Par Jeanne-Claire Fumet
On peut s’interroger, après l’annonce surprise de Luc Châtel, jeudi, à l’occasion de la Journée Mondiale de la philosophie à l’Unesco, sur le véritable intérêt de la réforme de l’enseignement philosophique. Car en un sens, la décision n’ajoute rien à ce qui était jusque-là possible, au moins en principe : l’enseignement de l’ECJS n’était pas fermé aux professeurs de philosophie, la participation aux E.E. et aux A.P. de la classe de Seconde réformée pouvait se concevoir dans le cadre d’un projet concerté au sein des équipes pédagogiques. Les ateliers expérimentaux en Seconde et les cours préparatoires en Première, existaient déjà depuis plusieurs années. Alors, quel profit pour les élèves et pour l’enseignement ?
Les plus optimistes y verront un signe d’encouragement du Ministère à investir tous les domaines accessibles à l’enseignement philosophiques ; mais d’autres s’étonneront de cette annonce qui sans rien ajouter, appuie comme une préconisation forte ce qui était auparavant une libre possibilité. D’autant que l’actuel contexte d’allégement des effectifs ne permet guère d’espérer le recrutement supplémentaire d’enseignants de philosophie, ce qui laisse présager un notable alourdissement des charges pour les effectifs existants. Peut-être la gestion des équipes s’en trouvera-t-elle cependant soulagée : dans un contexte de pénurie aggravé chaque année, la polyvalence désormais officiellement décrétées des enseignants de philosophie devrait faciliter les ajustements de dernière heure.
Pourtant, la demande d’extension de la philosophie n’est pas nouvelle : elle fait l’objet depuis des années de discussions, de débats, de contributions et de propositions nuancées et réfléchies. Une partie des enseignants de philosophie souligne en effet depuis longtemps l’intérêt de commencer plus tôt, surtout pour les séries L, une discipline qu’il peut être dommage de ne découvrir que lors de l’année de Terminale. Mais la mise en œuvre de cette approche soulève des problèmes : les expériences menées dans les classes, les difficultés rencontrées dans certaines séries de terminales et la comparaison avec d’autres disciplines les mettent en évidence.
La question de la progressivité, tout d’abord, sur laquelle travaille l’équipe de Michel Tozzi à la demande de l’UNESCO (voir l’article du Café sur les Rencontres des Nouvelles Pratiques) soulève de réels obstacles : comment aborder de manière régulière et ordonnée, sur une période de deux ou trois années, une discipline qui se présente comme un tout ? Les questions que l’on y traite ne présentent pas de degrés mesurables de difficulté – ce qui ne signifie pas qu’elles ne puissent être abordées différemment : ainsi, un même sujet de dissertation peut être proposé au bac ou à l’agrégation, il est entendu que l’on n’en attend pas le même traitement.
La manière d’aborder les idées, ensuite : elle n’aura pas la même orientation selon que l’on choisit une approche thématique, étayée sur une exposé contextuel déterminé, ou une approche historique, qui privilégie la situation du problème dans son contexte temporel. L’approche élabore un problème à partir du contenu des implicites et des présupposés de la notion, tandis qu’une approche conceptuelle va admettre cette étape dépassée et s’appuyer sur des définitions établies. Un cours autonome peut composer souplement avec ces formes, mais qu’en serait-il d’un cours de « complément », destiné à éclairer la difficulté philosophique d’un contenu historique, culturel ou institutionnel ?
L’usage des auteurs et des textes, d’une manière qui évite les risques de doxographie ou de référence mécanique, en permettant aux élèves d’en saisir la portée et les implications conceptuelles. On objectera que les textes littéraires ne sont pas simples non plus à comprendre ; mais sans l’intelligence du propos, un texte philosophique reste lettre-morte et la difficulté de l’aborder peut décourager durablement de s’y risquer.
Enfin, comment concilier l’organisation débutante des EE et des AP avec cette nouvelle mesure qui semble en modifier le sens et la fonction?
Ces questions ne sont pas des querelles de forme : elles façonnent les réflexions qui s’efforcent de repenser les modalités de l’enseignement et de l’évaluation de la philosophie dans un cursus scolaire profondément modifié au cours des dernières années. La récente déclaration du Ministère incite à précipiter une évolution de fond, qui se serait mieux accommodée de conditions précises et bien déterminées. Il n’est pas équivalent de construire un enseignement régulier, intégré à l’emploi du temps, faisant l’objet d’une évaluation régulière, et d’intervenir de manière thématique ou ponctuelle (fut-elle « ciblée ») dans les enseignements d’autres disciplines. Sans doute le cahier des Charges commandé par le Ministère à l’Inspection générale viendra-t-il répondre en partie à ces interrogations, mais dans l’urgence et sans concertation, au risque d’anéantir les efforts d’évolution de la profession.
Le texte du discours de Luc Chatel :
http://www.education.gouv.fr/cid53964/ouverture-de-la-j[…]
Sur le Café :
Les Nouvelles pratiques philosophiques 2009
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/let[…]
Journée mondiale 2008
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/lettr[…]
Le communiqué de l’ACIREPh (Association des professeurs de philosophie) :
Luc Chatel, Ministre de l’Éducation Nationale, vient d’annoncer la mise en place d’un enseignement de philosophie « anticipé » dès la classe de seconde.
On ne peut que se féliciter de voir reconnue la nécessité de former les élèves des lycées à la philosophie, à partir de la seconde. L’apprentissage de la philosophie demande du temps, bien plus que les huit mois actuels d’enseignement en terminale. Les élèves demandent massivement cette extension parce que la brièveté de la formation actuelle fait obstacle à l’assimilation de cette discipline nouvelle. Les enseignants savent bien de leur côté que l’enseignement de philosophie passe par l’acquisition méthodique et progressive des connaissances et des compétences requises pour mener une véritable réflexion philosophique.
Toutefois, les moyens affectés à cette mesure restent vagues et certaines des modalités envisagées suscitent déjà des interrogations. S’agit-il d’instaurer dans les prochaines années un authentique cursus de philosophie de la seconde à la terminale– ce que l’ACIREPH soutiendra alors pleinement –, ou s’agit-il de simples mesures permettant d’utiliser des professeurs de philosophie ailleurs qu’en terminale, voire d’un simple effet d’annonce sans lendemain ?
Sur le site du Café
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