Par François Jarraud
Il faut investir dans l’éducation et, en France, crever le plafond du bac. Ces deux recommandations résument la présentation, mardi 7 septembre, par Angel Gurria, secrétaire général de l’OCDE, de l’édition 2010 de « Regards sur l’éducation ». Cet ouvrage de référence synthétise les données statistiques de l’OCDE sur l’éducation et permet une étude comparative des systèmes éducatifs pour les 31 pays membres de l’Organisation (dont la France) et 8 pays non membres (Brésil, Estonie, Russie, Israël, Slovénie, Chine, Inde, Indonésie). Sa sortie attendue est l’occasion de parler de l’Ecole. Elle donne aussi des indications claires aux politiques. Sont-ils capables d’entendre le message ?
« Face à une récession mondiale qui continue de peser sur l’emploi, l’éducation constitue un investissement essentiel pour répondre à des évolutions technologiques et démographiques qui redessinent le marché du travail », a déclaré Angel Gurria le 7 septembre en présentant l’édition 2010 de « Regards sur l’éducation ». Accompagné d’Andreas Schleicher, directeur des indicateurs et analyses, il s’est livré à un commentaire des résultats mondiaux de l’éducation présentant à la fois une éducation globalisée et défendant l’idée de son développement. Il revenait ensuite à Bernard Hugonnier, directeur de l’éducation à l’OCDE, à Michel Quéré, directeur de la Depp (ministère de l’éducation nationale) et Claude Sauvageot (DEPP) d’analyser les résultats de la France.
Une éducation globalisée ?
Pour l’OCDE, « alors que la concurrence s’intensifie sur le marché mondial de l’éducation, les États doivent viser une qualité de niveau international pour leurs systèmes éducatifs afin d’assurer une croissance économique à long terme ». C’est que la publication des indicateurs de l’OCDE, ceux de ces Regards mais aussi ceux de PISA pèsent sur le système éducatif. En permettant la comparaison entre les états et en la rendant publique, ils permettent à chaque état de justifier des politiques nouvelles et de se fixer comme objectif les moyennes de l’OCDE ou les résultats des pays voisins. Mieux encore, ils permettent aussi de détecter des politiques plus efficaces que d’autres, et l’OCDE elle-même ne se prive pas de « conseiller » ainsi les Etats. Ainsi l’OCDE publie des études sur le management des établissements, l’impact des TICE ou encore l’accueil des élèves immigrés. On a là un outil d’uniformisation des systèmes éducatifs relativement efficace, même si l’éducation relève partout d’autorités nationales (même en Europe seul l’enseignement supérieur entre dans les compétences européennes). » Dans une économie mondialisée, il ne s’agit plus de progression aux vues des normes nationales uniquement », a ajouté Angel Gurria. « Les systèmes éducatifs réalisant les meilleurs résultats au niveau international constituent la référence en matière de réussite ».
Cet effet est accru par le fait que l’éducation est entrée dans un marché mondial, au moins au niveau du supérieur. « Les jeunes poursuivant leurs études universitaires à l’étranger étant toujours plus nombreux, il est particulièrement intéressant, tant pour les universités qu’en termes de retombées commerciales, d’attirer des étudiants étrangers »,précise l’OCDE. « En 2008, dernière année pour laquelle des données complètes sont disponibles, plus de 3.3 millions d’étudiants s’étaient inscrits dans des cursus à l’étranger, soit 10.7 % de plus qu’en 2007. De nouveaux acteurs apparaissent sur le marché de l’enseignement international, où la concurrence est de plus en plus vive. En l’espace de dix ans, la Fédération de Russie a augmenté sa part de marché de deux points de pourcentage, tandis que les parts de l’Australie, de la Corée et de la Nouvelle-Zélande progressaient d’un point de pourcentage. Sur la même période, la part des États-Unis est passée de 26 à 19 %, et l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Belgique ont également perdu du terrain. La France reste un des pays les plus attractifs pour les étudiants étrangers (sa part est de 7%).
