Mireille Brigaudiot :
« Croire aux progrès de tous, le vouloir et s’en donner les moyens »
Mireille Brigaudiot est inquiète. En se promenant dans les classes, elle se demande si la « mode » des classes à multi-niveaux n’est pas à discuter, tant elle voir des maîtresses « au four et au moulin » devant tout ce qu’elles ont à faire. « Lorsqu’il y a des petits partout, ne risque-t-on pas de faire disparaître leur place ? » et d’engendrer la confusion des rôles, avec « tout pour les grands toute la journée ». Dénonçant avec sa verve habituelle l’innovation à tout prix, elle illustre : « Les grands de la maternelle ne doivent pas être transformés en vieux de la maternelle, et l’inflation de l’évaluationnite qui n’a rien à voir avec la recherche des compétences. « L’horizon du CP ne doit pas devenir l’obsession du CP, et faire perdre de vue les apprentissages décisifs : avoir sa place dans l’oral des discussions, se repérer dans l’espace et le temps, connaître le monde, se repérer dans les mondes symboliques de l’écrit et des nombres… ». Les apprentissages progressifs qui étaient dans les programmes complexes de 2002 avaient l’ambition de faire avancer progressivement les enfants sur le chemin des apprentissages, au service de la réduction des inégalités. Mais malgré les acquis du rapport Thélot en 2004, le socle commun de la loi Fillon fait basculer vers l’enseignement de la lecture en lieu et place des langages, avant que le tonnerre des programmes De Robien tienne pour évidence le B-A-BA et humilie la complexité du travail de la maternelle. Les programmes de 2008 remplacent l’apprentissage progressif par l’enseignement prétenduement évaluable avec des croix et des « un mot par jour ». Si on conjugue la diminution de la formation continue à l’IUFM et des acquis de la didactique, avec le renforcement des « injonctions du ciel », le tout dans l’urgence pour les tableaux de bord du pilotage, on installe la ligne directe entre la rue de Grenelle et la classe, sans aucun filtre et discussion par les experts de la formation. On perd les cycle, on perd la priorité sur le langage, on perd les activités « intelligentes », c’est à dire qui font carburer les maîtres et les élèves avec leur tête.
Quelles sont les capacités décisives des élèves en grande section ?
Parce ce qu’elle sont nouvelles, entre quatre et cinq ans, les sollicitations de l’environnement rendent les capacités des enfants. Mireille Brigaudiot distingue cinq points décisifs pour l’activité cognitive pour favoriser l’entrée dans la lecture :
Produire des récits
Les enfants de grande section commencent à faire des récits tout seuls. Dans une phase de regroupement, prendre la parole tout seul et se faire comprendre par les autres dans le récit de fiction, c’est le plus beau défi pour réinvestir tout ce qu’on connaît dans sa culture d’enfant. C’est parce que les enfants ont été alimentés en récits en moyenne section qu’ils deviennent capable de produire des récits en grande section.
Entrer dans de vrais dialogues
Ce n’est qu’à partir de cinq ans que les enfants commencent à entrer dans des discussions véritables, en donnant son avis, mais aussi en donnant son avis sur celui des autres.
Prise en compte de la pensée de l’autre
Lorsqu’Astington regarde des enfants en train de comprendre des récits, elle indique qu’entre cinq et sept ans, les élèves changent de point de vue, et commencent à comprendre qu’ils peuvent comprendre le point de vue de quelqu’un, et pas seulement les évènements de l’histoire. Pour celà, il est nécessaire que les enseignants parlent de leurs propres état mentaux : ce qu’ils savent, ce qu’ils ont supposé, ce qu’ils ont décidé, ce qu’ils demandent. « Ce serait le meilleur moyen pour les enfants d’apprendre que les autres pensent, et donc qu’eux aussi peuvent penser, avoir des réflexions et des images mentales ». mais les apprentissages scolaires de base sont des activités invisibles, on a intérêt à rendre les enfants responsables et fiers e leurs progrès, comme l’indique cette phrase : « Tu sais quoi, je sais lire, enfin, en vrai, je suis en train de savoir lire et pas savoir lire ». Lorsque les élèves sont capables de savoir qu’ils sont en train d’apprendre, c’est la meilleure évaluation de leur travail, et de celui de l’enseignant.
Questions pour savoirPeut alors survenir, chez eux, l’envie de plus savoir, de multiplier le « pourquoi » cognitif, qui n’a rien à voir avec le pourquoi affectif de trois ans. C’est parce que la maîtresse écouter les questions, y répond, renvoie d’autres questions que les élèves multiplient les questions. Pas besoin de dispositif spécifique pour cela…
Mais les questions que posent les maîtresses sont souvent destinées aux « enfants qui savent ». Une question en pourquoi ? Piaget, partant des questions en « pourquoi » d’un enfant, estime que le « parce que » peut être de type « naturel » (parce qu’elles n’ont pas de lait », « psychologique » ou « par règle » (parce que c’est la loi). Wallon au contraire explique que les enfants sont très peu en positionnement de questionnements en pourquoi. Il invite donc les adultes à poser des questions tout en considérant que les réponses des élèves sont alors généralement lacunaires, décontenancé, sidéré devant l’insolite de la question « hors zone » qui met mal à l’aise.
Tout expliquer, avant de demander de savoir faire
En grande secton, on a la chance d’avoir tous les enfants pendant un an pour les alimenter. Faisons qu’ils soient habitués à ce que les enseignants s’intéressent à eux et valorisent leurs progrès plutôt qu’à chercher à les intéresser à des contenus hors de leur portée. Plus on est en milieu défavorisé, plus il faut commencer à leur expliquer tout du monde qui les entoure, sans rien leur demander. Si ce n’est pas l’école qui le fait, qui va le faire ? C’est seulement une fois que vous avez fait ces démonstrations que vous pouvez les mettre devant des petits problèmes à résoudre ou leur demander leur avis.