Par François Jarraud
- Le bac est-il donné à tout le monde ?
- Un vieux sujet de philo pour le bac : est-il juste ?
- Passer le bac dans son lit, c’est possible !
Le bac 2010 a débuté jeudi 17 juin. Après l’année record 2009, le pourcentage de reçu restera-t-il le même ? Questions adjacentes mais traditionnelles : le bac est –il bradé ? Les notes sont-elles justes ?
Vendredi 11 juin, Jean-Michel Blanquer, directeur général de l’enseignement scolaire, présentait les chiffres du bac 2010. Une année marquée par la crise de certaines séries et surtout le piétinement d’un système éducatif en panne.
Le baccalauréat c’est un peu la mobilisation générale de l’Ecole. Qu’on en juge par ces quelques chiffres : 642 255 candidats de terminale, 467 733 aux épreuves anticipées de première, 161 899 examinateurs et pas moins de 4 millions de copies. Les épreuves commencent le 17 juin en métropole, le 15 aux Antilles.
Peu de nouveautés cette année : le bac offre des épreuves en langue des signes et le rattrapage du bac pro a été révisé pour comprendre deux épreuves au lieu d’une seule.
La moitié des candidats se présentent dans une série générale (54%), un sur quatre en technologique (26%) et un sur cinq en professionnel (20%). Des moyennes qui camouflent un peu les difficultés de certaines séries. La filière L perd encore 2,1% de candidats depuis 2009, là où les autres séries perdent 1% (en S) ou 0,4% (en ES). Cette érosion de la filière L, qui ne représente plus que 17% des bacheliers généraux et moins de 10% de tous les bacs, est ancienne mais elle se poursuit. La réforme du lycée réussira-t-elle à inverser la tendance ? Les bacs technologiques STG (-2,8%) et TMD (-4,2%) connaissent aussi un déclin que la progression des candidats scolarisés en ST2S (+ 8,8%) compense. Après la hausse de 2009, les candidats aux bacs professionnels sont en chute accentuée (-1,4%). Certaines spécialités de bac pro sont proches de la fermeture : horlogerie 4 candidats, blanchisserie 37…
« Ce qui est important c’est de regarder le pourcentage de bacheliers dans une génération », a rappelé JM Blanquer dans son allocution (voir la vidéo sur cette page). Ce taux est stable depuis 15 ans ! Il atteint 66% d’une génération. « Accéder au bac c’est déjà le résultat d’une série de passages » a affirmé JM Blanquer en dénonçant ceux qui décrient le bac.
Retards de paiement. Interrogé par la presse, dont le Café, JM Blanquer a annoncé que des mesures ont été prises en ST2S pour que « la préparation des élèves soit meilleure » et « plus adéquate avec les programmes ». Ce nouveau bac avait connu un fort taux d’échec en 2009 dans certaines académies et le cru 2010, s’il était mauvais, pourrait être fatale à la réforme. Il a estimé que les problèmes de paiement rencontrés par des examinateurs, étaient exceptionnels, l’informatisation « permettant plus de facilité de paiement », tout en reconnaissant qu’il reste « quelques problèmes ». Les informations arrivées au Café donnent à penser qu’il y a de nombreux cas de paiements en retard. Certains semblent chroniques comme le paiement des examinateurs des bacs binationaux. Des enseignants se plaignent aussi de convocations abusives comme ces examinateurs du 95 convoqués quotidiennement au fin fond du 78.
Dossier de presse
http://www.education.gouv.fr/cid52071/baccalaureat-2010.html
Discours de JM Blanquer
http://www.education.gouv.fr/cid52088/baccalaureat-2010-d[…]
Sur le bac ST2S
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2009/07/Ba[…]
Le bac est-il donné à tout le monde ?
« Le bac est une épreuve », a déclaré le 11 juin, JM Blanquer. Pourtant, chaque année, certains médias glosent sur le taux de réussite de 80%. Il a même atteint 86 % en 2009. Est-ce à dire que le diplôme est donné à tous ?
