Accrochée en forme de question provocante dans les pages Rebonds de Libération (3 décembre 2010), cette question est-elle bien posée ? Nos collègues Valérie Brun, Patricia Combarel, Marie Fernandes et Liêm-Khë Lugern qui l’ont lancée stigmatisent les impacts du discours sur le vieillissement de la population française en relevant des formulations ambiguës sur le coût des retraites. C’était peu après les débats parlementaires et un automne social plein de manifestants.
Pour nos collègues, écrire que l’accroissement du nombre des personnes âgées va coûter cher prépare « les esprits à l’acceptation de la réforme des retraites et, plus largement, de la remise en cause des acquis sociaux obtenus au lendemain de la Libération ». Ils regrettent que la vieillesse soit présentée « comme un poids » et la question vue que « du seul point de vue arithmétique », que les manuels aient oublié « la redistribution des richesses, favorable au profit depuis 1982 au détriment de la part salariale considérablement rétrécie depuis ».
Ils ont raison et tort. Raison, car cet impact sur le déficit n’est pas mentionné dans les manuels de géographie. Tort, car il l’est dans les manuels d’économie ! De choses l’une, soit on enseigne une géographie fourre-tout, avatar de cette géographie-carrefour, de cette « science de la synthèse » dans laquelle on mélange la démographie au développement durable, la pauvreté à l’industrie automobile, le tout enveloppé dans une vision catastrophiste qui percole depuis la médiasphère . Soit on s’en tient à des analyses de l’espace dans lequel vivent les sociétés, et la démographie, l’économie, la biologie, l’environnement ne sont que des facteurs d’explication fournis par le travail scientifique des chercheurs.
Que le papy boom pose la question des retraites n’est pas un scoop, ni de la propagande. Mais il est vrai que, logiquement, l’explication des retraites n’a rien à faire dans un manuel de géographie. Maintenant, et les auteurs en conviennent à la fin de leur tribune, les professeurs peuvent donner un avis sur un manuel qui n’est pas, qu’on sache, la table de la loi Education nationale. Les livres scolaires ont toujours été écrits avec des points de vue discutables qu’il revient au professeur précisément de discuter en classe. Et si nos quatre mousquetaires s’inquiètent des dérives de l’enseignement en ligne, qu’ils aillent voir sur les sites des quotidiens combien il peut être revigorant de lire les « réactions » des lecteurs aux articles qui ressemblent à une pensée unique d’agence de dépêches.
Il n’y a pas lieu de s’inquiéter sur l’affaiblissement de l’esprit critique aujourd’hui plus qu’hier. Quelle erreur ferions-nous de nous croire incapables de former les jeunes générations parce que l’idéologie libérale est partout ! Les manuels consignent les questions qu’une société se pose. Ceux qui, dans leur grenier, feuillettent de vieux manuels de leurs parents ne sont pas choqués d’y trouver de vieilles lunes colonialistes. A nous de dégommer ce qui s’écrit dans les manuels : l’école est bien là pour apprendre aux élèves à s’arracher aux fausses évidences et, pourquoi pas, ce que nos collègues appellent de la propagande.
Gilles Fumey est professeur de géographie à l’université
Paris-Sorbonne (master Alimentation et IUFM). Il a été
l’animateur des cafés géographiques (1998-2010).
Il est rédacteur en chef de La Géographie.
[1] « Géo catastrophe dans les manuels scolaires : c’est TF1, Metro & 20minutes ! » : http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=1957
Sur le site du Café
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