Pourquoi faut-il investir dans l’éducation ?
Mais l’OCDE s’était fixé comme objectif principal de convaincre de la nécessité d’investir dans l’éducation et d’élever le niveau éducatif. Les pays de l’OCDE dépensent en moyenne 94 589 $ pour une éducation ordinaire primaire et secondaire (avec des variations de plus du simple au double entre Brésil et Etats-Unis). Ces dépenses ont augmenté en moyenne de 43% depuis 1995 alors que les effectifs sont restés stables. La question de la rentabilité de ces dépenses se pose donc partout avec plus d’ardeur en temps de crise.
Une bonne affaire pour le fisc. Pour l’OCDE, il est clair que l’investissement éducatif est payant. Et ce que sait bien faire l’OCDE c’est le calculer au dollar près. D’abord en terme de retour sur investissement. » En moyenne dans l’ensemble des pays de l’OCDE, un homme diplômé du supérieur génèrera 119 000 $ de plus en recettes fiscales et en cotisations sociales sur toute sa vie active qu’un diplômé du deuxième cycle du secondaire », estime l’OCDE. « Même après avoir pris en compte les dépenses publiques nécessaires au financement des formations supérieures, les recettes fiscales et les cotisations sociales des diplômés de l’université font de l’enseignement supérieur un bon investissement sur long terme. Déduction faite du coût des formations supérieures, le gain à long terme pour le Trésor public s’élève en moyenne à 86 000 $ dans la zone OCDE, soit près de trois fois le montant de l’investissement public par étudiant dans l’enseignement supérieur. Les retombées globales sont même plus importantes, dans la mesure où de nombreux avantages liés aux études ne se traduisent pas directement par des recettes fiscales ». Malheureusement l’OCDE ne peut donner de chiffres précis pour la France. L’éducation nationale estimant que ces calculs sont trop délicats a refusé de se prêter à ces estimations. Mais Michel Quéré admet que le raisonnement (à défaut du calcul précis) est valable aussi pour la France.
L’éducation est rentable pour les individus. L’OCDE prend position contre les contempteurs de l’inflation scolaire. » Une bonne formation améliore l’aptitude à l’emploi », a précisé Angel Gurría. « Dans les pays touchés en premiers par la récession, les personnes peu qualifiées ont eu plus de mal à trouver et à garder un emploi ». Le taux de chômage des diplômés du supérieur est resté à 4 % ou moins en moyenne dans l’ensemble de la zone OCDE pendant la récession. En revanche, le taux de chômage des personnes n’ayant pas fini leurs études secondaires dépasse très souvent 9 %. Pendant la crise si le chômage a progressé pour tous, il est allé trois fois plus vite pour les sans diplômes que pour les diplômés du supérieur. L’avantage est aussi salarial. Les entreprises ont dépensé près de deux fois plus en moyenne dans les pays de l’OCDE pour employer un diplômé du supérieur expérimenté de 45 à 54 ans que pour un non diplômé du deuxième cycle du secondaire du même groupe d’âge. Enfin l’éducation a un effet positif sur la santé et l’engagement. Les personnes ayant une éducation supérieure se disent mieux portantes que les autres, y compris dans un pays ayant une sécurité sociale comme en France. Elles sont plus nombreuses à voter et globalement à faire confiance à leurs concitoyens (même si sur ce critère la France est affreusement classée).
Ces affirmations sont contestées par des sociologues qui dénoncent « l’inflation scolaire » comme François Dubet ou Marie Duru-Bellat (voir leur dernier ouvrage Les sociétés et leur école, Seuil). Cependant, les séries statistiques et les enquêtes de l’OCDE restent terriblement persuasives. Par exemple quand l’Organisation montre comment le marché du travail ingère des quantités croissantes de diplômés. Il est vrai que par ricochet la situation des non diplômés se dégrade.
