JP Gallerand – E Jourdan
Noces ENS / INRP, la mariée n’est pas d’accord
Par Eric Sanchez
« Les difficultés que rencontrent les enseignants dans les classes peuvent elles être résolues par quelques chercheurs qui, coupés du « terrain », écrivent des articles illisibles par l’instituteur de la classe unique d’Avenas ? En quoi la recherche qui est menée à l’INRP aide-t-elle nos politiques à prendre des décisions pour l’avenir de notre système éducatif ? Alors que l’intégration forcée de l’INRP dans l’Ecole normale supérieure de Lyon est programmée pour janvier, Eric Sanchez, maître de conférences à l’INRP, tente une réponse. Ce point de vue personnel sur les activités de l’INRP montre en quoi cet institut est unique et ce que peut coûter son intégration dans une instance de recherche pure.
« Une intégration de l’INRP au sein de l’Ecole normale supérieure de Lyon à compter du 1er janvier 2011 », telle est la décision des ministres de l’enseignement supérieur et de la recherche et de l’éducation nationale présentée par le président, Bernard Bigot, au cours du conseil d’administration de l’Institut du 17 septembre dernier. Depuis, les choses sont allées très vite. Les personnels ont exprimé, par la voix de leur intersyndicale, leur refus d’une décision vécue comme une « violence institutionnelle », dix des douze membres du conseil scientifique nommés par le ministre ont démissionné pour marquer leur indignation de n’avoir pas été saisis, une pétition a recueilli plus de 3000 signatures dont bon nombre de chercheurs étrangers et Yves Winkin, ancien directeur de l’ENS, a été nommé pour conduire ce projet à son terme [1].
L’INRP est un établissement public administratif placé sous les tutelles des ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur et de la recherche. Son histoire débute avec le musée pédagogique créé en 1879 par Jules Ferry, devenu ensuite institut national de la recherche et de la documentation pédagogique puis INRP depuis la création du centre national de documentation pédagogique (CNDP) en 1976. L’INRP c’est 28 enseignants-chercheurs, 41 professeurs de l’enseignement primaire et secondaire, 158 BIATOS et un réseau de 715 enseignants affectés dans des établissements scolaires qui collaborent aux équipes de recherche. L’INRP c’est aussi un musée de l’éducation à Rouen et une des plus grandes bibliothèques en éducation d’Europe (près de 600 000 volumes). C’est un lieu de recherches, de ressources, d’expertises et de formation. Quand on circule dans les locaux du siège social aujourd’hui situés à Lyon, on y croise donc des chercheurs de l’Institut et des enseignants du secondaire mais aussi des chercheurs d’universités françaises et étrangères, des formateurs, des institutionnels et des personnels d’encadrement.
Faisons-nous l’avocat du diable. Après tout, quelle est l’utilité d’une telle structure pour notre pays ? Le Royaume Uni s’est débarrassé du BECTA [2] cet été. La France devrait-elle conserver l’INRP ? Les difficultés que rencontrent les enseignants dans les classes peuvent elles être résolues par quelques chercheurs qui, coupés du « terrain », écrivent des articles illisibles par l’instituteur de la classe unique d’Avenas ou du prof du collège de Vaux en Velin ? [3] En quoi la recherche qui est menée à l’INRP aide-t-elle nos politiques à prendre des décisions pour l’avenir de notre système éducatif ? Une intégration de l’INRP dans l’ENS n’est-elle pas le gage d’un recentrage sur des missions pertinentes par rapport au contexte et la production d’une recherche de haut niveau ?
En réponse à ces questions je voudrais apporter des éléments, certes fragmentaires, mais que je tiens de mon expérience d’enseignant détaché devenu maître de conférences à l’INRP et qui a été membre élu du conseil scientifique pendant trois ans.
L’INRP souffre d’une position inconfortable dans le paysage éducatif. Ce n’est pas un véritable laboratoire universitaire. Il ne peut donc être évalué avec des critères uniquement académiques. Son caractère d’institut de recherche lui confère néanmoins une certaine liberté qui lui permet de s’affranchir d’un strict respect de la ligne de pensée institutionnelle. Son public est mal identifié. Il peut s’agir des enseignants, des formateurs, des personnels d’encadrement ou des chercheurs eux-mêmes selon les ressources produites. De surcroit, l’INRP est très largement ignoré de ses ministères de tutelle qui ne s’adressent guère à lui pour lui passer commande.
On mesure mal l’impact des travaux conduits à l’INRP sur notre système éducatif. Combien de professeurs des écoles savent que l’opération « la Main à la Pâte » est conduite par l’Institut ? Dans quel autre lieu se déroulent des journées d’études où les enseignants peuvent présenter et diffuser les innovations qu’ils ont mises en place dans leurs classes ? Mesure-t-on bien l’intérêt de la participation d’un enseignant à une équipe de recherche INRP et les conséquences sur sa pratique, sur celle de ses collègues et, au-delà, sur ses stagiaires lorsqu’il devient formateur ?
