Par Jeanne-Claire Fumet et François Jarraud
Infatigable et inventif pionnier des TICE, François Jourde est le plus à même de répondre à nos interrogations sur le web 2. La pensée philosophique peut-elle se contenter des 140 caractères de Twitter ?
Il y a à peu près deux ans vous étiez dans les premiers utilisateurs du web 2 chez les enseignants. Entre autre, vous utilisiez Twitter. Est -ce toujours le cas ? Que pensez-vous de cette expérience ?
Je n’ai pas poussé cette expérience aussi loin que certains de mes collègues, comme Laurence Juin. C’est un regret, car j’apprécie ce réseau social qui n’intègre pas tout le « cirque » de Facebook et qui permet de suivre des spécialistes… J’aurai aimé expérimenter l’écriture de messages durant le cours (« backchannel ») et hors du cours.
Mais j’ai rencontré des obstacles matériels qui m’ont conduit à postposer cette activité. N’ayant pas un accès régulier à une salle multipostes, j’ai cherché à utiliser les terminaux des élèves : les smartphones (« téléphones intelligents »). Ces instruments leur permettraient d’envoyer des messages durant le cours. Mais tous n’en ont pas (encore) et, s’ils en ont un, les coûts de connexion 3G demeurent prohibitifs… La solution pourrait passer par un réseau Wi-Fi accessible aux élèves, cependant on rencontre ici toute une série de complications administratives ». Je ronge donc mon frein. Il n’en reste pas moins je crois qu’il y a beaucoup à attendre des smartphones, comme d’ailleurs vous le pointez dans le Café pédagogique. Et puis je trouverai peut-être plus rapidement que prévu une solution technique !
Pour l’heure, sur Twitter, outre mon compte personnel, je me contente pour l’heure de distiller quelques informations liées à la philosophie (profphilo). D’autres le fond aussi, et très bien (La_Philosophie, initiationphilo…).
140 caractères ca permet vraiment de construire une pensée philosophique ?
Je suis convaincu de l’intérêt des contraintes d’écritures : les 140 signes permettent de cultiver la concision, de s’exercer à la formulation de l’essentiel. Certes, la concision n’est pas tout, et Twitter non plus.
Mais je défends une approche pragmatique : peu importe le flacon, n’est-ce pas ? Je crois que la pratique de petits écrits interactifs est très motivante et peut créer une remarquable dynamique pour atteindre le but final, qui est bien entendu l’écriture d’argumentations développées. Pour cela, donc, tout ce qui peut mettre les élèves au travail me semble bon. Twitter, notamment, peut très bien accompagner l’apprentissage de formes d’écriture plus élaborées. Que les élèves écrivent avant tout et qu’ils y prennent plaisir !
Vous utilisez également des sites collaboratifs avec les élèves. Pour faire quoi ?
J’ai développé l’an passé un vocabulaire collaboratif de philosophie, avec l’outil « gratuit » Google Sites (il n’y a pas de publicité insérée dans les pages). L’expérience a été passionnante, mais elle n’a pas soulevé, chez mes élèves, la dynamique que j’escomptais. En clair, je devais leur « courir après » pour qu’ils produisent des textes. Peut-être avais-je insuffisamment organisé le travail d’équipe… Ce site est en veille depuis quelque mois.
Cette année, je pense avoir rencontré beaucoup plus de succès avec une expérience de wikis de prises de notes collaboratives, menés dans chacune de mes classes. J’utilise le service wikispaces (il offre des comptes gratuits pour les enseignants), qui est très abouti.
Le principe ? A chaque cours, un élève est nommé « secrétaire de séance » et doit mettre en forme ses notes sur la page du cours. D’autres élèves sont nommés « relecteurs ». Il s’agit de compléter les notes, de placer des images, des vidéos, des liens. A la fin de chaque séquence de cours (toutes les 2 semaines), je corrige les notes avec eux (vidéoprojecteur et connexion internet en cours).
Je peux communiquer avec les élèves, individuellement ou collectivement, directement depuis la plateforme du wiki. Je peux aussi ouvrir des discussions derrière les pages, comme cela se fait sur Wikipedia. Cet outil permet le travail collaboratif et la construction d’une dynamique de groupe assez mobilisante.
Je peux également avoir un suivi précis de la participation de chaque élève, via différentes statistiques.
Et voici que cette activité fonctionne étonnamment bien ! Je pense que c’est parce que les élèves en voient directement et concrètement le bénéfice : nous produisons ensemble des notes de cours fiables, et je leur laisse une marge de manœuvre dans la mise en forme (illustrations diverses, liens).
Comment faites vous l’articulation entre ces outils et la nécessité de laisser aux élèves une trace écrite construite ?
Des échanges sur Twitter sont évidemment peu aisés à archiver. Sont-ils d’ailleurs destinés à un tel archivage ? On peut n’y voir que des notules préparatoires, des brouillons à partir desquels élaborer des textes scolaires. Pour ce qui est des pages de notes sur les Wiki, la plateforme offre une fonction d’impression, mais aussi d’exportation aux formats doc ou pdf. Ici, c’est techniquement aisé et pédagogiquement utile.
Le web 2 n’a généralement pas bonne presse chez les enseignants de philosophie. Comment expliquez vous cela ?
Je ne sais pas si cela est vraiment le cas, ni si cela serait spécifique aux enseignants de philosophie. Il faut par ailleurs considérer que nous sommes moins nombreux que pour d’autres matières, ce qui rend nos activités numériques moins visibles. Mais ces usages existent !
Quelles sont les causes d’un dénigrement du « web 2 » ? Il faudrait faire la sociologie de cela. Je ne sais pas si quelqu’un a déjà fait ce travail. Disons d’abord qu’il y a sans doute des mauvaises raisons pratiques : le peu de maîtrise des outils numériques. Il y a ensuite de mauvaises raisons idéologiques explicables par la mécompréhension et l’ignorance des outils, mais aussi par les bouleversements institutionnels et la désorientation que peuvent ressentir certains enseignants. Mais il y a également de bonnes raisons théoriques à ce dénigrement, pour peu qu’il y ait des réflexions critiques élaborées sur ces outils et sur les modes de pensée qu’ils induisent. Ici, le débat théorique est ouvert. Pour ma part, je suis avec grand intérêt les conceptions de Bernard Stiegler.
Je tiens à rester modeste sur ce sujet : je suis très investi dans la pratique pédagogique utilisant des médiations numériques, mais je ne peux prétendre avoir une réflexion théorique très poussée…
Je sens en tout cas le besoin d’introduire une certaine « verticalité » dans l’univers numérique de nos élèves. Pour reprendre les mots de Olivier Ertzscheid : » Y être [dans les réseaux sociaux et le web 2] pour y réinstaller un peu de verticalité, pour y garantir, aussi, la présence d’une parole, d’une autorité quoi qu’on en dise. Y être pour éviter que ces nouveaux lieux ne soient que vecteurs de pulsions et d’échos médiatiques et pour qu’ils permettent également l’établissement de nouvelles universités. Et de tous les savoirs. »
François Jourde
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