Manuels scolaires : mon ami le numérique ?
Si, au début 2010, le premier rôle était tenu par les promesses offertes par le TBI (Tableau blanc interactif), cette rentrée d’août 2010 est, elle, placée sous l’égide du manuel numérique. Pour le bonheur de tous ? Une enquête récente du journal Le Monde le postule. [1]
Pour une partie de son enquête, le journal Le Monde s’appuie sur les résultats d’un sondage SOFRES, réalisé auprès de professeurs utilisateurs de manuels numériques. Parmi les résultats de ce sondage, on note que
· 90% des professeurs sont satisfaits ou très satisfaits de la complémentarité entre les supports papier et numérique ;
· 84% de ces professeurs s’estiment à l’aise avec leur manuel numérique et un sur trois l’utilise à chaque cours.
Parmi les principaux avantages des manuels numériques mentionnés par les professeurs, on trouve dans l’ordre
· la mobilisation de l’attention des élèves;
· l’utilisation d’exercices interactifs ;
· l’allègement du poids des cartables.
Comme pour le TBI, le manuel numérique présente donc l’avantage de se présenter sous un air familier aux enseignant-e-s. Dans ce domaine-là, ils peuvent très facilement l’intégrer à leurs pratiques usuelles et, dans le sondage, l’ordre d’arrivée des avantages cités par les enseignants l’illustre pleinement. Concernant le manuel numérique, il n’y a plus aucune injonction faites aux enseignant-e-s de modifier leurs pratiques ou de leur dire « ce que vous faisiez avant, c’était mal».
En histoire, les séquences multimédias présenteront alors plusieurs avantages en fonction du modèle d’enseignement dominant [2]
· ces séquences sont déjà sélectionnées, montées et légendées d’où un important gain de temps pour l’enseignant ;
· leur durée est calibrée pour une heure de cours ;
· elles s’intègrent au cours dialogué et mobiliseront l’attention des élèves ;
· elles donnent ensuite lieu à des travaux dirigés.
En outre, le manuel numérique et le TBI travailleront main dans la main.
Pour autant, cela manque quelque peu d’ambitions devant le potentiel d’un tel outil et du numérique plus particulièrement. On pourrait, par exemple, imaginer qu’à partir d’un même corpus documentaire, plusieurs scénarios soient proposés aux enseignant-e-s (un cours dialogué et un travail coopératif). Des extraits vidéos nous permettraient aussi de les voir mis en œuvre dans des classes.
Seulement de telles démarches ont un coût et il semble bien que l’engouement ministériel devant le manuel numérique réside dans l’idée que le manuel numérique ne couterait rien ou presque. Ce sentiment est renforcé par l’arrivée de nouveaux acteurs qui accréditent l’idée du manuel numérique gratuit. Or, ce côté gratuit a largement été rendu possible par l’engagement très fortement bénévole d’enseignants dans le cas du livrescolaire.fr et au bénéfice de ce dernier. En effet, les enseignant-e-s sont notamment invités à créer et à déposer leurs cours sur le site de l’éditeur.[3] Et si aujourd’hui, l’Association Sésamath peut rémunérer un poste à plein temps et quatre à mi-temps grâce à l’édition et la vente de manuels papiers, cela n’aurait pas été possible sans le soutien financier et institutionnel dans les premières années de l’IUFM Nord-pas-de-Calais , du Conseil général de Seine-et-Marne et du CRDP de Lille. [4]
Le modèle économique actuel est donc particulier et rien n’indique qu’il soit viable à moyen et long terme sous cette forme-là. Devant ces incertitudes, les éditeurs traditionnels —comme les nouveaux arrivants [5]— sont peu enclins à innover et jouent la sécurité en transposant leur manuel papier sur support numérique.
Lyonel Kaufmann, Professeur formateur, Didactique de l’Histoire, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse)
Notes
[1] Dans son édition du jeudi 9 septembre 2010 réservée aux abonnés, le journal Le Monde a publié une contre enquête intitulée « Manuels scolaires : adieu le papier ? ». Le site Lemanuelnumerique.fr en rend compte : http://lemanuelnumerique.fr/2010/09/contre-enquete-dans-le-monde-du-09-09-10/
[2] A ce propos voir mon billet du mois de juin :
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/schumaines/histoire/Pa[…]
[3] La pratique n’est pas nouvelle. Elle avait notamment été utilisée par le site memo.fr.
[4] Informations fournies par le site de Sésamath :
http://www.sesamath.net/association.php?page=asso_historique
Lire également
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0602a.htm
[6] En consultant le site lelivrescolaire.fr je suis bien en peine de distinguer son approche pédagogique de celle proposée par les éditeurs plus traditionnels. Il ne renouvelle en aucune manière le genre.