Par Monique Royer
Depuis 2004, RESF, Réseau Education Sans Frontières accompagne les enfants sans papiers et leur famille pour qu’ils deviennent des élèves comme les autres. Six ans déjà, serait on tentés de penser à l’heure où le réseau lance sa campagne 2010 destinée aux jeunes majeurs sans papiers. RESF est un réseau composé de profs, de parents, de citoyens à engagement variable mais constant qui ont souvent franchi le pas dans un élan d’indignation parce que l’enfance devrait être intouchable. A Carcassonne, le réseau RESF mène de nombreuses actions, la dernière en date étant le parrainage républicain d’enfants sans papiers, un exemple de cette résistance locale, anonyme et quotidienne à ce qui pour tous les humanistes est tout simplement inconcevable.
Au bout des exils
Samedi 20 à la Mairie de Carcassonne, les enfants sans papiers étaient à l’honneur lors d’une cérémonie fort protocolaire où 27 élus ceints de leur écharpe les accueillaient pour un parrainage républicain. Marie-Anne, Christine et Khaya faisaient partie des marraines, un engagement auprès des enfants et leurs familles pour les accompagner vers leur régularisation définitive. Huit enfants de 3 à 14 ans, appartenant à cinq familles azéries, arméniennes, roms, marocaines étaient concernées. Les situations et les origines sont diverses reflétant les réalités géopolitiques.
Fuyant la pauvreté, ou les conflits, les familles n’émigrent pas par choix calculé, par plaisir de voyager mais poussées hors de leur pays par la nécessité. Les enfants sont les premières victimes de cet exil forcé, coupés de leur environnement, leurs copains, leur langue, leur école. Les conflits dans les pays du Caucase, en Azerbaidjan, en Arménie, en Tchétchénie ou au Daghestan jettent sur les routes les populations. Rejetées en Russie où elles sont victimes de racisme, elles recherchent une terre d’accueil pour pouvoir vivre tout simplement. Le bouche à oreille leur fait fuir des lieux réputés inhospitaliers comme la Pologne ou la Grèce pour leur préférer l’Europe de l’Ouest, France en tête pour laquelle l’aura des droits de l’homme persiste encore, malgré tout. Le pays d’arrivée est fondamental puisque ce sera le leur au moins le temps de l’examen de leur situation en vue de leur régularisation. L’orientation en France est effectuée par les CADA, les centres d’accueil de demandeurs d’asile. Certains migrants arrivent à Carcassonne par cette voie, d’autres connaissent des amis, des membres de la famille installés ici. Des familles débarquent dans l’Aude aussi par le biais des filières de passeurs.
Pour les jeunes majeurs, le tableau est encore plus complexe. Persuadés d’être en règle car leurs familles ont été régularisées, des ados se retrouvent à l’âge de 18 ans sans papiers, victimes d’une règle administrative particulièrement pointilleuse. C’est vrai pour les jeunes d’origine algérienne venus en France avec leurs parents. S’ils sont arrivés avant l’âge de douze ans, pas de problème, ils sont régularisés avec leur famille. Arrivés après, même de quelques mois, ils sont sans papiers à leur majorité. D’autres ados sont venus seuls, rejoindre un parent, une vague connaissance dans l’espoir d’échapper à une situation économique ou politique invivable. En France, encore, un élève entre à l’école sans qu’on lui demande ses papiers. Clandestins dans la vie mais lycéen ordinaire le jour, les jeunes sans papiers tiennent à cette part d’ordinaire et extériorisent peu leurs difficultés, préférant taire leur situation plutôt que de s’exposer à la curiosité, à la différence.
C’est un problème auquel est confronté RESF : comment repérer les jeunes sans papiers pour leur venir en aide. Les infirmières scolaires, les documentalistes, les personnes qui n’interviennent pas directement dans le cadre de la classe, recueillent parfois des confidences et peuvent relayer l’information auprès du réseau. Mais ces relais sont trop peu nombreux au vu des cas potentiels. Des signes peuvent être détectés par les enseignants : impossibilité de participer aux sorties, mal être. Pour Christine, Marie-Anne et Khaya, il faut informer les enseignants des lycées, tisser des liens plus forts pour être en mesure d’accompagner les jeunes sans papiers dans leurs démarches de régularisation. La campagne lancée par RESF devrait aider à mieux faire connaitre cette situation.