On sous-estime l’influence de l’Institut à l’international. Tous mes collègues québécois connaissent l’INRP, mes étudiants lisent Aster [4] et utilisent les dossiers de la veille scientifique et technique (VST) pour leurs mémoires. Nombreux sont les chercheurs de l’INRP à participer aux réseaux internationaux et à collaborer à des projets européens. J’ai souvent pu constater en échangeant avec des collègues étrangers que l’INRP est connu au-delà de nos frontières et que son image est bonne. Le dernier rapport de l’AERES qui pointe les faiblesses de l’INRP dans ce domaine me semble ne pas l’avoir suffisamment pris en compte.
L’INRP est une interface. Il permet d’établir des liens entre des équipes de recherche, entre des chercheurs de différentes disciplines, entre des institutionnels et la recherche, entre des enseignants de différents niveaux, de différentes disciplines. Les interfaces sont généralement des lieux où se déroulent des phénomènes intéressants mais c’est aussi là que les choses deviennent complexes et sources de tensions. L’INRP est surtout un outil précieux qui permet des échanges entre le monde de la recherche en éducation et les praticiens. De nombreux pays qui mènent une réflexion sur cet aspect déplorent l’absence d’une structure permettant la mise en place de tels échanges [5]. La dernière table ronde que j’ai animée à l’INRP faisait dialoguer un inspecteur général, un chercheur en éducation et un enseignant. Il me semble que chacun s’est enrichi de ce dialogue et je ne vois pas que d’autres lieux qui le permettent.
L’INRP a donc une histoire chaotique et complexe dont l’avant dernier épisode tragique a été sa délocalisation à Lyon. C’est un outil dont l’utilité est sous-estimée et qui est sous-utilisé par ses ministères de tutelle. Pour autant le scénario d’intégration à l’ENS peut-il constituer une réponse aux difficultés rencontrées ? On peut en douter tant les modèles de référence sont différents. Dans le domaine de la formation continue, lorsqu’il s’agit d’accompagner la réforme des programmes de 2000, l’ENS de Lyon met en place un site disciplinaire dont la mission est de diffuser des informations scientifiques auprès des enseignants de sciences de la vie et de la Terre. Plus récemment, lorsque le ministère décide de promouvoir une nouvelle approche de l’enseignement scientifique, l’INRP s’appuie quant à lui sur la participation des enseignants aux équipes de recherche qui réfléchissent à de nouvelles démarches et organise, en partenariat avec les corps d’inspection, journées d’études et formations. Approche fondée sur les contenus disciplinaires vs approche pédagogique, l’intégration de l’INRP dans l’ENS pose la bien question de la solubilité du pédagogisme dans l’élitisme.
La lettre de mission d’Yves Winkin prévoit une « autonomie intellectuelle » pour le nouvel INRP intégré mais peut on raisonnablement imaginer qu’une liberté de décision soit possible dans le cadre d’une dépendance administrative ? Par ailleurs, l’avenir des enseignants associés est plus qu’incertain. L’INRP ne sera plus sous la tutelle de l’éducation nationale et malgré la volonté affichée de contractualiser avec la DGESCO pour continuer à associer les enseignants aux recherches, on peut en douter. Comment concilier la durée nécessairement longue des travaux de recherche avec les changements de priorités de l’institution ? Quant aux chercheurs et enseignants, très majoritairement en situation de détachement, le scénario le plus probable est un retour vers leurs universités et établissements scolaires d’origine.
L’intégration de l’INRP dans l’ENS n’est pas un mariage comme le suggère le titre de la dernière Lettre de l’Education [6]. Le marié est un jeune homme de bonne famille mais la présumée mariée n’est pas amoureuse. Il est peu probable que ce projet conduise à une intégration. Le greffon ne paraît pas compatible. Ce n’est même pas une dissolution à laquelle il faut s’attendre – la miscibilité est douteuse – mais plutôt à une disparition. Les motivations profondes de cette disparition ne sont certainement pas d’ordre scientifique puisque le conseil scientifique de l’établissement n’a pas été saisi. Très probablement, L’ENS récupèrera des postes, des locaux, un fond documentaire précieux et pourra développer des recherches qui s’inscriront dans la culture propre de l’établissement. Cette disparition annoncée n’est pas un acte isolé. Elle participe d’une lame de fond marquée par des suppressions massives de postes d’enseignants, par une formation initiale qui n’a de formation plus que le nom, par la diminution ou suppression des subventions aux mouvements éducatifs et, plus généralement, par un désengagement de l’Etat très inquiétant.
Eric Sanchez
Université de Sherbrooke, Québec
Liens :
Site de la pétition :
http://www.sauvonslarecherche.fr/spip.php?page=signature[…]
Sur le Café, Geonote un SIG pour la classe
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/lenseignant/sch[…]
Innovations en SVT
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/lenseignant/sciences[…]
Notes :
[1] Le blog Sauvons l’INRP rassemble les documents sur la menace de disparition de l’INRP http://sauvonslinrp.blogspot.com
[2] Agence de promotion des technologies numériques pour l’éducation dont la fermeture a été annoncée en mai dernier http://stage.about.becta.org.uk/display.cfm?page=2137
[3] Avenas et Vaux en Velin sont des communes du Rhône
[4] Aster est une revue de didactique de sciences qui est disponible en ligne.
[5] voir par exemple le rapport du conseil supérieur de l’éducation du Québec sur les liens entre recherche et pratique http://www.cse.gouv.qc.ca/FR/Publications_main/index.html
[6] La Lettre de l’Education n°678 du 37 septembre 2010
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