Les « serious games » font souvent parler d’eux depuis plusieurs mois. Même s’ils ne sont pas vraiment nouveaux (rappelons nous, dans le monde scolaire les logiciels « A la recherche de Carmen San Diego » et autre « Galswin », et depuis 2000 le développement de produits se classant comme tels), ils sont venus sur le devant de la scène du fait d’un engouement réel, en particulier dans le monde de la formation professionnelle en entreprise.
Plusieurs évènements ont marqué cette évolution cette année. Le récent Forum des Serious Games 2011 a été l’occasion de faire le point. Hélène Michel, directrice de la recherche de l’école supérieure de commerce de Chambéry a répondu à nos questions (voir ci-dessous) car le travail qu’elle a mené porte sur la question de l’efficacité et de la pertinence pédagogique de ces outils. Dans ses propos et dans les dernières publications de ses travaux de recherche, on repère le fait que progressivement on peut s’apercevoir de l’intérêt pédagogique de ces outils, en particulier en renforcement d’acquis initiaux, mais moins dans les apprentissages premiers.
Le monde de la formation professionnelle est traditionnellement plus porté sur l’expérimentation d’outils nouveaux que le monde scolaire ou universitaire. C’est pourquoi c’est dans ce monde, en premier que ce sont développés de tels jeux. Mais c’est aussi dans l’approche de publics non scolarisés, le grand public en général, que les serious games se font progressivement une place et prennent de l’ampleur, parfois en lien avec des campagnes d’information publicitaires. La question de l’efficacité de ces outils est évidemment première, dès lors que l’on veut les diffuser. Les pédagogues ont depuis longtemps utilisé les ressorts du jeu pour les intégrer dans leur activité quotidienne. Mais jouer s’oppose dans la rhétorique traditionnelle à l’injonction de travailler, et dans le monde scolaire le jeu est davantage synonyme de récréation que de salle de classe… C’est pourquoi le jeu est resté longtemps suspect aux yeux des enseignants. Associer le mot jeu au mot sérieux est peut-être un moyen d’inviter à des expérimentations. C’est en tout cas ce qu’on constate dans de nombreuses expérimentations menées en ce moment, en particulier dans l’enseignement supérieur.
Les jeux sérieux permettent-ils vraiment d’apprendre ? La question doit être complétée par une deuxième : si oui, quels genres d’apprentissages s’effectuent ? Dans une analyse d’un jeu comme « save our souls » (TM) qui porte sur l’apprentissage des premiers secours, on s’est aperçu que les apprentissages portaient davantage sur l’impression de déjà vu, que sur les compétences techniques, cette impression étant déjà source de gestes de meilleure qualité ou au moins d’évitement de mauvais réflexes. Sébastien Hock-Koon lors du séminaire de septembre dernier à l’université de Poitiers (lien ci-dessous) montrait que pour maîtriser un jeu ordinaire il fallait développer un grand nombre d’habiletés et de connaissances particulières. Ainsi il nous signalait que jouer c’est surtout passer un long temps à apprendre le jeu. Mais il ajoutait, à l’instar d’Hélène Michel que la nature de ces apprentissages était peu « scolaire », voire même a-scolaire, ou antiscolaires. Et pourtant les jeunes y passent des heures.
Que les jeunes soient capables de se passionner pour des activités ludiques, individuelles ou collaboratives, numériques fait rêver tout enseignant confronté aux difficultés de motivation, d’intérêt ou de concentration. Faut-il dès lors intégrer les jeux vidéos dans la classe ? Cette question déjà posée dans un dossier de l’ingénierie éducative publié en 2009 montrait que ces essais, ces expériences restaient occasionnelles. Auparavant le jeu de rôle ou plus encore la simulation, deux mécanismes intégrés souvent dans les jeux sérieux, ont été reconnus pour leur intérêt pédagogique. Mais il y a un saut culturel majeur que le monde de l’enseignement peut avoir du mal à franchir. L’un des risques serait la confusion, un autre risque serait la démagogie. La confusion serait de ne plus distinguer ce qui est sérieux de ce qui est du ludique. La démagogie serait de tenter de tromper les jeunes par une apparence ludique cachant un fond sérieux. Dans les deux cas, le risque envisagé est celui de ne pas convaincre longtemps les jeunes de la sincérité de cette approche. Le jeu sérieux touche l’émotionnel et à ce titre il est un important moteur d’aide à l’apprentissage. Pierre Babin et Marie France Kouloumdjain, dans leur livre, « les nouveaux modes de comprendre » publié en 1983 (Paris, Ed du Centurion, 1983) disaient la même chose à propos de l’importance de l’émotionnel dans l’apprentissage.
L’une des clefs du jeu sérieux serait qu’il utilise des ressorts profonds de l’émotion pour permettre ensuite au jeune d’accéder à la compréhension. D’aucun diront qu’il s’agit d’apprentissages qui ne sont pas de même nature que les apprentissages scolaires et universitaires. D’autres diront qu’il s’agit d’apprentissages informels, voire inconscients et que ce ne sont que des habiletés qui émergent, pas des connaissances scolaires, ni même des compétences. Ce qui trouble l’analyse c’est que malgré toutes les mises à distances du monde académique, l’univers du jeu qui environne les jeunes prouve qu’ils sont capables de « faire des efforts » de « se concentrer » de « travailler en équipe ». Or c’est souvent cela qui est reproché aux jeunes dans les études classiques. C’est pourquoi la question des « serious games » mérite qu’on l’étudie de près, ne serait-ce que pour en tirer quelques apprentissages sur les nouveaux modes d’apprendre des jeunes dont les systèmes scolaires et universitaires ont la charge
Bruno Devauchelle
Quelques adresses pour aller plus loin :
Le site du forum tenu cette semaine
http://www.forum-seriousgames.com/site/home/.html
Le compte-rendu du Café
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/04/06serieux.aspx
Dossier Enseigner avec le jeu
http://cafepedagogique.net/lemensuel/laclasse/Page[…]
Le jeu sérieux une vieille idée (J Alvarez)
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2009/0[…]
Les actes du campus européen d’été du département IME de l’université de Poitiers de septembre 2010
http://uptv.univ-poitiers.fr/web/canal/44/theme/35/m[…]
L’intervention de Sébastien Hock-Koon
http://uptv.univ-poitiers.fr/web/canal/44/theme/35/m[…]
Le site de quelques écoles et site de recensement de formation dans le domaine du jeu vidéo (le serious game étant souvent une sous partie de ces formations)
http://www.afjv.com/annuaire_ecoles_jeux_video.php
Quelques blogs sur le thème :
http://www.serious-game.fr/wordpress/index.php
Jeu sérieux
Save our souls
red cross game (croix rouge)
http://redcrossthegame.nl/site_en/
Jeux et Simulations éducatifs, Etude de cas et leçons apprises, Sous la direction de Louise Sauvé et David Kaufman, Presses de l’Université du Québec 2010.