La prolifération des accès à internet, l’accélération de la circulation de l’information sur le réseau et une indéniable évolution chez nos chères têtes blondes de ce qui relève ou non de la sphère privée fait que les contentieux en matières de publication sur internet sont de lus en plus nombreuses.
Pour ce numéro 117 du mensuel, nous allons étudier plus particulièrement les délits de diffamation, d’injure, d’outrage, de dénonciation calomnieuse et d’atteinte à la vie privée.
I) La diffamation et l’injure
Ces infractions sont prévues par les articles 29 à 35 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Attention : le délai de prescription de ces délits est de trois mois ! Il faut donc qu’un acte juridique intervienne tous les trois mois moins un jour pour qu’un tel délit ne soit pas prescrit.
Article 29 Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.
Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure.
* La diffamation
C’est l’allégation ou l’imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne à laquelle le fait est imputé. L’action en diffamation civile ou pénale est prescrite trois mois après la découverte des éléments diffamatoires par le diffamé.
Quatre éléments caractérisent la diffamation :
· L’allégation d’un fait précis ; ces faits peuvent être expressément décrit, être sous-entendus ou encore être inhérent aux termes qualifications employés.
· la mise en cause d’une personne déterminée qui, même si elle n’est pas nommée, est clairement identifiable. Ainsi, même dénommé par un pseudonyme, une personne physique peut faire l’objet de propos diffamatoire, dès lors qu’elle est identifiable ; vus rencontrerez souvent cette situation sur les blogs ouverts par des élèves ;
· Une atteinte à l’honneur ou à la considération par un fait précis; ainsi l’imputation de fait susceptible d’entraîner une condamnation pénale peut suffire à diffamer ;
· L’éventuel caractère public de la diffamation.
La diffamation est un délit ou une contravention suivant qu’elle est exprimée respectivement en public ou en privé. Cela étant, des propos diffamatoires tenus devant un groupe de personnes partageant une même communauté d’intérêts, comme c’est le cas de collègues d’un établissement scolaire, sont généralement considéré comme une diffamation privée.
La diffamation publique est réputée commise le jour où l’écrit est porté à la connaissance du public et mis à sa disposition et le délai de prescription commence à courir à cette date.
Dans le cas d’une diffamation par Internet, la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 a institué un droit de réponse en ligne qui ne prive pas le diffamé de ses possibilité d’action en justice mais qui peut constituer une première réponse à des propos diffamatoires tenus sur un blog d’élèves par exemple.
Le préalable à toute action sera donc d’informer le responsable du blog ou du site pour qu’il fasse cesser cette diffusion des propos diffamatoires au plus vite afin de ne pas voir sa responsabilité civile et pénale engagée et de ne pas être accusé de complicité. Le responsable du blog ou du site devra aussi conserver les données permettant l’identification des personnes auteurs de propos illicites ainsi que les informations et le contenu des messages pour ensuite les transmettre au Juge.
Le diffamé ou l’injurié devra ensuite agir très rapidement, en faisant immédiatement constater les propos par un huissier ou par l’Agence pour la Protection des Programmes. Ils établiront la preuve et la conserveront. En effet, si l’enregistrement de la page Internet par vos propres moyens pourra constituer un commencement de preuve, elle n’aura pas de force probante, une page Web enregistrée sur support électronique ou imprimée pouvant être très facilement modifiée.
A ce propos, vous noterez que l’huissier qui est amené à dresser un constat à partir d’un site internet doit procéder à certaines vérifications qu’il lui appartient de préciser dans son acte, sauf à ce que l’acte soit dépourvu de toute force probante :
- la configuration technique de l’ordinateur doit être détaillée ;
- l’adresse IP identifiant le matériel sur Internet doit être mentionnée dans le procès-verbal de constat ;
- les répertoires de la mémoire cache de l’ordinateur utilisé pour réaliser le constat doivent avoir été vidés ;
- l’huissier doit s’assurer que l’ordinateur utilisé n’est pas connecté à un serveur proxy ou à un serveur doté de cache.
Pour la jurisprudence, le constat d’huissier qui ne mentionne pas ces constatations préalables est dépourvu de toute force probante (cf. CA Paris, 4ème ch., sect. B, 17 novembre 2006, Comm. com. électr. 2007, comm. 31, note E. A. Caprioli, confirmant TGI Meaux, 9 décembre 2004 ; adde, dans le même sens, Trib. com. Nanterre, 3ème ch., 2 octobre 2007 ; TGI Paris 4 mars 2003).
