Si le film documentaire ou de fiction est un document régulièrement utiliser dans le cadre d’un cours d’histoire, son efficacité pédagogique est rarement interrogée. D’où l’intérêt d’une recherche menée en 2009 par le professeur Andrew C. Butler.
L’utilisation de films historiques dans l’éducation n’est pas un phénomène récent. Régulièrement, les enseignants y ont recours notamment parce que le film accroîtrait l’intérêt et la motivation des élèves. Dans le même temps, le film de fiction en classe d’histoire est mal vu, car il contient des inexactitudes historiques importantes. Et quand est-il de son efficacité pédagogique dans les apprentissages des élèves ? C’est ce qu’a voulu déterminer une recherche publiée en 2009 par le professeur Andrew C. Butler de l’Université de Washington à St. Louis. [1]
Selon Butler, les enseignants ont souvent recours à des films historiques, populaires et à grand spectacle. Ceux-ci représentent, entre 1981 et 2005, un tiers des nominations du meilleur film aux Oscars hollywoodiens.
Dans leur recherche, Butler et ses associés ont choisi d’étudier l’effet sur l’apprentissage du visionnement d’extraits de films associés à un travail sur des textes historiques. Ils ont choisi spécifiquement des films contenant à la fois des informations exactes et inexactes. Les informations inexactes dans ces films représentaient d’importantes distorsions qui étaient explicitement contredites dans les textes. Quelle serait alors l’influence de l’extrait de film sur la mémoire des élèves ?
Au niveau pratique, conformément à l’utilisation généralement faite en classe du film par les enseignant-e-s, certains élèves ont regardé le film en classe avant d’étudier le texte historique et d’autres élèves ont étudié le texte historique avant de voir l’extrait du film. D’autre part, certains enseignant-e-s avant de visionner un extrait de film mettent en garde leurs élèves. Dès lors, pour observer l’impact de telles mises en garde, certains élèves ont également reçu soit un avertissement très général, soit un avertissement plus spécifique.
Deux expériences ont alors été menées.
Concernant la première, neuf textes historiques et six extraits de films portant sur plusieurs sujets ont été lus et visionnés par les élèves. À chaque texte correspondait un extrait de film sauf pour trois textes qui servaient de procédure de contrôle pour l’expérimentation. Comme indiqué ci-dessus, l’ordre de présentation entre texte et film variait par sujet. Une semaine après, les élèves ont été interrogés à la fois sur les textes et les films.
Concernant la deuxième expérience, celle-ci a été conçue pour reproduire et étendre les conclusions de la première. Cependant, deux modifications ont été introduites. Premièrement, le texte et l’extrait de film ne sont plus présentés l’un après l’autre. Au lieu de cela, un mélange d’autres textes et de films d’une durée de 35 minutes a été intercalé entre la lecture du texte et de l’extrait filmique associé. Deuxièmement, après le test de contrôle, il a été demandé aux participants d’identifier la source d’information (film ou texte) leur ayant permis de répondre à chaque question.
Les résultats
Lors de l’analyse des résultats, Butler et son équipe parviennent à la conclusion que l’association film-texte, quel que soit l’ordre, fournit de meilleurs résultats que l’étude du texte seul. D’autre part, les participants jugeaient les textes plus intéressants quand ils pouvaient les associer à un extrait de film que quand ils avaient seulement lu le texte.
Ces deux expériences illustrent les avantages et les coûts potentiels de l’utilisation de films grands publics pour améliorer l’apprentissage et la rétention des textes associés. Lorsque l’information dans le film était compatible avec l’information contenue dans le texte, les résultats de la restitution de l’information sont supérieurs d’environ 50% par rapport à la lecture du texte seul. Bien qu’il puisse sembler évident que deux présentations doivent conduire à de meilleurs résultats, Butler et son équipe rappellent que d’autres expériences de lectures multiples de textes ont mis en évidence une amélioration moindre, dans ces conditions, dans la restitution de l’information comparativement à une seule lecture. L’encodage de l’information étant différent avec le film, ceci expliquerait les meilleurs résultats ainsi obtenus.
Toutefois, lorsque l’information dans le film contredit le texte, des participants ont souvent restitué la mauvaise information du film. Cet effet s’est produit en l’absence d’avertissement ou lorsque seule une mise en garde générale a été fournie avant la présentation de l’extrait de film. En outre, les effets des informations erronées issues des extraits ont été très importants: près de la moitié de toutes les mauvaises réponses aux questions du texte-film en étaient issues.
En conclusion de leur étude, Butler et son équipe soulignent que regarder des films d’histoire grand public a des effets positifs et négatifs sur l’apprentissage des textes associés. Si ces films peuvent améliorer l’apprentissage et l’intérêt dans la salle de classe, les enseignant-e-s doivent aussi être conscients que ces films contiennent souvent des inexactitudes historiques que retiendront certains de leurs élèves. La solution consisterait alors à fournir aux élèves des avertissements spécifiques avant de les visionner.
Pour ma part, il paraît évident que la seule lecture et le seul visionnement ne sont pas suffisants en soi. De véritables activités doivent être conduites par les enseignant-e-s avec leurs élèves pour leur permettre de distinguer entre film et histoire. Par ailleurs, le travail effectué avec un film ne saurait se limiter aux questions de restitution d’information et à une histoire-récit conduite soit à l’aide de textes et/ou d’un film. [2]
Lyonel Kaufmann, Professeur formateur, Didactique de l’Histoire, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse)
[1] Butler, A. C., Zaromb, F., Lyle, K. B., & Roediger, H. L., III (2009). Using popular films to enhance classroom learning: The good, the bad, and the interesting. In Psychological Science, 20, 1161-1168. L’article au format .pdf :
[2] A ce sujet, vous pouvez consulter notre travail fait, avec mes collègues, en formation initiale :
http://lyonelkaufmann.ch/histoire/mes-cours/mshis11/ (séance 1 et 2).
Pour sa part, dans un ouvrage récent, Dominique Briand fournit d’autres intéressantes pistes de travail : Briand D. (2010). Enseigner l’histoire avec le cinéma. Caen : CRDP de Basse-Normandie.
Sur le site du Café
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