Par Jeanne-Claire Fumet
Le nouveau dictionnaire des PUF consacré aux Faits religieux, paru en octobre 2010, soulève la difficulté de l’approche extérieure et objective d’un phénomène vécu comme une évidence intérieure de tradition et fidélité : que peut-on dire de valable de la religion qui ne soit ou purement descriptif (historique) ou fidèlement exégétique (dogmatique)? Cependant, la place croissante des faits issus de la sphère du religieux dans le domaine public appelle un éclaircissement rationnel et critique des éléments de cette aventure humaine, dont les effets idéologiques et politiques relèvent moins que jamais d’une aspiration au transcendant. Les expliquer et les relier entre eux pour en montrer la genèse causal et les implications conceptuelles, c’est le difficile pari relevé par les contributeurs de cet important volume.
Réaliser un dictionnaire consacré au phénomène religieux est un pari risqué. D’un côté, le contexte socio-historique suscite à juste titre la curiosité du public, soucieux de comprendre les enjeux des tensions contemporaines ; d’un autre côté, pour informer clairement et de manière abordable, il faut se résoudre à quitter l’interminable voie de l’histoire des religions et entrer droit au vif de l’actualité, sans se couper des causes des phénomènes étudiés.
Régine Azria et Danièle Hervieu-Léger proposent de répondre par la voie analytique et critique des sciences sociales – d’où le choix du titre de leur ouvrage : Dictionnaire des faits religieux. Comment définir, en effet, l’objet même de cette étude ? Régine Azria s’en explique en introduction : l’étude des différentes religions n’épuise pas le sens du phénomène religieux, mais on ne peut pas non plus instancier ce phénomène comme un « invariant » humain (la religion) sans risquer de le soustraire aux outils de l’étude de terrain. C’est donc la recherche elle -même qui va constituer son objet encore indéterminé, par le croisement des significations et des matières prises dans le recensement des faits.
Or recenser les faits soulève une nouvelle difficulté : le lexique du vocabulaire courant les recouvre d’une sédimentation « de préconceptions et et de représentations implicites » dont l’analyse critique doit manifester le sens et dégager les acceptions rigoureuses. Régine Azria évoque ainsi les attentes du public à l’égard de notions comme l’amour, le blasphème, la confession, qui renvoient à des sphères précises de l’imaginaire collectif mais n’ont pas nécessairement de pertinence décisive dans l’étude du religieux. A l’inverse, certains mots du registre religieux ont trouvé une postérité féconde dans les sciences sociales (par exemple le terme diaspora) dont il faut pouvoir répondre au rebours de leur glissement sémantique.
Enfin, paradoxe de méthode, le dictionnaire doit concilier la généralité des entrées la plus vaste et la plus grande précision des analyses, pour ne pas perdre la complexité des objets traités. Pour y parvenir, les auteurs ont procédé par une classification arborescente (« montée en généralité ») transposée ensuite en table des matières alphabétique, des entrées d’une part, des matières d’autre part. Ainsi, explique Régine Azria, les notions d’antijudaïsme, antisémitisme, judéophobie et islamophobie sont traitées dans une même notice sous le titre de haines ethniques et religieuses, ce qui constitue à la fois une règle de classement et un principe revendiqué de neutralité. Autre exemple, moins évident, la notion de révélation, dont la signification semble indissociable du système qui la valide en la nommant ; on la trouve traitée en plusieurs articles distincts (Divin, Écoles juridiques en islam, Kant, Langues, Modernisme, etc.) dont la diversité montre assez les difficultés de conceptualisation qu’elle soulève.
Autres écueils : favoriser les entrées par « grandes religions » historiques, au risque de conduire les notices vers un accroissement de généralité au détriment du singulier, ou à un excès de précision au prix d’un dédale inextricable ? Comment échapper au christiano-centrisme quand les outils des sciences sociales sont nés en Occident, dans le creuset des Lumières ? Régine Azria retient principalement deux approches : l’une procédant par analyse à partir des concepts vers la pluralité des faits sociaux ; l’autre procédant à partir des descriptions innombrables des faits dans le discours religieux vers l’élaboration de concepts invariants.
L’entreprise est immense et conçue par ses responsables comme un vaste chantier en mouvement, appelé à évoluer et à se compléter au fil du temps et des rééditions. En l’état, l’ouvrage constitue déjà une source d’information, mais surtout de questionnements problématiques, d’une remarquable richesse.
Régine Azria et Danièle Hervieu-Léger, Dictionnaire des faits religieux, PUF, Paris, 2010, Collection « Quadrige dicos poche ».
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