Table ronde : Quelles propositions pour une éducation plurilingue ?
Diana Lee-Simon, chercheuse à l’université de Grenoble, ouvre cette table ronde intitulée « Langues dans l’éducation, langues pour l’éducation : vers une éducation plurilingue pour tous ? » par une série de questionnements : Comment faire pour que les langues de l’apprenant soient reconnues et accueillies à l’école ? Quelles sont les conditions pour que chaque élève puisse développer des compétences adéquates dans la langue de scolarisation en s’appuyant sur ce que Marie-Rose Moro nomme « le terreau de la langue maternelle » et pour que la langue de scolarisation devienne le seul point fixe dans cette situation mouvante ? …
Pour Francis Goullier, si on parle des langues vivantes dans le système éducatif français, le CECRL occupe dans les représentations et dans les textes officiels l’essentiel de l’espace. Il me semblait intéressant dans un premier temps de nous interroger sur les effets de l’introduction en France du CECRL pour savoir s’il joue un rôle de frein ou au contraire un rôle de levier potentiel par rapport à ce qui nous préoccupe ici à ce colloque. Le CECRL lui-même est très riche d’éléments différents qui peuvent être perçus, version optimiste, comme complémentaires mais, version moins optimiste, comme étant les traces de réflexion et de pratiques en Europe qui cohabitent dans ce document sans véritablement s’harmoniser. A titre d’exemple, le répertoire plurilingue individuel est composé de compétences et de connaissances dans plusieurs langues et cultures qui ne peuvent devenir compétences que quand elles interagissent de manière complémentaires pour faire face à des situations de communication quelles qu’elles soient. Elles permettent également à l’individu d’enrichir ces connaissances et ces compétences de son répertoire. Or le cadre ne donne pas d’outils pour prendre compte ces compétences. Il se limite à la mesure du niveau de compétences par activité langagière, langue par langue, qui invite implicitement à juxtaposer les niveaux de compétences alors que l’enjeu principal de l’éducation plurilingue c’est justement la complémentarité entre ces compétences. Il n’y a pas là de cohérence dans ce que nous propose le CERL. De même la médiation, qui est une activité langagière essentielle dans l’usage social de la compétence plurilingue, est évoquée mais aucun outil n’est donné.
Ces échelles de compétences font certes progresser les pratiques pédagogiques et font rencontrer les enseignants des différentes langues mais peuvent aussi conforter les pratiques d’enseignement des langues dans une attitude d’isolement, d’ignorance des autres éléments du répertoire individuel. Je pense de façon évidente que la façon dont le cadre est perçu ou du moins en France dans le système éducatif français, peut jouer un rôle de frein important par rapport à ce qui nous a habité dans nos échanges depuis ce matin.
De plus, lors de l’élaboration du CECRL, nous avons oublié tout simplement le plurilinguisme. Nous avons oublié le regard que nous devons apporter sur l’apprenant, sur son apprentissage, sur le développement de son autonomie…
Faut-il s’en émouvoir ? Faut-il s’en inquiéter ? La réponse est non. Je pense que tout d’abord le bilan est positif. Globalement nous avons assisté à une percée très rapide du cadre, au moins dans les représentations, tout simplement parce qu’on était prêt à le recevoir. Simplement il faudrait aller plus loin dans le sens de l’éducation, la formation plurilingue. Francis Goullier prend comme exemple la difficulté actuelle de l’allemand. Selon lui, l’allemand ne peut survivre à terme que si nous exploitons de manière visible la proximité linguistique et méthodologique avec l’anglais. Chaque langue aurait intérêt à rechercher s’il n’y a pas des possibilités avec l’anglais, l’anglais ayant le rôle de pivot. Il ajoute également que nous ne pouvons continuer à ignorer les langues qui sont présentes dans nos classes. Il faut reconnaitre, valoriser cette diversité des langues. L’enjeu est important. Comment éduquer les élèves à cette pratique de la diversité si l’enseignant dans son action quotidienne feint d’ignorer la diversité présente dans ses classes ? Il faudrait maintenant que chaque professeur d’allemand, d’italien, d’espagnol, d’arabe, d’anglais, devienne professeur de langue. Il s’agit de permettre aux élèves de comprendre ce que sont les langues, de les équiper d’outils cognitifs, affectifs, méthodologiques pour lui permettre d’aller plus loin.
Inspecteur Général de Langues Vivantes de l’Education Nationale, Bruno Levallois rappelle que la langue est un marqueur d’identité et que savoir ce qu’on fait des identités est important.
