Web 2.0 : la pédagogie avant l’outil !
Dans un récent billet, Mila Saint Anne, professeure d’histoire-géo et invitée à un «Observatoire» en compagnie d’autres enseignants pour parler des TIC à l’école s’indignait que l’idée de placer la pédagogie avant l’outil semblait incongrue pour les autres enseignants présents. [1] Et pourtant, c’est fondamental y compris avec les outils dits du web 2.0. Illustration à l’aide d’une démarche entreprise depuis trois ans en didactique de l’histoire.
Dans mon institution de formation et pour la didactique de l’histoire, nous formons en deux semestres nos étudiant-e-s qui se destinent à l’enseignement au collège et en lycée. [2] Au premier semestre, les étudiant-e-s doivent réaliser un dossier concernant la construction d’une séquence d’enseignement-apprentissage et deux ateliers sont organisés pour leur permettre de concevoir une partie de leur dossier. Depuis trois, ans, le premier atelier est consacré à la question de l’élaboration de consignes d’activités opérationnalisables et se prolonge ensuite avec un travail sur leur niveau taxonomique (B. Bloom).
Pour différencier le côté formatif de l’exercice avec la partie certificative du dossier, il était impératif que ce ne soit pas les formateurs qui commentent le travail réalisé lors de ces ateliers et donc de favoriser une évaluation par les pairs. De plus, nous avons également pour mission de développer les compétences en média et technologies de nos étudiant-e-s. En outre, nos étudiant-e-s devaient pouvoir déposer leurs consignes et formuler leurs commentaires dans un temps donné, mais pas forcément tous au même moment en raison de la liberté académique dont ils disposent. Enfin, dans leur dossier de certification, les étudiant-e-s devaient revenir sur les commentaires de leurs camarades pour indiquer dans quelle mesure ils les prenaient en compte ou non. Pour les formateurs, la lecture de leur travail en atelier était donc nécessaire.
C’est à partir de ce contexte de formation que l’utilisation d’outils en ligne s’est imposée. Il restait à trouver l’outil le mieux adapté…
a) En l’an I : Google Docs j’utiliserai…
Comme nous avions déjà eu l’occasion entre formateurs d’utiliser Google Docs pour réaliser des documents collaboratifs, nous avons opté pour cette solution à l’automne 2008. Le fait que Google Docs se présente sous la forme d’un traitement de texte simplifié nous paraissait être un élément positif. Le fait qu’une activité de ce genre pouvait facilement être transposée par les étudiant-e-s avec leurs élèves était aussi un plus.
Les étudiant-e-s étaient répartis en groupe de trois. Chaque groupe recevait par mail le lien vers leur document et chaque étudiant-e devait se créer un compte google pour y accéder. Un soutien par mail leur était offert en cas de question ou de problème technique. Dans un premier temps, ils déposaient leurs consignes. Dans les semaines suivantes, ils rédigeaient et déposaient leurs commentaires à leurs camarades.
De cette première expérience, nous en avons retiré deux constats principaux. Premièrement, lors de l’évaluation avec les étudiant-e-s de ce premier semestre, ceux-ci n’avaient pas particulièrement eu l’impression d’avoir travaillé de compétence « technologique ». Deuxièment, nous avons néanmoins dû déployer un soutien technique aux étudiant-e-s relativement à la création de leur compte Google. Notamment parce que certains n’avaient pas créé leur compte à l’aide de leur adresse mail académique ou parce qu’il n’avait pas suivi strictement les indications fournies par Google pour la création du compte.
b) An II : Etherpad est mon ami
En 2009, nous avons décidé de simplifier encore l’accès au document à partir duquel les étudiant-e-s devaient collaborer. Nous avons recerché un outil en ligne qui ne nécessitait que l’introduction d’un mot de passe, fourni par mail aux étudiant-e-s avec le lien vers leur fichier.
Notre choix s’est alors porté sur Etherpad, un logiciel collaboratif uniquement centré sur le texte. De plus, Etherpad permettait de converser directement avec les étudiant-e-s rédigeant en ligne leur travail en cas de problème ou de question. En effet, Etherpad disposait alors d’un module chat disponible en simultané et en parallèle avec le traitement de texte.
