Par François Jarraud
Pour Josette Théophile, directrice générale des relations humaines du ministère, » cette fébrilité est étonnante ». Pourtant la nouvelle d’une modification en profondeur de la procédure d’évaluation des enseignants est arrivée brutalement le 2 février. On apprenait qu’un test était lancé dans quelques établissements et écoles. Les syndicats demandent des négociations. J. Théophile se veut rassurante…
Gros émoi le 2 février chez les syndicats d’enseignants et d’inspecteurs. Des chefs d’établissement ont fait savoir qu’ils avaient reçu un courrier de la Directrice des relations humaines du ministère annonçant une nouvelle évaluation des enseignants ayant 2 ou 20 ans de carrière. Ils subiraient un entretien de carrière avec leur chef d’établissement dans le secondaire ou leur IEN dans le primaire. La nouvelle a d’abord été démentie par le ministère puis confirmée, signe d’un certain trouble Finalement on comprenait le 3 février que les fameuses lettres concernaient deux choses distinctes mais liées entre elles : des entretiens de carrière proposés aux enseignants ayant 2 et 20 ans de carrière et une future réforme de l’évaluation.
Pacte de carrière. L’administration proposera aux enseignants ayant 2 ans et 20 ans d’ancienneté des « entretiens de carrière » en mars avril, le dispositif annoncé dans le courrier ministériel étant considéré comme une « phase de test ». L’entretien après deux ans sera l’occasion de « vérifier la maitrise dans l’exercice du métier ». Après 20 ans, il portera sur « une éventuelle mobilité fonctionnelle ». Ces entretiens, qui s’inscrivent dans le « pacte de carrière » voulu par Luc Chatel, seront réalisés par l’inspecteur dans le primaire ou le conseiller pédagogique (CPC) ou même le directeur d’école. Mais de sources syndicale on annonce que le ministère revient sur la participation des CPC et directeurs. Dans le secondaire c’est le chef d’établissement qui en sera chargé.
Une nouvelle évaluation. D’autre part, à partir de 2012, un nouveau dispositif d’évaluation des enseignants sera mis en place en remplacement de la notation actuelle. Il reste à définir mais il pourrait se rapprocher de l’entretien de carrière puisque le courrier envoyé par le ministère l’affirmait.
Le Se-Unsa a fait savoir qu’il n’était pas opposé au principe des entretiens » parce qu’ils peuvent répondre à la demande de collègues », mais qu’il conteste la méthode : « non seulement il n’y a eu aucune concertation au plan national, mais la profession n’a eu aucune information, ce qui est inacceptable ». Le syndicat conteste » la menée de ces entretiens par le supérieur hiérarchique direct. C’est source de confusion avec la procédure d’inspection ». Le syndicat demande aux directeurs et CPC de refuser de mener ces entretiens. « Les modalités doivent être revues ainsi que le calendrier : pas de généralisation sans bilan de l’expérimentation ».
Du côté de l’UNSA, le SNPDEN, syndicat des chefs d’établissement, estime que l’idée de ces entretiens n’est pas révoltante en soi. C’est déjà ainsi que sont évalués les chefs d’établissement. Mais il ne voit pas comment techniquement il sera possible de passer de la gestion de masse des enseignants à une gestion individuelle. P Roumagnac, pour le SIEN, syndicat d’inspecteurs, « le fait de mener de tels entretiens ne s’improvise pas et ni les chefs d’établissement, ni les inspecteurs ne sont formés pour cela. La généralisation brutale de la démarche apparait donc totalement contre-productive ». Après l’expérimentation surprise, le ministère vient d’inventer l’évaluation à la hussarde. Qui évaluera sa précipitation brouillonne, sa brutalité, sa capacité à créer le désordre, son incapacité à négocier et mobiliser ?
Interrogé par le Café, Michel Gonnet, secrétaire général du SNPI FSU, un syndicat d’inspecteurs, est d’abord surpris. « On ne sait rien sur cette mesure et ma première réaction c’est que cela démontre une certaine conception du dialogue social. Dans le premier degré, c’est faisable, c’est déjà ce qu’on fait. Dans le second degré c’est différent. Cette mesure est la négation de la discipline. Pour nous un bon prof c’est déjà par rapport à sa discipline ». Dans un courrier adressé à Josette Théophile, directrice générale des ressources humaines, le 5 février, Michel Gonnet, secrétaire général du Snpi, écrit : « Je prends donc acte de la mise en œuvre d’un dispositif dont vous écrivez qu’il « nécessite la mobilisation des IEN… » mais sur lequel nous n’avons pu formuler aucune observation. C’est donc avec la plus grande surprise que les inspecteurs ont découvert hier son existence par la presse. Ils en ignorent les finalités et les modalités ; ils ne connaissent pas non plus les moyens dont ils disposeront pour le mettre en œuvre ». Le Snuipp demande aux enseignants de ne participer à ces entretiens que s’ils sont volontaires. Il demande aux CPC et directeurs de refuser de les faire.
