démarche se reproduira pour d’autres applications. En fonction des centres d’intérêt des lecteurs, certains s’arrêteront sur Google Earth et la problématique de l’image, de l’espace public, sur Gmail, etc.
Des leçons ?
Une leçon au moins : celle du départ. Sergey Brin et Larry Page n’avaient pas seulement le génie de l’informatique et des applications. Ils avaient avant tout compris que le web était en croissance et que c’était la croissance qui imposait aussi une multiplication de la complexité qui était un défi à relever. « Là où d’autres moteurs de recherche étaient submergés par la croissance du volume des informations disponibles, incapables de distinguer parmi les pages web celles qui avaient le plus de chances d’être utiles, le système PageRank de Google a été conçu dès le départ pour détecter à travers le Web des indices d’utilité, avec un degré de raffinement inconnu jusqu’alors. Plus son moteur de recherche absorbe de pages, plus PageRank récolte d’indices qui lui serviront à trier les pages web en fonction de leur pertinence probable. En ce sens, la technologie de Google se nourrit d’elle-même » (pages 58-59)
Droits d’auteurs, vie privée, notion d’information, marketing, gestion d’entreprise, management, direction des ressources humaines, développement technologique, informatique, philosophie… cet ouvrage se prête à une étude dans bien des disciplines et devrait être présent dans les CDI. Il serait intéressant de l’aborder à travers plusieurs disciplines, on pourrait notamment penser aux filières STG, aux BTS… qui trouveraient là, non seulement un cas d’école, mais aussi un point de départ à une réflexion profonde sur la société de l’information d’hier (un monde qu’ils ne peuvent concevoir par rapport à nous), d’aujourd’hui et de demain tant l’écriture retrace ce mouvement incessant. Équilibre dynamique, et ô combien dynamique, que ce système de gestion de l’information qui bouge dans la partie gestion et accès à l’information, mais pas seulement. Pas seulement parce que les applications développées bougent nos frontières sur bien des points : le droit, les langues, la notion d’information, la source, la propriété, l’espace et tant d’autres. Alors lisons le livre pour être aptes à réfléchir, aptes à prendre conscience des implications de l’usage de nos outils et pour pouvoir prendre part aux débats.
STROSS, Randall. Planète Google : faut-il avoir peur du géant du Web ? Ed. Pearson, 2009.
ISBN 978-2-7440-6369-5
12,90 euros
Vers le site de l’éditeur
http://www.pearson.fr/livre/?GCOI=27440100736520