Université d’été de la B.D
La Cité internationale de la bande dessinée et de l’image et le Pôle Image Magelis organisent la 4ème édition de l’université d’été de la bande dessinée, qui se déroulera du 5 au 7 juillet prochains, sur le thème : trans-média, cross-média, média global : de l’album singulier aux écrans multiples. Il sera question au cours de ces trois jours d’interroger le rôle et la place des auteurs dans le contexte de la convergence des médias vers des œuvres globales. Comment se conçoit aujourd’hui une œuvre appelée à être déclinée sur différents supports ? Qu’annoncent ces mutations pour le livre ? Pour la lecture ? Le trans-media fait-il naître de nouveaux métiers ? Ces questionnements seront portés par les témoignages d’auteurs et de professionnels de l’image.
Rencontre avec Jean-Philippe Martin, directeur de l’action culturelle.
A.B. : Il est question, pour votre université d’été, de « trans-media, cross-media, média global ». Pourriez-vous nous expliquer, en des termes simples pour les béotiens, de quoi il retourne ?
JPhM : C’est en partie pour aider à se frayer un chemin dans le maquis des appellations et des pratiques liées au concept de média global, que la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image et le Pole image Magelis ont décidé de consacrer leur université d’été à la situation de la bande dessinée dans le contexte de la globalisation des media.
Global media ou, si l’on préfère la langue de Molière, Media global, quésaco? L’expression décrit la convergence entre, d’une part, les bouleversements technologiques engendrés par le numérique qui ont favorisé la multiplication des sources de diffusion et de réception des informations (internet, téléphone portable, livres électroniques…) et, d’autre part, les nouveaux comportements engendrés par ces mutations, comme le nomadisme : pouvoir lire un roman, une bande dessinée, visionner un film, une émission de télévision, en tous lieux et à toute heure, à la demande. Pour y répondre les fournisseurs de contenus (éditeurs, programmeurs, producteurs) sont conduits à concevoir ces derniers non plus pour un seul canal à la fois (le cinéma, la télévision, le livre…) mais pour plusieurs, souvent simultanément. S’installe ainsi une conception globale des contenus, qui tient compte des spécificités propres à chaque « véhicule de l’information ».
En réponse à cette globalisation des media, plusieurs stratégies sont à l’œuvre. Celle qui consiste à envisager les déclinaisons d’une œuvre sur différents supports en est une. Prenons l’exemple d’une bande dessinée : celle-ci va connaitre une adaptation sous forme de dessin animé, devenir un jeu vidéo, être le prétexte à un film en prise de vue réelle, donner lieu à une novellisation, connaitre une nouvelle publication pour internet ou le livre électronique. A chaque fois, il va s’agir d’une version répétant la bande dessinée du départ adaptée à chaque medium et qui, dans bien des cas, n’associe que lointainement les auteurs de la bande dessinée d’origine.
Imaginons maintenant une bande dessinée dont les personnages font des incursions dans d’autres bandes dessinées ou dont de nouveaux chapitres sont publiés dans différents media (Web, TV, jeu en réseau…). Si là encore chaque chapitre est conçu spécifiquement pour le medium qui le diffuse, il n’est plus une répétition d’une œuvre première mais une extension de celle-ci, apportant un complément au précédent et multipliant les points d’entrée dans une histoire à lire, voir ou jouer. Dans ce cas les auteurs peuvent être associés à tous ces passages d’un medium l’autre. Cette « stratégie » est dite cross-media ou plus exactement trans-media.
Quelles incidences a-t-on pu constater dans le monde de la BD avec l’émergence du livre numérique ?
La bande dessinée numérique n’a pas attendu le retour du livre numérique pour se faire une place sur le web. Cela fait déjà quelques années qu’il est possible de lire de la bande dessinée sur Internet : sites, blogs se sont multipliés durant la décennie qui vient de s’écouler, créant un espace éditorial qui rivalise avec l’édition papier traditionnelle. Ce sont des centaines de milliers de pages publiées, et « comme dans le monde réel », des auteurs vedettes plébiscités par un lectorat toujours plus important et des fans qui vont même jusqu’à se retrouver dans des festivals (festiblogs) pour rencontrer leurs créateurs favoris. Notons que dans bien des cas ces bandes dessinées sont dites numériques parce que dématérialisées mais ne sont jamais que des pages scannées ou dessinées via une tablette graphique et qu’elles n’exploitent que très rarement les ressources du multimedia ( vidéo, son…). Ce qui s’explique par le fait qu’en réalité une grande partie des bandes dessinées publiées sur le Web le sont par des auteurs qui trouvent ici le moyen d’être édités à bon compte- mais à compte d’auteurs : les revenus financiers sont quasi inexistants avec ce mode de publication-, de faire connaitre leur travail à un large lectorat et de voir ainsi s’ouvrir un jour les portes des éditeurs traditionnels.
Liées à l’arrivée de nouveaux écrans capables favorisant une meilleure lecture des images et à l’engouement des utilisateurs pour les téléphones mobiles nouvelles générations, les e-books et autres Ipad, les initiatives éditoriales se sont multipliées ces dernières années. Les éditeurs de bande dessinée y voient une opportunité d’élargir la diffusion de leur catalogue via des plateformes de diffusion et de lecture, comme Soleil, Casterman, Jungle ou Fluide Glacial sur MobiLire® BD . En parallèle, ont aussi émergé des structures de diffusion et de lecture dont le but affiché est de faire découvrir de jeunes auteurs et de nouveaux talents issus de la Toile. C’est le cas de Manolosanctis ou de Sandawe qui à l’image de ce qui se fait pour la musique, propose aux internautes de participer financièrement à la production des albums qui leur plaisent. Aujourd’hui embryonnaire, c’est sans doute un nouveau marché qui s’ouvre pour les créateurs et les lecteurs.
Ne pensez-vous pas que la BD profite de l’essor numérique pour se faire une plus grande place au sein de l’enseignement du français ?
Je manque du recul nécessaire pour répondre à cette question. Selon ce que j’observe la bande dessinée figure déjà dans les corpus, elle est étudiée en classe de français ou d’autres disciplines. Guère dans les programmes officiels j’en conviens, mais ce n’est qu’une question de temps. La lecture des bandes dessinées en effet, n’est plus proscrite par les pédagogues comme elle a pu l’être en des temps pas si lointains, sans doute parce que les enseignants, les responsables en charge de concevoir des programmes, appartiennent à ces générations de lecteurs qui ont découverts la bande dessinée à l’heure où celle-ci gagnait sa place au sein des pratiques culturelles admises. L’essor du numérique étant de mon point de vue de nature à améliorer l’enseignement ( diffusion et accès aux contenus facilités), je ne doute pas que la bande dessinée numérique y contribue.
En quelques mots, que pourrait retirer un professeur de Lettres de ces trois jours de colloques ?
Une ouverture vers un territoire encore à défricher : celui de l’hyperlivre.
Contact pour les renseignements pratiques et l’inscription, Virginie Berger: vberger@citebd.org
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