Un conseil donc, soyez attentif à la rédaction du constat d’huissier qui n’est pas toujours de la qualité et de la rigueur attendue…
Notez enfin que, dans les cas les plus extrêmes, une assignation en référé permettra, éventuellement, de faire cesser le trouble en urgence.
Avant de vous lancer, sachez que l’accusation de diffamation peut être parée par l’exception de vérité qui consiste, pour le prévenu, à démontrer que les faits prétendument diffamatoires sont en fait véridiques.
L’auteur de la diffamation qui veut invoquer « l’exceptio veritatis », dispose de dix jours pour le faire après la signification de la citation en faisant connaître au Juge les faits pour lesquels il entend prouver la vérité, les copies des pièces qu’il entend produire et les noms des témoins qu’il entend faire citer.
Le plaignant dispose ensuite de 5 jours pour fournir les pièces et les noms des témoins grâce auxquelles il compte réfuter ces preuves.
Cependant, l’exception de vérité ne pourra pas être invoquée quand :
· Les faits touchent la vie privée de la personne ;
· Les faits se réfèrent à une infraction amnistiée ou prescrite ;
· Les faits remontent à plus de 10 ans.
En matière de diffamation, l’intention coupable est présumée. Il appartient donc à l’auteur des propos prétendument diffamatoires d’apporter la preuve de sa bonne foi.
La démonstration de la bonne foi, parfois difficile, exige la réunion de quatre critères :
· La légitimité du but poursuivi : les propos visaient à informer en toute impartialité et non à nuire au diffamé ;
· La sincérité : le diffamateur croyait vrai le fait diffamatoire ou disposait d’élément suffisant pour croire à la vérité des faits qu’il a relatés ;
· La proportionnalité entre le but poursuivi et le dommage causé : la fin ne justifie pas tous les moyens ;
· La prudence et la mesure dans l’expression qui dénotaient le souci d’une certaine prudence dans le propos.
Dans tous les cas, la diffamation étant une matière dans laquelle la jurisprudence est abondante et les chausses trappes nombreuses, il sera prudent de vous adresser à un bon avocat en la matière pour être sur de l’emporter.
II) L’injure
C’est l’invective ou l’expression outrageante qui, au contraire de la diffamation, ne renferme l’imputation d’aucun fait.
Quatre éléments caractérisent l’injure :
· L’injure doit s’adresser à une ou plusieurs personnes désignées ; à nouveau, même si elle n’est pas nommée, cette personne doit être clairement identifiable (même dénommé par un pseudonyme) ;
· Elle doit manifester une volonté de nuire ;
· Elle doit consister en des propos ou invectives injurieux ou outrageants, ce qui est la cas des termes menteur, maître chanteur, SS, couard, buse, etc. ;
· Elle doit faire l’objet d’une certaine publicité si elle est publique ;
A l’inverse de la diffamation, l’injure ne repose donc sur aucun fait. Celui qui a diffamé ne peut s’exonérer en arguant l’exception de vérité puisqu’il ne peut pas prouver la véracité de ses propos injurieux.
En revanche, il peut invoquer l’excuse de provocation qu’il devra prouver par tout moyen.
La jurisprudence reconnaît et définit cette notion de provocation comme un fait accompli volontairement par la personne injuriée pour provoquer une réaction qui est alors intervenue sous la forme de l’injure.
Mais attention, même si la jurisprudence n’exige pas de concomitance entre l’attaque et la riposte, l’excuse de provocation ne sera retenue par le Juge que si celui-ci considère que celui qui a proféré l’injure peut être raisonnablement considéré comme se trouvant encore sous le coup de l’émotion que cette provocation a pu lui causer.
III) L’outrage
Il est défini par l’article L 433-5 du code pénal : Constituent un outrage puni de 50 000 F d’amende les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l’envoi d’objets quelconques adressés à une personne chargée d’une mission de service public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie.
Lorsqu’il est adressé à une personne dépositaire de l’autorité publique, l’outrage est puni de six mois d’emprisonnement et de 50 000 F d’amende.
Lorsqu’il est commis en réunion, l’outrage prévu au premier alinéa est puni de six mois d’emprisonnement et de 50 000 F d’amende, et l’outrage prévu au deuxième alinéa est puni d’un an d’emprisonnement et de 100 000 F d’amende.
Trois éléments caractérisent donc l’outrage :
· Il doit s’adresser à une personne ou un groupe de personnes chargées d’une mission de service public ;
· Il doit être commis dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ;
· Il doit manifester une volonté de porter atteinte à la dignité ou au respect dû à la fonction ;
Mais une dénonciation à une autorité compétente de faits délictueux ou répréhensibles commis par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions n’est pas qualifiable d’outrage si la dénonciation se limite à décrire et qualifier les faits.