A l’usage, le chat en direct s’est avéré fort utile avec quelques étudiant-e-s et les étudiants n’ont cette fois-ci rencontré aucun problème pour se connecter à leur fichier. Cependant, il était toujours nécessaire de créer un fichier par groupe d’étudiant-e-s et d’envoyer par mail le lien vers le fichier accompagné du mot de passe. En outre, depuis lors, Etherpad a été racheté par Google. [3]
c) An III : my Tumblr is rich
Cette année, non seulement il nous fallait trouver un remplaçant à Etherpad, mais le nombre d’étudiant-e-s est en augmentation et devrait continuer à croître ses prochaines années. Nous avons souhaité poursuivre avec le dispositif qui satisfait formateurs et étudiant-e-s tout en trouvant une solution qui ne nécessite pas de créer des groupes, des fichiers idoines et d’envoyer de multiples mails.
Nous souhaitions également éviter les usines à gaz parce que c’est la formation pédagogique et didactique qui nous importe et non pas de passer notre temps à répondre à des questions techniques. D’autant qu’en 2010, nous rencontrons toujours autant d’étudiant-e-s rétifs ou rapidement bloqués devant la technologie. Enfin, le caractère confidentiel devait être préservé.
Après un rapide tour d’horizon des solutions disponibles, ce sont des solutions de micro-blogging qui se sont imposées à nous. Deux plate-formes plus précisément : tumblr et posterous. [4] En effet, les deux solutions permettent à la fois de réserver l’accès à un micro-blog à l’aide d’un seul mot de passe (sans nom d’utilisateur) et, pour les étudiant-e-s, de rédiger ensuite un article. En outre, il est très simple d’y associer un service externe pour les commentaires qui devaient être rédigés et immédiatement être visibles lors de la deuxième séance. [5]
Pour des raisons d’affinités personnelles plus grandes notre choix s’est porté sur tumblr. Au terme de l’exercice, le bilan réalisé avec les étudiant-e-s a mis en évidence le fait que même les technophobes ont apprécié l’activité et aucun étudiant n’a rencontré de difficultés techniques. Dans les aspects positifs, les étudiant-e-s ont relevé le fait de pouvoir consulter l’ensemble des contributions et des commentaires déposés par leurs camarades. [6] De même, les étudiant-e-s ont apprécié que l’activité ait, à la fois, pu être réalisée lors d’une séance en présentiel et poursuivie hors séance. [7]
Au final, comme indiqué en préambule, ce sont toujours les questions didactiques et pédagogiques qui ont guidé nos choix depuis trois ans. Nous avons eu recourt à des outils technologiques, ici du web 2.0, parce que, compte-tenu de notre atelier et de ses conditions de réalisation, ceux-ci représentaient une véritable plus-value par rapport à d’autres solutions technologiques ou non. [8] En outre, une telle démarche a été rendue possible parce que notre équipe dispose tout à la fois des compétences didactiques, pédagogiques et techniques nécessaires pour l’opérationnaliser.
Lyonel Kaufmann, Professeur formateur, Didactique de l’Histoire, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse)
Notes
[1] Tacles, TIC et toc ! (http://milasaintanne.wordpress.com/2010/11/12/tacles-tic-et-toc/)
[2] Vous pouvez jeter un œil ici : http://lyonelkaufmann.ch/histoire/mes-cours/
[3] Néanmoins les créateurs d’Etherpad ont rendu le code de leur programme open source et on trouve des services ayant repris le concept. Le site d’Etherpad vous propose une liste de site à ce sujet : http://etherpad.com/
[4] Posterous : https://posterous.com. Tumblr. : http://www.tumblr.com/
[5] Disqus : http://disqus.com/
[6] Ce qui n’était pas possible avec les deux autres solutions utilisées précédemment.
[7] L’intérêt du présentiel est, pour certains étudiant-e-s, de pouvoir écouter et échanger concernant la tâche à réaliser tout en déposant, dans la même séance, leurs commentaires en ligne. Pour d’autres, l’avantage consistait à pouvoir attendre quelque peu avant de rédiger et déposer leurs commentaires définitifs. Bien évidemment, les absents ont apprécié de pouvoir faire leur travail à un autre moment.
[8] Nos dispositifs sont également conçus pour dédramatiser l’emploi des technologies dans l’enseignement de l’histoire. De plus, l’enseignement de l’histoire est généralement dispensé dans les collèges et lycées par période de 45 minutes, une à deux fois par semaine. Dès lors, le dispositif de cet atelier serait transposable et adaptable dans ce cadre-là : une première séance où les élèves déposeraient en ligne un court texte préalablement rédigé et une deuxième séance où les élèves de la classe ou d’une autre classe déposeraient leurs commentaires.