Remarquons d’abord que ceux qui tiennent ces propos ont obtenu leur bac à une époque, dans les années 1970, où le taux de réussite oscillait déjà entre 65 et 70%. C’était déjà un taux élevé qui tient à deux raisons. La première c’est que cet examen sanctionne un niveau moyen de fin d’étude. Ce n’est pas un concours. On peut attendre du système éducatif qu’il assure 80% de réussite comme il assure 90% pour les compétences en maths ou français en fin de primaire ou de collège. Ce taux est d’autant plus facile à attendre qu’en fait la sélection a lieu avant le bac. Ce taux de 80% cache que seulement 66% d’une génération obtient le bac. Un jeune sur trois quitte l’école sans le bac. Ce taux de réussite n’est pas seulement faible. Il est stable depuis 1995 où déjà on atteignant 63%.
On observe également de forts écarts entre groupes sociaux et sexes. Le taux de réussite au bac est de 90% pour les élèves dont les parents sont cadres, 86% pour les professions intermédiaires, 83% pour les employés et 76% pour des parents ouvriers. On observe également un fort écart entre sexes : 81% des garçons sont reçus contre 85% des filles. Ce taux cache en fait un écart trois fois plus grand : 70% des filles d’une génération seront bachelières contre 58% des garçons.
Trop de diplômés ? Dans l’intérêt général, si on veut avoir par exemple une économie plus compétitive, on devrait plutôt s’inquiéter de la faiblesse de ces taux. Mais il y a une explication à cette attitude malthusienne. Ce qui défrise dans un fort taux de réussite au bac c’est quand même que certains qui n’y arrivaient pas y arrivent. Or on sait bien que statistiquement on a d’autant plus de chances de réussir le bac que l’on est issu d’un milieu favorisé. L’élévation du taux de réussite au bac renvoie à sa démocratisation. Ce n’est pas tolérable pour tout le monde… Ceux qui critiquent le bac rêvent d’un examen d’entrée en université qui garantirait à leurs enfants, seuls capables déjà de payer les frais d’examen, le monopole des études supérieures.
La France a-t-elle davantage de bacheliers que ses voisins ? Dans tous les pays de l’Union européenne, un document certifie la fin de l’enseignement secondaire Selon les statistiques de l’Unesco, le taux brut de diplômés de fin du secondaire s’établit à 51% en France contre 92% en Finlande, 73% aux Etats-Unis, 74% en Italie. Le taux brut de diplômés du supérieur est à 38% en France contre 62% aux Etats-Unis, 74% en Finlande, 55% en Italie.
Faut-il réformer le bac ? Les mêmes critiques font campagne pour une réforme du bac. A vrai dire ils ont des arguments. Le bac est une machine colossale et couteuse. Or quelques épreuves seulement sont prédictives du résultat pour 90% des candidats. R Apparu, dans son projet de réforme du lycée, avait demandé une simplification du bac. 4 disciplines seulement resteraient matière à contrôle final. Si elle apparaît logique, la réforme proposée semble surtout susceptible d’augmenter l’injustice. En effet on sait, depuis les travaux de D. Oget, que si le bac était passé au contrôle continu les résultats finaux seraient largement différents. Le fait qu’au bac on corrige une copie anonyme augmente les chances de certains candidats : les garçons, les jeunes des milieux populaires. R Apparu ne demande d’ailleurs pas de contrôle continu mais un CCF où les élèves seraient notés par un professeur qui ne serait pas son professeur.
