Par François Jarraud
Quelques jours après la publication du rapport du Haut Conseil de l’Education (HCE) sur le collège, Bruno Racine, son président, répond à ses détracteurs.
Il fixe aussi les objectifs de ce document ambitieux voire un brin audacieux. Tout en reconnaissant les failles de l’institution (« L’institution s’est intéressée jusqu’à présent à la validation du socle commun plus qu’à son acquisition »), il invite tous les acteurs à adhérer au projet du socle commun et à ce qu’il implique pour le collège. » Si l’École ne peut pas tout, elle ne doit pas se dédouaner de sa responsabilité dans son champ propre de compétences… »
Votre rapport établit que le socle commun, voté en 2005, n’est toujours pas appliqué sérieusement dans les collèges. Pourquoi est-ce grave ?
Parce que l’échec scolaire est massif en France et que la situation s’aggrave d’enquête en enquête. Or ce n’est plus tenable.
Les inégalités de réussite scolaire sont en très grande partie le reflet aujourd’hui d’inégalités sociales. Ce n’est pas juste, et cela dément le principe d’« égalité des chances » : tout élève doit pouvoir maîtriser le socle commun, puisque celui-ci correspond à ce que nul n’est censé ignorer en fin de scolarité obligatoire sous peine de se trouver marginalisé ou handicapé.
Rappelons-nous que la maîtrise effective de ce socle constitue un engagement de la Nation envers la jeunesse.
N’occultons pas aussi le fait que, sur le plan économique, on ne peut plus se permettre un tel échec scolaire : d’abord, l’échec scolaire coûte énormément d’argent (coûts cachés : indemnisations et aides sociales liées au non-emploi, besoins de soins accrus, dépenses liées à des taux plus élevés de délinquance…) ; ensuite, il est avéré qu’une formation initiale de qualité pour tous est un levier de la croissance économique.
Parce que le socle « commun » est un ferment de cohésion sociale, ne pas le mettre en œuvre, ce serait mettre en péril cette cohésion. Le ministre de l’Education nationale l’a d’ailleurs rappelé à la veille de cette rentrée. Et, il ne s’agit pas d’une lubie française : on observe un mouvement d’ensemble en faveur de la maîtrise d’un tel socle dans tous les pays développés, et en particulier dans l’Union européenne.
Que répondez-vous à ceux qui disent que le socle commun c’est un minimum culturel « sans ambitions » ?
La mission d’information parlementaire sur la mise en œuvre du socle commun au collège dit clairement, dans le récent « rapport Grosperrin », que cette approche est la plus ambitieuse qui soit. Dire que le socle commun, est un abaissement des exigences ou un nivellement par le bas ne peut relever que de la mauvaise foi. Il n’est que de lire vraiment le texte du socle commun pour se rendre à l’évidence : on est vraiment très, très loin d’un simple « lire, écrire, compter, raisonner »!
Quelques exemples : pour ce qui est de la culture humaniste, avec le 5ème pilier du socle commun, il s’agit de donner les repères indispensables pour comprendre le monde actuel et éveiller au goût de la culture. Savoir échanger des idées, développer son esprit critique, savoir travailler en équipe…, ce sont des compétences essentielles. Les mathématiques, les mathématiciens en parlent comme d’une discipline « citoyenne » : sondages, indicateurs, classements… Notre société est constamment analysée à grand renfort de chiffres, de pourcentages, de probabilités. Et, par l’enseignement des mathématiques, il s’agit à la fois d’acquérir des méthodes utiles dans la vie quotidienne ou pour étudier d’autres disciplines, et de développer ses capacités d’abstraction, donc de raisonnement. La culture scientifique et technologique, elle, doit développer la curiosité de l’élève et lui permettre notamment d’accéder à une représentation globale et cohérente du monde comme de comprendre son environnement quotidien ; elle contribue en outre à apprendre à distinguer entre faits démontrables d’un côté, opinions et croyances de l’autre.
Dans la logique du socle commun, on s’intéresse aux acquis des élèves. On connaît bien l’écart actuel entre le contenu des programmes enseignés et ce qui est retenu par les élèves en fin de compte : avec le socle est introduite une obligation de résultats concernant les acquis. Le socle commun, ce sont des savoirs durables et mobilisables, vivants donc, en dehors de l’École et après l’École : là est l’intérêt des « compétences », qui s’appuient sur de solides connaissances. Il n’est que de penser aux langues vivantes étrangères pour comprendre l’importance et la justesse de cette approche.
Et ce, sans compensation possible entre les sept « piliers » du socle : on est loin du culte de la « moyenne ». Comme l’a fait remarquer le SNPDEN à la mission d’information parlementaire que je viens d’évoquer, aujourd’hui, la France est le seul pays au monde où le fait de ne pas savoir la moitié des connaissances à acquérir permet malgré tout de progresser dans le cursus scolaire.
On ne peut sans cesse déplorer le faible niveau des élèves et des étudiants, leurs lacunes – fautes de français innombrables, inculture, etc.-, et s’opposer au socle commun : ce n’est pas cohérent.