Considérons-nous que les élèves dont nous avons la charge appartiennent à une communauté distincte et que le traitement de cette identité et donc de la langue est du ressort de cette communauté particulière ? Ou bien au contraire, considérons-nous que les identités ont vocation à être mises à distance, questionnées et mises en place à la juste place : la place dans une communauté nationale ? Toute la question est de savoir le rôle que l’on veut faire jouer à la culture.
Est-ce que la culture est un marqueur identitaire qui enferme ou est-ce que la culture est une réalité ouverte, complexe, problématique, conflictuelle, évolutive ? Ou bien on assigne à un enfermement identitaire tel ou tel élève, ou bien on met en commun la culture dont il est porteur et on la met en commun avec toute autre culture. Dans notre système scolaire français nous sommes dans une perspective humaniste, universaliste. Dans ces conditions, qu’est-ce que l’école peut faire, peut dire, et peut en dire de ces langues et de ces cultures ? Toute la question est là. Il y a deux alternatives : d’un côté le déni de langue et de culture, qui est ravageur, de l’autre l’assignation identitaire. Alors quel est l’espace libre laissée par notre institution scolaire ?
Jean-François de Pietro choisit de finir son intervention sur la formation des enseignants de langue. Pour lui, il n’est pas question que les enseignants connaissent les langues du monde, il est important de pouvoir parler des langues de nos élèves, de trouver des grandes questions linguistiques communes. L’expression du temps par exemple. Le français a une expression du temps des plus compliquée. Il s’agit d’amener l’élève à penser, à dire, à formuler comment le temps s’exprime. Comme nous avons tous l’intuition de notre langue maternelle, il dira des choses intéressantes. Et si le maitre a une formation linguistique de base, il pourra interpréter et faire du sens. Nous plaidons, je plaide pour une formation linguistique des maîtres beaucoup plus solide car les enseignants sont très démunis.
Daniel Frandji : « mesurer les risques, entre uniformisation et minoration des objectifs communs »
Menant actuellement une étude comparative sur les politiques d’éducation prioritaire en Europe, Daniel Frandji apporte au colloque un regard sociologique sur les enjeux et les perspectives pour l’éducation prioritaire de cette éducation au plurilinguisme.
Il constate à l’heure actuelle en Europe une multiplication des politiques ciblées. Multiplication qui passe par le ciblage de publics scolaires de plus en plus particulier et des mesures pour les enfants de migrants, réfugiés, demandeurs d’asiles, enfants en risque d’exclusion… Dans ce nouvel âge des politiques d’éducation prioritaire, la notion de différence, de diversité et de besoins des élèves est floue. On critique le principe même d’une école commune qui serait forcément normalisante et on ne pourrait pas imaginer un système scolaire commun qui normaliserait trop les différences.
Compte tenu de cette tendance actuelle, son étude européenne sur les politiques d’éducation prioritaire lui a permis de constater des actions sur la prise en compte de la langue d’origine. Il y a des mesures qui visent le renforcement de la langue du pays d’accueil, l’apprentissage de cette langue comme langue seconde, mais on voit également des actions qui visent à avoir certaines disciplines en langue d’origine des élèves, c’est-à-dire la langue des parents de ces enfants. On pourrait alors réfléchir à ce que représente cette langue pour les parents et pour les enfants, voire faire tout l’enseignement dans la langue d’origine de ces enfants. Dans les pays où était constaté, un peu plus qu’ailleurs, l’enseignement de cette langue d’origine ou en langue d’origine, on voit une visée instrumentale. Le fait d’enseigner la langue d’origine va permettre de lutter contre les difficultés scolaires globales. La question qui se pose alors est en quoi l’enseignement dans la langue d’origine va permettre de développer les compétences cognitives, intellectuelles des enfants, des adolescents ? Outre l’enjeu instrumental, il y a un enjeu de reconnaissance et d’estime de soi par la valorisation d’une langue familiale, d’une culture d’origine. On voit que ces deux types d’enjeux n’est pas très simple à penser et on voit des risques des deux côtés. D’un côté un risque d’uniformisation, d’arbitrage culturel, d’un autre le risque de minoration des objectifs communs et de la langue spécifique d’un pays. Daniel Frandji note que cette tension dépend des traditions politiques, philosophiques des différents pays. Mais reste que le rapport entre l’estime de soi et l’apprentissage cognitif c’est compliqué.
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