Mais pour bien estimer si le bac a de la valeur, voyons ce qu’il coûte à celui qui ne l’a pas. Si en France personne ne s’est attaché à ce calcul, le caractère pragmatique des Anglo-Saxons nous permet de trouver plusieurs études en ce sens. La plus récente provient de l’Alliance for Excellent Education (AEE) , une association charitable qui milite pour la scolarisation. Pour elle « tout le monde bénéficie des progrès de qualification ». Elle a pu calculer la différence de salaire entre un bachelier et un non bachelier (26 923 $ contre 17 299) et partant de là estimer le manque à gagner collectif : si tous les jeunes Américains de 2008 avaient poursuivi leurs études jusqu’au bac, ils auraient apporté 319 milliards de dollars en plus à l’économie américaine durant leur vie. Mais puisque les diplômés vivent plus longtemps, deviennent des citoyens plus posés, L’AEE estime également d’autres retombées : « les économies régionales et locales souffrent plus quand elles ont des populations moins éduquées car il leur est plus difficile d’attirer des investissements. En même temps elles dépensent davantage en dépenses sociales ». L’AEE a pu calculer qu’en poussant tous les Américains jusqu’à la fin des études secondaires, l’Etat économiserait de 8 à 11 milliards chaque année en aide sociale, 17 milliards en aide médicale. Si le taux de sortie sans qualification des garçons baissait de seulement 5% cela représenterait 5 milliards de dépenses policières en moins.
Alors comment augmenter la part des bacheliers ? Comment faire ? Ce n’est pas à Neuilly qu’on pourra l’augmenter significativement. Il faut évidemment aller chercher les nouveaux bacheliers là où ils sont : dans les ghettos défavorisés. Il faut que dès la maternelle, dès deux ans, il y ait un effort important de fait pour ces enfants. Or on sait que la scolarisation à deux ans régresse justement dans ces quartiers. Il faut, nous dit T Piketty, réduire le nombre d’élèves par classe significativement en ZEP. Or, là aussi, on sait que la réduction est marginale. Mieux que la prédiction du résultat à partir de certaines matières, on peut déjà prédire que le taux d’échec ne sera pas le même si l’on est fils de cadre ou d’ouvrier. C’est justement cela qu’il faudrait changer.
Un vieux sujet de philo pour le bac : est-il juste ?
Ce ne sera sûrement pas le sujet donné aux candidats qui, ce jeudi 17 juin, affrontent avec la philosophie, la première épreuve du bac. Mais cette année encore la qualité de l’évaluation fait débat. Un débat faussé où pointent les partisans de l’élitisme.
Dans un chat sur le site du Monde, une candidate évoque la justesse de la notation. « Les correcteurs ne sont pas toujours justes dans leurs notations. Soit ils notent trop sévèrement comme en philosophie, soit ils notent avec beaucoup trop de gentillesse », estime une lectrice. Ce à quoi, Jean-Michel Blanquer, directeur de l’enseignement scolaire répond en parlant des garde fou du bac. « Le système prévoit à la fois des commissions d’entente avant les corrections des copies, pour s’entendre sur les critères de correction, et il y a ensuite, après les corrections, des commissions d’harmonisation pour éviter que des candidats soient placés dans une situation injuste s’ils ont eu des correcteurs plus sévères que les autres. Dans ces moments-là, le jury dispose du livret scolaire de l’élève ». Mais la question est aussi soulevée par L’Etudiant qui annonce avoir soumis la même copie de philosophie à 10 correcteurs différents. Au moment où parait cet éditorial, le résultat de ces corrections n’est pas connu mais sans aucun doute il montrera des divergences fortes entre les correcteurs.
A vrai dire la question n’est pas nouvelle. En mars 2008, Bruno Suchaut avait involontairement suscité de violentes réactions suite à la publication d’une étude sur la correction de copies de SES. Il montrait que trois copies du bac soumises à une trentaine de correcteurs différents obtiennent des notes très différentes (l’écart peut aller jusqu’à environ 10 points sur 20) d’un correcteur à l’autre. Ce qui l’amènait à souligner le caractère aléatoire du bac. La démonstration des errements des évaluations au bac n’a pas attendue B Suchaut. Elle a déjà été faite par exemple par Pieron, Reuchlin et Bacher qui, en 1962, ont démontré que pour obtenir une note « juste » aux épreuves du bac de mathématiques il faudrait faire la moyenne des notes de 13 correcteurs en maths, 78 en français et pas moins de 127 en philo…
Le bac est-il juste ? Une évaluation humaine peut-elle être juste ? On peut dire que le système ne fournit pas les 127 correcteurs de philo nécessaires pour avoir une note « médiane » (plutôt que juste) et qu’il y a donc une part d’impondérable dans cet examen comme dans les autres. Avec cette particularité que la part du hasard est multipliée entre les nombreuses épreuves et que finalement il n’est pas exclu que cette montage d’actions s’équilibre.