« Autant le Sgen-CFDT n’est pas opposé à une évolution de l’évaluation des personnels enseignants pour mettre fin aux inspections infantilisantes et prendre en compte l’ensemble des tâches du métier, autant l’absence de dialogue avec les organisations syndicales et d’information des personnels préjugent mal des changements à venir », écrit le Sgen Cfdt. » La précipitation dans laquelle ces entretiens se mettent en place, l’absence de préparation des personnels d’encadrement chargé de faire les entretiens et l’opacité sur l’utilisation de ces entretiens ne peuvent que susciter des réactions de refus des personnels ». Le Sgen demande au ministre « d’engager les discussions avec les organisations syndicales ».
Interrogé par le Café, le Syndicat SNIA IPR, qui revendique une majorité d’adhérents chez le millier d’inspecteurs IPR-IA, évoque ses doutes sur la future évaluation des enseignants. » A la première lecture du pacte de carrière du ministre Chatel , il y a presque un an , le SNIA IPR a cru y reconnaître ses propositions . Mal , lui en prit , les propositions du MEN nient presque l’existence de nôtre rôle dans la gestion de carrière des professeurs », nous dit Jean-François Le Borgne, président sortant du SNIA IPR.
Le syndicat n’est pourtant pas hostile à une évolution de l’évaluation des enseignants. « Le SNIA IPR a proposé il y a déjà cinq ans de mettre en place un système rénové d’inspections pour les professeurs en trois temps ( début de carrière , 15 ans et 25 ans ) afin de rendre plus claire les options offertes aux professeurs… Dans les classes , pour l’instant , les IA IPR sont encore les moins mal placés ,pour dire et proposer des solutions acceptables par presque tous . Enfin pour la mise en oeuvre des réformes , les IA IPR se sont fortement investis pour trouver des solutions avec les enseignants de collèges et de lycées mais le SNIA IPR sait que pour réussir des profondes réformes , il faut du temps et des moyens pour, entre autre chose , assurer la formation de tous ( même celle des IA IPR ) .Et là , le manque est patent ».
Pour le SNIA IPR, le risque d’une évolution de l’évaluation est disciplinaire. « Si on supprime au nom d’une efficience rêvée les missions de nos collègues , le système retrouvera très rapidement des modes de contrôle où l’excellence disciplinaire voire le disciplinaire tout court pourrait laisser la place à l’efficacité marchande : un choix qui n ‘est pas le nôtre ».
Chatel : Où sont passées les bonnes intentions ? « Je souhaite vraiment être à la hauteur du gestionnaire des ressources humaines que je dois être ». Le 31 août le Café recueillait ces propos de Luc Chatel qui sonnent maintenant étrangement après l’expérimentation brouillonne des entretiens individuels. La veille de la rentrée, rue de Grenelle, Luc Chatel consacrait une bonne heure au Café pédagogique pour exposer sa politique. La principale annonce c’était la politique de revalorisation et la réforme de l’évaluation des enseignants. « Dans chaque académie on met en place un système d’entretiens une première fois après 2 ans de carrière et une deuxième entre 40 et 50 ans », nous disait-il. « Les services des ressources humaines de chaque académie recevront les enseignants et feront avec eux un bilan… On veut qu’il y ait une part plus grande dans l’évaluation à l’engagement de chaque professeur. Je suis prêt à discuter l’évolution du dispositif. On ouvre ce chantier avec les organisations syndicales… On a besoin de l’inspection et de son regard pédagogique ».
Cinq mois plus tard, ces engagements n’ont pas été tenus. La revalorisation ne concerne que les débutants et la tentation dans la majorité serait plutôt à la réduction salariale. Si l’entretien de carrière a bien lieu, sa mise en place se fait sans concertation avec les syndicats. Et les inspecteurs sont furieux d’être mis à l’écart.
Fin janvier, dans une réunion interne de l’UMP, selon le blog de L Debril, Luc Chatel s’était laissé à dire que l’évaluation des enseignants devait échapper aux corps d’inspection. » Il faut revoir le fonctionnement du corps de l’inspection et créer des entretiens d’évaluation avec des personnalités indépendantes, qui ne soient ni des inspecteurs, ni des chefs d’établissement ». Est-ce, là aussi, un programme pour l’après 2012 ? Ou la fuite du 2 février annonce-t-elle une décision avant les élections ?
