« Cette réforme est intéressante. Mais elle va déboucher sur des difficultés faite d’avoir envisagé la suite », explique Jean-François Le Borgne, président sortant du SNIA-IPR, premier syndicat des inspecteurs IPR. Il répond à nos questions sur le rapport que vient de remettre l’Inspection générale et la réforme du lycée.
Le rapport s’appuie sur 36 établissements, souvent prestigieux, de 8 académies. Que pensez-vous de sa méthodologie ?
En regardant la liste des établissements, j’ai l’impression moi aussi qu’on les a sélectionné. La plupart ont l’habitude des expérimentations et on peut s’attendre à ce que les résultats y soient plus favorables. Les résultats transmis dans mon académie (qui n’a pas été retenue pour le rapport ) montraient de très fortes disparités. Par exemple, pour l’accompagnement personnalisé (AP), des méthodes très différentes. Le plus surprenant c’était le mécontentement des élèves hostiles à l’AP soit parce qu’ils le jugeaient inutile, soit parce qu’ils voulaient du soutien ou qu’ils regrettaient des heures de cours supprimées. On peut aussi regretter que peu de parents aient été concernés par l’enquête. On ne les a pas interrogé.
Outre ce mécontentement, la réforme a-t-elle eu un impact sur le climat dans les établissements ?
Pour la plupart des élèves elle a généré plus de temps de présence dans le lycée. Elle n’a pas répondu à la demande de soutien.
Le rapport signale des difficultés dans l’évaluation des enseignements d’exploration (EE). Qu’en pensez-vous ?
C’est vrai que l’évaluation particulière des EE, différente de l’évaluation traditionnelle, a rendu les choses plus complexes pour les parents. Pour les élèves en difficulté cela a rendu l’orientation plus difficile en les confortant dans des idées sur ce qu’ils pouvaient faire. On a donné une coloration TPE à environ un tiers des enseignements. Et c’est très intéressant. Mais, quand c’est noté, les élèves ne peuvent pas comprendre ensuite pourquoi on leur refuse telle ou telle orientation alors qu’ils ont de bonnes notes. Et pour les parents c’est plus flou.
Cela peut avoir des conséquences sur l’orientation ?
Le problème c’est que les structures des établissements, par exemple en nombre de professeurs, ne vont pas changer. Si plus d’élèves à l’issue de la seconde ont plus de choix et que l’offre reste la même, les élèves qui seront tangents vont être contraints d’aller là où ils ne souhaitent pas aller. Ils risquent d’être frustrés. On risque de revenir aux conseils de classe tranchants du passé. On a pas trop envisagé la suite.
Quel premier bilan faites-vous de l’accompagnement personnalisé ?
Quand on a un véritable AP, quand les enseignants s’en sont emparé, c’est très bien. Mais ce n’est pas le cas partout. On retombe souvent dans le vieux travers : deux mois de méthodologie et le reste de l’année à approfondir dans sa discipline. Tout va dépendre de l »existence d’une équipe pédagogique et de sa réflexion. On risque fort de revenir à l’ancienne aide individualisée à beaucoup d’endroits.
Le rapport évoque aussi les emplois du temps en barrettes (enseignements mis en parallèle dans l’emploi du temps des élèves). Qu’en pensez-vous ?
C’est très dur à mettre en place car cela génère de grandes contraintes. Il y a aussi un risque d’éparpillement s’il n’y a pas de concertation des enseignants. Celle-ci est indispensable. On se rend compte qu’en fait la réforme pose des questions importantes comme le temps de présence des enseignants dans les établissements. Or la réforme a été lancée de façon précipitée. C’est une réforme intéressante mais elle va déboucher sur des difficultés faute d’avoir envisagé la suite. L’orientation en première, les changements de structure, l’organisation du temps scolaire, rien n’a été anticipé. Or tout cela demande des négociations avec les enseignants. Quand on précipite trop on risque le découragement. La réduction des moyens va aussi aller dans ce sens. On oublie trop que l’on a besoin des professeurs.
Propos recueillis par François Jarraud