Pour la dernière ligne droite de la session, les organisateurs ont invité Marcel Crahay, de l’université de Genève, observateur attentif des performances des différents systèmes européens. Tiendra-t-il en haleine une salle fatiguée par ces deux jours intenses, et préoccupée par ses conditions de retour à la maison ? Le défi n’est pas gagné d’avance.
Quelle école avons-nous ?Partout, les inégalités de réussite à l’école ont une corrélation avec l’origine sociale des élèves, et vont produire des inégalités sociales. Ce constat universel est cependant très variable d’un pays à l’autre, comme en témoignent les résultats des enquêtes internationales. En France, l’ampleur du marquage social de ces écarts est très important. De nombreux paramètres semblent y contribuer : importance du redoublement, variation de performance entre les écoles et les territoires…
Quelle école voulons-nous ?Lorsqu’on réfléchit à la justice à l’Ecole, plusieurs modèles cohabitent :
– On peut vouloir la même chose pour tous (justice égalitaire), réclamer l’égalité de traitement : à partir des dons, des potentialites naturelles, on va offrir à tous des ressources, charge à chacun d’en tirer parti en fonction de son potentiel, de son origine sociale.
– Mais on peut aussi, comme le voulaient Claparède ou Rousseau, distribuer les bénéfices au prorata des mérites des uns ou des autres (justice méritocratique), ce qui débouche sur le principe de l’égalité des chances. Selon se principe, à cpacité égale, la qualité pédagogique doit être différente… Le modèle de la « différenciation pédagogique » en découle, demandant d’ajuster les traitements aux caractéristiques et aux attitudes des individus. Les meilleurs, quelle que soit leur origine sociale, on droit au mieux. Ce modèle postule que les individus viennent au monde avec des qualités intrinsèques, des aptitudes de départ.
Cette conception existe encore, mais est discutée par ceux qui se réfèrent au modèle de l’égalité de traitement, comme le réclamait Alain : une école offrant à tous la même qualité, quelle que soit les élèves.
– Arrive donc le modèle d’une justice corrective (justice redistributrice) qui réclame l’égalité des acquis. C’est la discrimination positive, telle qu’elle put présider à la construction des politiques d’éducation prioritaire, qui postule que les performances individuelles sont supposées modifiables.
Mais s’il apparaît à l’expert plus « démocratique », l’opinion publique n’est pas forcément la plus convaincue de la nécessité de se réferer à se dernier modèle. Lorsqu’on a interrogé le peuple suisse sur ce qu’il veut faire du collège, c’est un projet de filières d’orientation qui l’a emporté, selon le modèle du « à chacun ses aptitudes ». L’Allemagne réfléchit aujourd’hui à l’élaboration de filières à partir de dix ans. On cherche à définir des tests d’évaluation « objectifs » pour orienter tôt les élèves en fonction de leurs « aptitudes ».
On constate que système éducatif devient « dual » : les inégalités constatées dans les premières classes s’agrandissent au fur et à mesure de la trajectoire scolaire, dans des trajectoires scolaires de plus en plus différentiées en fonction de la catégorie sociale d’appartenance.
Pour briser le lien entre la catégorie sociale d’appartenance et les résultats scolaires, on veut éviter l’effet Mathieu (donner davantage au forts) et l’effet Robin des Bois (limiter les performances des plus forts pour favoriser les plus faibles). Bloom postulait que le « niveau de maîtrise » pouvait être atteint par tous, pour peu qu’on joue de manière flexible sur les temps d’apprentissage. Mais sans doute, précise M. Crahay, ne suffit-il pas d’attendre. Encore faut-il organiser l’enseignement de manière à solliciter dès que possible les capacités cognitives qui peinent à se construire, notamment en
Quelques pistes de réflexionOn peut donc considérer, en regardant l’organisation des systèmes éducatifs, deux modèles contradictoires :
– certains rêvent de la liberté de choix de l’école, de filières spécialisés précoces et d’éducation spécialisée pour les élèves à besoins spécifiques
– à l’opposé, on peut défendre une sectorisation, un curriculum commun le plus longtemps possible, des classes hétérogènes…
Quand on constate les résultats des systèmes éducatifs en fonction de ce prisme, on constate l’efficacité supérieure des organisations les plus démocratiques, « ce qui est une bonne nouvelle ». On n’a pas à choisir entre l’efficacité et l’égalité. Cela nous permet de résister à ceux qui nous expliquent qu’il faut faire des choix. Dans le même sens, on sait aujourd’hui que le regroupement des élèves selon leurs « aptitudes » renforce surtout le regroupement selon l’origine sociale et la production d’écoles-ghettos, selon un mécanisme qui n’est pas délibéré, mais se fait insidieusement, indirectement, selon leur statut d’immigré ou de natifs. C’est un effet secondaire de nos processus d’évaluations. Ce sont ces effets d’agrégation qui contribuent à faire baisser les résultats globaux du système éducatif du pays : lorsqu’ils sont ségrégués, les élèves ont en moyenne des résultats inférieur à ce que peut prédire leur catégorie sociale d’appartenance. A l’inverse, lorsque les élèves défavorisés sont scolarisés dans des écoles socialement mixtes, leurs résultats sont supérieurs aux performances attendues, sans que pour autant les élèves favorisés soient pénalisés.
A propos du redoublementLes enseignants disent avec raison que dans leur classe, un élève qui redouble progresse dans ses résultats. Mais la recherche montre que leur progression, à âge constant, est moins forte que s’ils n’avaient pas redoublé. Mais évidement, ces recherches ne disent pas que la promotion automatique suffit à régler les problèmes des élèves en difficulté pour leur faire rattraper le niveau des autres. Alors, que faire pour « assurer les bases » ? Si on leur offre une « intervention individualisée » en intervenant dès que la difficulté d’apprentissage apparaît, de manière ciblée, ils peuvent progresser. Il faut faire le « pari de l’éducabilité » en résistant au redoublement, à l’agrégation des élèves en difficultés. Mais l’idéal n’est sans doute pas sufisant : la diffusion des connaissances scientifiques sur ces questions me semble un autre levier essentiel.
Toujours réactive, une syndicaliste interpelle le conférencier sur les limites du Socle Commun, soucieuse d’avoir l’ambition de haut niveau pour tous. Crahay défend sa position : « Certes, on peut m’objecter que la maîtrise par tous d’acquis de base, notamment la lecture, est trop modestement ambitieux. Mais je persiste à dire qu’ayant franchi cet objectif, nous pourrions ensuite plus facilement rêver d’avenirs plus radieux pour dépasser les bonnes intentions »… Songeuse, la salle s’interroge sur tous ces mots, tellement connotés qu’on ne peut plus les utiliser sans être taxé de petit bras…
Et maintentant, quitter la bulle de Lalonde, retourner dans ses terres pour se reponser quelques jours, tout en participant aux mobilisations organisées dans la semaine, c’est l’invitaiton de Judith Fouillard, co-secrétaire générale, à la fin de la matinée…
A l’année prochaine…