Par François Jarraud
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Président de la région Pays de la Loire et de la Commission éducation de l’Association des régions de France, Jacques Auxiette sait à quel point l’appui des collectivités locales est indispensable au fonctionnement et aux progrès des établissements scolaires. Le projet de réforme des collectivités locales permettra-t-il de maintenir ces efforts ou faudra-t-il se résigner à voir l’enseignement public retomber entre les mains d’un Etat qui s’en désintéresse ?
Dans une précédente tribune parue sur le Café pédagogique, vous évoquiez la fin de la clause de compétence générale prévue dans la Réforme des Collectivités Locales, pouvez-vous nous en préciser l’impact ?
JA : Ce qui est certain, c’est que dans la réforme des collectivités territoriales, il y a les éléments qui sont annoncées et ceux qui ne le sont pas encore… L’avant projet de loi dévoilé par le gouvernement précise le mode de fonctionnement autour des compétences : elles seront exclusives, elles ne pourront être exercées par une autre mais, à ce jour, nous ne savons pas quelle sera leur répartition. Une deuxième loi viendra préciser cette question. En tout cas, ce qui est clair, c’est que le gouvernement veut priver les Départements et les Régions d’un outil qui a prouvé son efficacité : la clause de compétence générale. Cette clause nous permettait d’agir sur tous les domaines qui présentaient un intérêt au développement du territoire de la collectivité. Demain, seules les communes pourront l’exercer, nous serons, alors, dans l’impossibilité de soutenir les projets locaux qui seront en dehors de nos compétences fixées par la loi. Pour les citoyens, cela aura un effet dramatique…
A ce jour pouvez-vous décrire les effets de cette réforme sur les actions régionales ? Notamment sur l’éducation et les lycées sur lequel vous intervenez de manière forte ?
JA : Très concrètement, je n’ai pas l’assurance, demain, de pouvoir continuer à soutenir des pans entiers de l’activité régionale qui n’entrent pas dans le bloc de compétences définies. Si cela avait été le cas aujourd’hui, jamais nous n’aurions pu agir sur le développement des maisons de santé pour réduire les inégalités d’accès ou sur les aides la mobilité internationale pour les étudiants. Toute l’action autour de la vie associative n’aurait pu voir le jour.
Concernant l’éducation et plus particulièrement les lycées, la première question qui se pose est de savoir si nous serons toujours responsables de cette compétence ? C’est la même chose pour les départements et les collèges… des hypothèses circulent quant au rattachement à l’une ou à l’autre collectivité de l’ensemble de ces établissements, mais rien n’est moins certain. Cela, d’ailleurs, trouble fortement les agents techniques (ex TOS) qui pourraient voir à nouveau leur employeur modifié, alors que la loi du 13 août 2004 les transférait aux collectivités territoriales. Concrètement, ils pourraient, à nouveau changer d’employeur, moins de deux ans après l’application complète de cette loi. N’est-ce pas un mépris complet, à leur égard, de transformer encore une fois et si vite, leur cadre professionnel ?
On peut aussi s’interroger sur notre capacité à financer les actions pédagogiques, le soutien aux projets de classes, aux initiatives des lycéens que nous avons choisies d’investir pour compenser l’abandon de l’état en la matière, bref en dehors du stricto sensu des compétences obligatoires, cette action peut disparaître.
Si l’on prend l’exemple concret des équipements informatiques, aujourd’hui et demain quelles seront les réalités pour les enseignants et les élèves dans les lycées ?
JA : Dans la Région des Pays de la Loire, cette question a fait l’objet d’un effort incroyable, à la hauteur des enjeux que représente l’accès au numérique pour les enseignants et les jeunes. Dans le cadre de nos compétences obligatoires, 100 millions d’euros sont investis entre 2004 et 2010, 35 000 ordinateurs sont mis à disposition (soit 1 pour 2 élèves). Mais si nous étions restés simplement sur le cœur de nos compétences, nous n’aurions pas pu développer un réseau de 71 coordinateurs informatiques pour nous assurer du bon fonctionnement de tout cet investissement. Sans doute, beaucoup d’ordinateurs seraient, alors, restés dans leurs cartons…
Selon vous, quelle est la logique de cette réforme, quelles en sont les raisons profondes ?
JA : Le Congrès de l’Association des Régions de France qui vient de se tenir à Marseille, début décembre, nous a permis d’échanger entre nous sur cette question. Nous avons également accueilli Brice Hortefeux et notre constat est très amer. Sous l’argument d’une clarification des niveaux, d’une simplification du « mille-feuille », d’une accusation mensongère d’être dépensier et saupoudreur, l’Etat consacre une vraie remise en cause de la décentralisation.
Au moment où la crise économique démontre la nécessité d’une action de proximité, le gouvernement décide de reprendre la main sur les exécutifs locaux, sans doute pour mieux les contrôler. Au moment où nous aurions besoin de voir nos moyens renforcés sur les politiques d’innovation, d’emploi, d’enseignement supérieur, de lycées et d’aménagement durable du territoire, c’est tout le contraire qui se produit et cela remet gravement en cause notre avenir commun.