Signalons aussi que la scolarité ne s’arrête pas en fin de 3ème : il y a d’autres enseignements après le socle. Et même pendant la scolarité obligatoire, le socle n’est pas le tout de l’enseignement. En ce sens, oui, bien sûr, le socle commun est un plancher – mais très au-dessus du sol !
Et à ceux qui craignent que le socle commun tire vers le bas leur enfant ?
Les enquêtes PISA le prouvent : défendre résolument le socle commun pour tous, donc s’atteler à faire vraiment reculer l’échec scolaire, est le meilleur moyen pour dégager une élite à la fois plus nombreuse et de meilleur niveau. Cela signifie qu’avoir l’ambition du socle pour tous les élèves, ce n’est donc pas du tout en avoir moins pour quelques-uns : c’est aussi avoir plus d’ambition pour l’élite. Non seulement l’objectif de maîtrise du socle commun par tous les élèves n’est pas préjudiciable aux meilleurs, mais cette mise en œuvre leur est même bénéfique.
Pourtant, la tentation est grande d’isoler les enfants en difficulté au moins pour éviter que leurs problèmes ou leur comportement ne retardent les autres. Beaucoup de parents et aussi d’enseignants pensent que les résultats seraient meilleurs dans un système qui présenterait des classes scolairement plus homogènes et des filières. Or le regroupement des faibles aggrave encore leurs performances, et, en réalité, chacun a à gagner à une certaine hétérogénéité des niveaux scolaires – à condition toutefois que les pratiques pédagogiques soient efficaces et que l’ordre règne dans la classe, ce qui suppose un bon encadrement par les adultes, ainsi que le HCE l’a rappelé pour le collège.
Que faut-il faire des élèves actuellement en DP 6, en 4ème Maisons Familiales Rurales etc., dans ces filières de relégation ? Que pensez-vous à ce propos des ERS qui viennent d’être créés ?
Il ne serait pas raisonnable de les réintégrer purement et simplement tant que le système reste inchangé dans ses principes et son fonctionnement. Ces filières sont aujourd’hui le seul moyen de gérer la difficulté scolaire – je dis bien la « gérer » : elles ne la résorbent pas, et peuvent l’aggraver. Mais elles apparaissent comme la seule possibilité face à la difficulté scolaire en l’absence d’une « École du socle commun », qui propose à tous les élèves un enseignement qui ne soit pas uniquement axé sur la préparation du lycée général, et en l’absence de pratiques efficaces intégrant la diversité des modes d’apprentissage et assises sur la conviction que tout enfant, tout adolescent peut apprendre.
Voilà une loi qui a été adoptée après un large débat il y a 5 ans. Vous expliquez que tout le monde traîne des pieds à l’appliquer, les enseignants, l’Inspection, le ministère… Comment est-ce possible ? Qu’est-ce qui rassemble cette coalition ? Finalement, qui veut du socle commun ?
La question divise, et, sur le plan politique, le clivage n’est pas droite-gauche : les députés qui ont signé le « rapport Grosperrin » soutiennent nettement le socle commun, mais, devant cette mission d’information parlementaire, le ministre de l’Education nationale a, lui-même, reconnu que la « mobilisation générale » n’avait pas été décrétée sur le socle commun.
Qu’est-ce qui rassemble cette coalition d’opposants, comme vous l’appelez ? Elle réunit des adversaires en réalité irréductibles, des postures et des doctrines incompatibles. Le socle commun, c’est le rappel que les objectifs démocratiques doivent trouver leur expression dans la réalité quotidienne de l’École.
Aujourd’hui, pour beaucoup d’enseignants, le socle commun se traduit par une grille de compétences à remplir, parfois sans trop savoir ni comment, ni pourquoi. De quels leviers de changement dispose-t-on ?
On entend même certains enseignants parler d’« usine à cases », et cette expression reflète leur perplexité devant la procédure d’évaluation et de validation du socle commun aux trois paliers. Avant d’évaluer une compétence, il faut bien sûr avoir formé l’élève à cette compétence. L’institution s’est intéressée jusqu’à présent à la validation du socle commun plus qu’à son acquisition, mais la DGESCO se dirige clairement dans ce sens comme le montrent les débats du séminaire national que cette grande direction a tenu en mai dernier.
L’institution le sait, le socle commun marque un profond changement dans les représentations et les pratiques pédagogiques. Il bouscule des habitudes de pensée et de travail très ancrées. Il est vital avant tout, pour la mise en œuvre effective du socle commun, de susciter l’adhésion de tous les acteurs concernés (y compris les parents) : cela signifie poser la question des objectifs du projet éducatif, faire comprendre les exigences du socle commun, et aussi mettre en place une véritable stratégie de changement, car les injonctions seules ne peuvent suffire.
Les professeurs s’investissent beaucoup pour la réussite de leurs élèves : il faut leur donner les outils pour faire maîtriser le socle commun à chaque élève, et les soutenir dans cette tâche difficile. Le Haut Conseil de l’Éducation le dit dans son Bilan, une des clés de « l’École du socle commun », ce sont les pratiques professionnelles dans les classes. D’où l’importance décisive de la formation initiale et continue.