De ce fait un rapport de Chef d’établissement se limitant à décrire des faits qui vous sont imputables n’est pas outrageant tout comme ne l’est pas un témoignage d’élève portant sur des faits délictueux ou répréhensibles.
Enfin, un message apparaissant sur un forum de discussion n’est pas un outrage, en raison de son caractère public. En effet, étant publiés, ils relèvent de la diffamation ou de l’injure.
IV) La dénonciation calomnieuse
Elle est définie par l’article L 226-10 du code pénal : La dénonciation, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d’un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l’on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu’elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d’y donner suite ou de saisir l’autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l’employeur de la personne dénoncée, est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 Euros d’amende.
La fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision, devenue définitive, d’acquittement, de relaxe, ou de non-lieu déclarant que la réalité du fait n’est pas établie ou que celui-ci n’est pas imputable à la personne dénoncée.
En tout autre cas, le tribunal saisi des poursuites contre le dénonciateur apprécie la pertinence des accusations portées par celui-ci.
Plusieurs conditions doivent donc être réunies pour que la dénonciation calomnieuse soit constituée :
· La dénonciation faite par la supposée victime doit être dirigée contre une personne désignée ou facilement identifiable.
· Le fait dénoncé doit être de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires.
· La dénonciation doit avoir été adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d’y donner suite ou de saisir l’autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l’employeur de la personne dénoncée.
· Le fait dénoncé doit être partiellement ou totalement inexact.
Le délit de dénonciation calomnieuse est donc constitué si le dénonciateur a agi de mauvaise foi en sachant pertinemment que les faits dénoncés étaient faux au moment de la dénonciation. Elle est donc une intention délibérée de nuire.
Cette fausseté des faits peut résulter de leur inexistence, de l’impossibilité matérielle de les commettre ou bien d’une décision définitive d’acquittement, de relaxe ou de non lieu déclarant que la réalité du fait dénoncé n’est pas établie ou que celui ci n’est pas imputable à la personne dénoncée.
Néanmoins, la dénonciation calomnieuse n’est caractérisée que si elle est spontanée. Or, la jurisprudence considère que ce n’est pas le cas lorsqu’un agent public rapporte à son supérieur hiérarchique des faits qu’il a le devoir de porter à sa connaissance. Mais il devra le faire dans des termes mesurés et avec la plus grande prudence.
V) L’atteinte à la vie privée
Elle est définie par :
L’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
L’article 9 du code civil >Chacun a droit au respect de sa vie privée.
Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé.
Et par les articles L 226-1 à L 226-7 du code pénal :
Article 226-1 Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui :
1º En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;
2º En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé.
Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu’ils s’y soient opposés, alors qu’ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé.
Si une photographie ou une vidéo de votre personne prise durant un de vos cours figure sur un site ou sur un blog, vous pouvez engager une procédure civile ou une procédure pénale.
Une fois encore, commencez par contacter le responsable ou l’hébergeur du site ou du blog pour lui demander de procéder au retrait des images en cause. S’il refuse, rappelez-lui qu’il engage sa responsabilité civile et pénale.
A la suite de cette démarche, que vous ferez par mail doublé d’une lettre en recommandé avec accusé de réception si vous avez l’adresse physique de votre interlocuteur, vous pourrez éventuellement porter plainte contre l’auteur de cette atteinte à votre vie privée. Cependant, si c’est un élève, il semble souhaitable de régler l’affaire à l’interne de l’établissement par un rappel à la loi et éventuellement une sanction prise en conseil de discipline.
Attention : une photographie ou une vidéo de vous prise lors d’évènements publics dans des lieux publics ne constitue pas une atteinte à votre vie privée. De tels enregistrements peuvent donc être utilisés sans votre autorisation à condition que le cadrage ne vous vise pas ou ne vous isole spécifiquement. En revanche, si cette photographie ou cette vidéo publique est accompagné de commentaires désobligeants, ces derniers pourront éventuellement constituer une diffamation, une injure, voire un outrage.
Une fois encore, que ce soit dans un cas de diffamation, d’injure, d’outrage ou de dénonciation calomnieuse, demandez la protection juridique du fonctionnaire prévue par l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 à votre Chef de service qui devrait vous l’accorder.
Laurent Piau
Laurent Piau, juriste, est l’auteur de l’ouvrage Le Guide juridique des enseignants aux éditions ESF
Sur cet ouvrage :
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Pour commander :
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