Communiqué Se-Unsa
http://www.se-unsa.org/spip.php?article2925
Blog Debril
http://blogs.lexpress.fr/mammouth-mon-amour/2011/02/01/l[…]
Dossier Evaluer les enseignants
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/lesysteme/Pages/[…]
La paye au mérite ?
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/lesysteme/Pages/[…]
Entretien de rentrée avec Luc CHatel
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2010/08/C[…]
Evaluation des enseignants : de mauvaises solutions pour un bon problème
A la suite des révélations du Café sur les projets de retirer l’évaluation des enseignants aux inspecteurs, Pierre Frackowiak revient sur le problème de l’évaluation, et analyse les dangers qu’une telle réforme ferait encourir à l’Education Nationale, et plaide pour un processus plus concerté et plus soucieux de faire progresser le système.
« Il était nécessaire et même urgent de réformer l’évaluation des enseignants. Il était nécessaire de redéfinir les missions des enseignants. Il est incontestable qu’il n’y a pas de projet alternatif sur ce problème complexe, ni dans les syndicats, ni dans les projets politiques (hors l’UMP). Il aurait été d’autant plus souhaitable d’engager une concertation, une réflexion collective avec des experts, avec les enseignants et avec les inspecteurs et chefs d’établissement. Il aurait été souhaitable de prendre le temps de mettre en œuvre l’intelligence collective, de consulter les parents et les partenaires de la communauté éducative. Une fois de plus, les choses se font dans la précipitation, dans la recherche d’effets d’annonces, dans le bricolage au coup par coup alors que notre pays a besoin d’un grand projet éducatif neuf, cohérent, réellement et clairement inscrit dans un projet de société lisible et mobilisateur. »
Lisez la tribune de Pierre Frackowiak
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2011/[…]
Josette Théophile : » Cette fébrilité est étonnante »
Directrice générale des ressources humaines, Josette Théophile est l’auteur des fameuses lettres adressées à certains établissements organisant des entretiens individuels et envisageant une réforme de l’évaluation des enseignants. Elle nous reçoit à notre demande pour donner son point de vue sur cette affaire et sur l’évolution du métier d’enseignant.
L’annonce des entretiens individuels et de la nouvelle évaluation des enseignants a suscité beaucoup d’émoi. S’agit-il de mesures nouvelles ?
Les entretiens professionnels sont un élément du dispositif du « pacte de carrière » qui remonte à 2009. Le pacte comprend 5 volets : la revalorisation des nouveaux enseignants, le droit individuel à la formation (DIF), l’accompagnement à la mobilité, la prévention des risques professionnels et l’évaluation des enseignants. La revalorisation est instituée depuis la rentrée 2010. On vient d’y ajouter la prime d’intérêt collectif et la prime de tutorat. Le DIF lui aussi fonctionne depuis la rentrée. On a déjà reçu 276 demandes de DIF et 44 ont reçu un accord essentiellement pour des projets d’accompagnement à la mobilité. On a ouvert un portail sur la mobilité qui offre une vision globale et qui a déjà reçu 80 000 visiteurs. Pour la prévention des risques professionnels on a recruté 13 médecins et on propose une visite de prévention aux enseignants âgés de 50 ans dans 6 départements.
Pour en revenir aux entretiens professionnels, ils ont été annoncés au Comité technique paritaire. Ils tiennent compte du fait que le métier évolue et d’une demande des nouveaux enseignants qui souhaitent être suivis par l’institution. On a donc choisi deux moments privilégiés pour les réaliser, en début de carrière, à 2 ans d’ancienneté, et au bout de 20 ans. A ces deux moments le DRH académique ou le conseiller à la mobilité doit recevoir les enseignants en difficulté ou qui en font la demande. Il s’agit de les écouter et de voir avec eux s’ils sont bien où ils sont et comment on peut les aider à évoluer.
Enfin il y a l’évaluation des enseignants. Là aussi on en a bien sur parlé avec les organisations syndicales. Tout le monde est d’accord pour dire que le métier d’enseignant a évolué et que l’évaluation actuelle ne reflète qu’une partie des tâches qu’effectuent les enseignants, celles qui ont lieu en classe. Et cet effet est renforcé par la notation administrative qui a un impact très mécanique. Le ministre veut changer cela. Il a ouvert un chantier qui se terminera à la fin de l’année. Il y a une forte convergence pour dire que la notation doit intégrer un entretien d’appréciation et pour prendre comme guide le référentiel des compétences des enseignants élaboré en 2006. Il y a aussi accord sur l’idée qu’il faut un regard croisé et pas celui du seul chef d’établissement ou de l’IPR. Sur ce point on va consulter les syndicats dans les semaines qui viennent. On sera à même de proposer plusieurs scénarios au ministre et aux syndicats à la rentrée 2011.