On peut donc se demander à quoi sert de poser cette question dont les réponses sont bien connues ? Au-delà du petit coup médiatique du mini scandale généré par une réponse médiatique simpliste à une question qui est presque philosophique, montrer que le bac n’est pas juste c’est évidemment militer pour un autre type dévaluation.
Et là ça se gâte. Les détracteurs du bac envisagent souvent son remplacement par un examen d’entrée dans le supérieur. C’est ce dont rêvent nombre d’universitaires qui s’affranchiraient ainsi de la douloureuse nécessité de s’adapter au public d’étudiants tout en continuant à vivre de l’argent public. Dans un pays où le nombre de diplômés du supérieur est déjà faible, augmenter les barrages à l’entrée de l’université aurait des effets économiques et sociaux désastreux. D’autres envisagent son remplacement par un contrôle en cours de formation ou la réduction des épreuves. Aller dans ce dernier sens augmenterait la part de hasard dans l’évaluation. Augmenter la part du contrôle en cours de formation (CCF) est une solution tentante car elle permettrait de fortes économies. On sait cependant qu’elle aurait des effets indésirables. L’évaluation non anonyme des élèves est plus sévère pour les garçons que les filles, pour les jeunes défavorisés ou issus de minorités visibles. Tous les stéréotypes influencent alors le correcteur ce qui n’est pas possible avec une copie anonyme.
Si le bac ne peut prétendre, comme toute action humaine, à une absolue justice, ceux qui jettent le discrédit sur lui construisent l’injustice.
Chat du Monde
http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/06/16/le-bac-[…]
Bruno Suchaut 2008
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2008/03/17[…]
Passer le bac dans son lit, c’est possible !
A quelques heures du bac, le stress des candidats monte en flèche, les établissements alignent tables et chaises et mobilisent leurs surveillants pour cette énorme cérémonie nationale : le bac. Comme d’autres avant lui, ce rituel pourrait disparaître sous la poussée des nouvelles technologies.
Le nouvel outil c’est Securexam, un système informatique qui permet de passer en sécurité les examens à la maison. Securexam comprend un logiciel, une caméra vidéo et un lecteur d’empreinte. Ce dernier sert à authentifier le candidat et lancer la séquence minutée. La caméra vidéo permet de surveiller à distance les faits et gestes du candidat, son isolement. Le logiciel bloque l’utilisation de l’ordinateur autre que ce qui est défini dans l’épreuve. Le candidat effectue le devoir en temps limité. Il est encrypté et récupéré par les correcteurs.
Plusieurs universités américaines (New York University, West Alabama University) et maintenant, selon la presse britannique, une université britannique (University of Wales Institute) testent ce nouvel outil. L’avantage c’est de faciliter les examens pour les élèves handicapés et tous ceux qui ont du mal à être présents. Mais le logiciel diminue également les frais d’examen, par exemple la location de salles et le coût du personnel de surveillance. Mais Securexam permet aussi d’intégrer des examens à distance dans des parcours d’enseignement à distance. C’est donc la nature de la formation qui est modifiée.
Internet au bac, pourquoi pas ? C’est une autre approche innovante testée au Danemark. « Quand vous faites un devoir à la maison vous avez accès à Internet. Donc pourquoi en priver les candidats au bac ? » C’est le raisonnement du ministère danois de l’éducation qui teste ce dispositif avant une éventuelle généralisation en 2011. Les enseignants veillent évidemment à ce que les candidats ne puissent pas tricher en dialoguant entre eux par exemple. Autoriser Internet implique que le type de devoir change pour passer de la mémorisation de connaissances vers une évaluation des compétences.
Alors que la machine à produire et corriger les copies est remise en marche pour son 202ème anniversaire, il n’est peut-être pas inutile de faire miroiter un improbable grand lifting.
Securexam