En France, depuis 1995, le plafond du bac bloque tout progrès
Après ces considérations générales, il revenait à Bernard Hugonnier et Michel Quéré de débattre du cas français. Pour l’OCDE, B Hugonnier faisait ressortir une particularité française : le blocage du système depuis 1995.
Des dépenses au niveau de l’OCDE. La France consacre 5,9% de son PIB à la dépense d’éducation ce qui est supérieur à la moyenne OCDE et ces dépenses ont augmenté de 2000 à 2007 mais moins rapidement qu’ailleurs. De 1970 à aujourd’hui, le système éducatif a réussi à massifier la scolarisation du primaire et du secondaire. Alors que le taux de diplômés du secondaire était faible en 1970, il est devenu supérieur à la moyenne OCDE aujourd’hui. Ce progrès est terni par le fait que 18% d’une classe d’âge n’est toujours pas diplômée du secondaire et 15% n’a aucun diplôme. Les résultats sont nettement moins bons pour l’enseignement supérieur. En 1970 la France avait un pourcentage de diplômés du supérieur inférieur à la moyenne OCDE. Aujourd’hui c’est toujours le cas pour les diplômes de type A (enseignement supérieur long) : 24% contre 27% pour l’OCDE et 33% pour l’Europe. Pour B Hugonnier, si la France rattrapait la moyenne de l’OCDE, elle aurait 100 000 diplômés de plus et cela aurait un impact important sur la croissance économique. L’écart de salaire pour les diplômés est particulièrement net en France : un diplômé du supérieur long gagne en moyenne 80% de plus qu’un bachelier. Du moins pour les hommes car pour les femmes l’écart est négatif ! Pour Michel Quéré (DEPP), le pays connaît bien une « consolidation de la massification ». L’analyse des dépenses montre d efortes inégalités entre les niveaux : un élève du primaire coute 6044 $ en France contre 6741 dans l’OCDE, dans le secondaire 9532 contre 8267 et dans le tertiaire 9001 contre 8970. L’investissement dans le primaire est-il suffisant ?
Le plafond de verre du bac. Une particularité de la France c’est le faible taux de scolarisation des 20-29 ans et surtout le fait que ce taux n’ait pas augmenté depuis 1995. Pour Michel Quéré cela s’explique par la stagnation de la réussite au bac depuis 1995. Depuis la fin du second septennat Mitterrand, la France fait du sur place. Elle n’arrive pas à produire davantage de bacheliers. En gros un tiers des jeunes français n’a pas le bac, taux stable depuis 15 ans. Michel Quéré attend de la réforme du lycée professionnel et de la réforme du lycée général et technologique des progrès. Pour Bertrand Hugonnier il ne faut pas sous-estimer les problèmes qui apparaissent dès le primaire : 100 000 enfants quittent le primaire sans maîtriser les fondamentaux. Une situation confirmée par PISA et par l’enquête PIRLS.
Quelle écoute des politiques ?
A en croire Michel Quéré, l’écoute est active. Il a donné en exemple les salaires des enseignants. Situés nettement en dessous de la moyenne OCDE en début de carrière (dans le premier degré français 23 735 $ contre 28 949 par exemple), les récentes revalorisations auraient pour but de diminuer l’écart entre la France et les autres pays. A coup sûr la publication de Regards sur l’éducation influe sur le gouvernement puisque le ministère délègue des représentant lors de la sortie. En même temps les travaux des chercheurs ont montré un impact relatif des publications des évaluations comparatives. La question de l’efficacité se pose : c’est une chose de constater le plafond de verre du bac c’est une autre que de le soulever. Plus généralement ces évaluations sont souvent mises au service de politiques locales. Ainsi pour Nathalie Mons « les outils d’évaluation ne doivent jamais être conçus comme des instruments techniques neutres, ils sont au service d’une vision de l’école ». Il faudra sans doute plus que Regards sur l’éducation pour que le gouvernement inverse sa politique et investisse à nouveau dans l’éducation.
François Jarraud
A voir également :
N Mons efficacité des évaluations