Comment expliquez vous l’effet de surprise qu’il y a eu à l’annonce des entretiens et de l’évaluation ?
On ne voulait pas communiquer sur ces entretiens avant de pouvoir les généraliser. Mais le courrier qui a été envoyé dans les établissements était un simple document technique. On est d’ailleurs maintenant en plein test. Mais cette fébrilité est étonnante. La surprise des enseignants devant ces mesures n’est pas réelle puisque ils ont reçu une lettre du ministre à la rentrée qui annonçait le dispositif. Du coté des syndicats peut-être auraient-ils souhaité une concertation sur ces documents techniques et c’est vrai qu’on a démarré la phase de test rapidement. Pour nous il est clair que si on ne faisait pas ces tests maintenant on perdait un an. Il n’y a eu avec eux qu’un seul désaccord sur le fait que les conseillers pédagogiques ou les directeurs d’école pourraient conduire les entretiens. On a tenu compte de leur avis.
Que devient la place des IPR dans ces entretiens ?
On souhaite garder un regard croisé et c’est un point d’accord avec les inspecteurs. Les inspecteurs demandent cela.
Beaucoup d’enseignants veulent quitter le métier, probablement des milliers. Or cette année vous avez accordé 44 formations DIF. Un chiffre à mettre en rapport avec les 80 000 visiteurs du site « mobilité ». N’y a-t-il pas un grand écart par rapport aux attentes ?
On veut que les enseignants sachent que des portes peuvent s’ouvrir, qu’il peut y avoir de la fluidité. Souvent d’ailleurs quand ils font le tour de leur démarche ça les conforte dans le métier d’enseignant. Le seul vrai problème de désaffection que l’on a c’est avec les agrégés qui enseignent en collège. Ils jugent mal l’écart entre leur qualification et leur travail au collège.
Avez vous un personnel suffisant pour faire ces entretiens ? Les syndicats d’inspecteurs et de chefs d’établissement disent qu’ils ne peuvent pas traiter la masse des enseignants.
Il y a plus de monde qu’avant. En général 3 personnes par académie. Et quand ils sont aidés par les chefs d’établissement, les CPC, les inspecteurs, ils n’ont pas des masses de personnes à voir. D’ailleurs plusieurs académies, comme Versailles ou Nantes, pratiquent déjà les entretiens individuels.
Que pouvez vous proposer au personnel qui souhaite quitter l’enseignement ?
Il n’y a pas de solution miracle mais on pourra bientôt proposer de bouger vers un emploi dans l’administration. Ou aller vers un emploi de CPE. Enfin beaucoup partent vers les collectivités locales.
Sur quels principes allez vous évaluer les enseignants ?
On verra cela quand on aura progressé sur cette question. On n’a pas terminé toutes les consultations.
Quand on écoute les enseignants, les changements qu’ils attendent dans leur métier c’est la reconnaissance réelle du travail en équipe, la prise en charge de tout ce qu’ils font en plus du travail en classe. On en est encore loin…
Si on modifie l’évaluation des enseignants c’est pour reconnaître tout cela qui pourra être pris en compte pour les promotions. Ce sera une reconnaissance réelle.
Vous vous heurtez à une baisse importante du recrutement des enseignants. Dans quelle mesure est-ce lié à l’annonce médiatique de l’impréparation des stagiaires, dans quelle mesure est-ce lié au fait que les salaires enseignants sont trop faibles pour un master ?
Les difficultés ne sont pas plus importantes que les autres années. Deux phénomènes expliquent la baisse du nombre des candidats. Il y a un phénomène conjoncturel : on a organisé deux sessions de recrutement la même année au printemps et en automne et on a puisé deux fois dans le même vivier. D’autre part, dans le premier degré, l’annonce de la baisse de moitiés du nombre de postes a un effet sur les candidatures. Dans le second degré la baisse touche des disciplines particulièrement : maths, physique par exemple. Là il est clair qu’il y a de plus en plus de diplômés mais qu’ils vont ailleurs. C’est possible que la rémunération joue ou encore le contenu du métier. Par contre les candidats qui se présentent sont d’un niveau plus élevé que d’habitude. Il n’y a pas de baisse de niveau.
Entretien : François Jarraud
Sur le site du Café
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