On a connu dans le passé (les années 1980) les « 10 % » de moyens à la disposition des établissements. L’effet n’a pas été évalué. En donnant plus d’autonomie aux établissements, ne risque-t-on pas de donner plus de liberté à l’élitisme ?
L’utilisation de ces moyens doit faire l’objet d’un contrat d’objectifs (au niveau académique, avec les rectorats), tel qu’il est d’ailleurs prévu dans la loi du 23 avril 2005 ; les projets ou initiatives pédagogiques financés grâce à cette marge de manœuvre supplémentaire seront de ce fait encadrés. Il appartient à l’institution de veiller à la pertinence des objectifs fixés. Arrivées à leur terme, les actions menées devront systématiquement être évaluées : seules celles qui auront donné des résultats positifs auront vocation à être reconduites et diffusées.
Un syndicat, le SGEN, recommande le développement de l’accompagnement personnalisé et du tutorat au collège. Pensez-vous que cela aille dans le bon sens ?
La démarche de l’accompagnement personnalisé qui part des acquis de l’élève et de ses besoins pour l’aider à construire et à maîtriser son parcours de formation et d’orientation est très intéressante. Toutefois, avant d’étendre au collège une mesure qui vient tout juste d’être mise en place au lycée à la dernière rentrée scolaire, il me semble nécessaire que les enseignants soient formés à l’accompagnement personnalisé ; sinon, on court le risque de voir ces heures transformées par exemple en heures de « rattrapage » du programme. Il ne faut donc pas se précipiter, mais plutôt tirer les premiers enseignements de la mise en œuvre de l’accompagnement personnalisé au lycée.
Quant au tutorat, le principe en est tout à fait positif. Des expérimentations ont déjà été menées dans ce domaine ; il serait bon qu’on en fasse le bilan, notamment pour identifier les éventuelles difficultés rencontrées (nombre de tuteurs, créneau horaire choisi…), avant de généraliser ce dispositif.
Le système scolaire sait se piloter par les examens. N’y a-t-il pas là un levier à mettre en œuvre ? Ne serait-ce pas plus efficace qu’un pilotage par le budget (plus ou moins d’argent selon les redoublements par exemple) ?
Au collège, le diplôme national du brevet, combine un contrôle continu (dans toutes les disciplines) avec des épreuves finales (dans trois disciplines) et suppose en outre la validation de certaines compétences (B2I, certification du niveau A2 en langue vivante…). En l’état actuel des choses, le DNB ne permet pas d’attester la maîtrise de l’ensemble des compétences du socle commun et il ne saurait donc être utilisé comme outil de pilotage de « l’École du socle commun ». Par ailleurs, la logique du socle est fondée sur une évaluation régulière et systématique de l’acquisition des compétences. Cela ne veut pas dire que le DBN n’ait aucune raison d’être : outre sa valeur symbolique, qui peut être importante pour certains, c’est le premier examen auquel les élèves sont confrontés, ce qui permet aussi de juger d’un certain nombre de capacités.
Vous demandez une « école du socle commun ». Qui y enseignerait, des instits ou des profs du secondaire ? Quelle cohérence pédagogique donner à cette école ?
Le Haut Conseil, plutôt que de bouleverser le régime des corps actuels, a préconisé de le compléter par une logique de métiers, sous la forme, par exemple, de mentions aux concours (en distinguant collège et lycée).
Après la publication du rapport, il y a eu des réactions favorables, sournoisement défavorables, hostiles même. Quelles perspectives voyez-vous pour ce rapport ? Etes-vous optimiste ?
Je pense que le moment est venu pour un débat sur ce que notre société attend de la scolarité obligatoire et sur la manière d’atteindre cette ambition historique : élever le niveau moyen des jeunes Français jusqu’à seize ans et, dans le même temps, dégager une élite plus nombreuse !
L’École peut-elle remédier aux inégalités sociales et à la ghettoïsation en marche dans nos villes ? D’autres leviers ne seraient-ils pas plus efficaces ?
Si l’École ne peut pas tout, elle ne doit pas se dédouaner de sa responsabilité dans son champ propre de compétences : aujourd’hui, globalement, elle accroît les inégalités de réussite d’origine sociale – elle pourrait les réduire. C’est ce que montre « l’effet maître » : dans la même ZEP, avec le même public scolaire, avec les mêmes conditions de travail, le taux de réussite en lecture au CP peut varier, selon la classe fréquentée, dans des proportions considérables.
Une communication de la Commission au Conseil et au Parlement le rappelle également : les facteurs qui revêtent le plus d’importance pour l’efficacité et l’équité d’un système éducatif sont la qualité, l’expérience et la motivation des enseignants, ainsi que les types de pédagogie qu’ils appliquent.
Bruno Racine
Propos recueillis par François Jarraud
Liens :
Le rapport du HCE
http://www.hce.education.fr/gallery_files/site/21/60.pdf
Le HCE veut un collège du socle commun
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/1[…]
Le rapport du HCE ouvre le débat sur le collège
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/1[…]
Collège : Jean-Paul Delahaye entre dans le débat
Sur le site du Café
|