Indignés donc engagés
Autre situation aberrante : celle des enfants nés en France de parents non régularisés. Enfants de nulle part, reconnus dans aucun pays, ils ne peuvent voyager même avec leur famille. C’est cela aussi être marraine ou parrain d’enfant sans papiers : prendre conscience et maitriser les rouages administratifs parfois absurdes. La charte du parrain précise leur engagement. « Nous les prenons sous notre protection », l’engagement est fort et revêt plusieurs formes : accompagner la famille dans ses démarches administratives, suivre la scolarité des enfants, s’engager en cas d’urgence et de menace d’expulsion. L’aide est aussi matérielle et passe par la collecte et le don de meubles, de vêtements, de quoi vivre pour des familles souvent démunies. Le soutien scolaire est un volet important pour des familles qui misent sur l’école pour réussir leur intégration et assurer un avenir paisible à leurs enfants. Le parrain ou la marraine ne se substituent pas aux avocats, assistantes sociales, personnels de santé qui accompagnent aussi la famille. Le réseau RESF fait le lien entre les parrains et avec les autres structures. A l’issue de la cérémonie de parrainage, l’enfant reçoit une attestation de parrainage qui prouve que « son détenteur a été placé sous la protection symbolique d’élus et de citoyens ». La mention des élus n’est pas anodine. A Carcassonne, le parrainage est républicain, les élus sont associés à la démarche et la soutiennent.
D’autres actions sont menées par Resf 11. Un mercredi sur deux un cercle de silence est organisé place Carnot, place centrale de la Bastide. Animé par trente à quarante personnes, le cercle de silence est une action non violente « alerter tous les citoyens sur le sort réservé aux personnes étrangères venues en France pour mieux vivre ou sauver leur vie ». Dans l’Aude ce sont environ 200 personnes qui sont mobilisables pour des actions ponctuelles ou pérennes. Resf peut aussi compter sur le soutien de nombreuses organisations associatives, syndicales et politiques locales comme la FAOL (Ligue de l’Enseignement), la Fcpe, la Fsu. Les actions ponctuelles sont menées par exemple pour contrer des risques d’expulsion ou des problèmes d’intégration. Un maire refusait de scolariser un enfant rom, la mobilisation a permis d’intégrer l’enfant dans l’école. Deux fois par an, des concerts sont organisés pour collecter des fonds afin d’aider financièrement les familles pour l’obtention de leurs papiers. Car une fois la régularisation obtenue, les familles devront débourser environ 1000 euros en timbres fiscaux pour la délivrance des papiers et l’ultime visite pour confirmer un état de santé et un niveau de maitrise de la langue offrant les garanties d’une intégration.
Marie-Anne, Christine et Khaya sont de tous les combats de RESF dans l’Aude. Leur motivation ?, l’indignation tout simplement. Elles brandissent le dernier ouvrage de Stephane Hessel « Indignez vous », comme un véritable manifeste. Pour elles, l’atteinte faite aux enfants est indigne, ne rien faire est inconcevable. Khaya glisse au cours de la conversation que ses propres parents juifs polonais, ont été cachés pendant la guerre par des paysans français, alors pour elle, c’est un juste retour des choses d’être aux côtés des enfants en exil et en souffrance. Pour toutes les trois, l’engagement ne se justifie pas, c’est juste un réflexe humaniste.
Prochain cercle du silence à Carcassonne : le 1er décembre Place Carnot à 17 h 30.
Article de l’Indépendant
http://www.educationsansfrontieres.org/article32551.html
Campagne de Resf à destination des jeunes majeurs sans papiers
http://www.educationsansfrontieres.org/article32224.html
Resf Aude
http://www.educationsansfrontieres.org/rubrique238.html
Sur le site du Café
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