Quelle place selon vous les Régions devraient-elles pouvoir jouer dans le système éducatif… Quelle pourrait être alors la nouvelle donne… compétences partagées avec l’Etat ? Intervention dans le domaine pédagogique ?
JA : Avant tout, il est indispensable que le service public national d’éducation reste unifié et solide. Ne nous leurrons pas sur ce sujet, jamais la remise en cause de ses moyens n’a été aussi forte et c’est sans doute l’élément le plus désastreux de l’action gouvernementale !
Vous avez sans doute raison nos compétences sont, d’une certaine manière, partagées, encore que parfois je ne suis pas certain de partager, toujours, les mêmes finalités. Les Régions essayent, pourtant, de jouer un rôle fort : la définition de projets éducatifs régionaux nous a permis de développer de nombreuses actions de rénovations, d’accompagnement des élèves par la gratuité des manuels scolaires, une augmentation considérable des moyens pédagogiques (équipements, soutien aux projets…)… tout cela sert à ce que le droit à la réussite de tous les jeunes soit une réalité.
C’est cet enjeu que les Régions défendent et je regrette, profondément, qu’à aucun moment, sur aucune réforme, ni celle sur le lycée, ni celle sur la formation professionnelle, ni celle sur le Bac Pro 3 ans, nous n’ayons été à aucun moment, sérieusement, écouté. Peut-on alors parler de compétences partagées dans ce cadre, parfois, j’en doute sincèrement.
Nous ne revendiquons pas de jouer un rôle dans le domaine pédagogique, toutefois, toutes les décisions que nous avons prises, sont toujours concertées avec l’ensemble de la communauté éducative : élèves, parents d’élèves, enseignants, personnels de direction, agents techniques… Bien entendu, parfois, les questions pédagogiques sont abordées et nous tentons, alors, d’agir en complémentarité avec ce qui existe. Pour nous, cette co-construction est un élément incontournable de l’évolution du système éducatif, la condition de réussite de toutes les réformes… Nous aimerions que l’Etat fasse de même sur les projets qu’il met en œuvre, loin, trop loin, de toute concertation…
Jacques AUXIETTE,
Président de la Région des Pays de la Loire, Président de la Commission Education de l’Association des Régions de France
Voir aussi :
Les régions devant l’incertitude
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2009/12/Auxiette_Regionsdevant[…]
Un plan Malraux pour les banlieues ?
Dans quelle mesure le service public d’éducation peut-il promouvoir un cadre éducatif serein qui permettra la réussite de tous ? Pour répondre à cette question, si fondamentale pour ce département, le Conseil général de Seine-Saint-Denis et son président, Claude Bartolone, réunissaient le 28 novembre les Premières Rencontres des acteurs de l’éducation en Seine-Saint-Denis.
Pourquoi préférer un plan Malraux au traditionnel « plan Marshall » ? Claude Bartolone, le dynamique président du Conseil général du 93, manifeste ainsi la place qu’il accorde à l’éducation. Il s’agit de « donner une longueur d’avance » aux jeunes de ce département touché par le chômage et la violence. Cela afin de leur redonner de l’espoir, de leur ouvrir des perspectives culturelles et intellectuelles nouvelles, de tenir la traditionnelle promesse de l’éducation nationale de promotion sociale par le travail.
Un moteur : les TICE. Dans cette perspective, le Conseil général mise sur les TICE et sur leurs effets de communication et de réunion, en mettant en place notamment un ENT.
Dernier sursaut d’une collectivité locale avant l’asphyxie décrétée par le président ou premier acte d’une reconquête territoriale, les Rencontres du 93 semblaient elles aussi traversées par la toute récente coupure idéologique du syndicalisme français. Comment développer un ENT face aux défenseurs de l’Ecole sanctuaire ? Comment prendre en compte les pratiques culturelles et sociales des jeunes face à la priorité disciplinaire ? Ces premières Rencontres locales avaient l’air d’un débat national.
Lire le dossier spécial du Café
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/RencontresActeursEduc93.aspx
L’ANDEV pour faire des PEL un outil pour le développement durable
« Dans un contexte où le développement durable est devenu le cadre de référence pour tous les territoires et une perspective d’avenir partagée, ne faut-il pas aller au-delà des notions de transmission des savoirs, chers à l’école, d’apprentissages, de réussite scolaire, d’investissement des temps de vie de l’enfant et du jeune et conjuguer nos réflexions et actions et stratégies sur la formation à l’éco-citoyenneté environnementale, sociale, mais aussi économique, l’emploi et le développement économique et la réduction des inégalités, constitutifs de garanties pour le développement, l’intégration de nos générations futures dans l’environnement immédiat, mais surtout dans la société future à vivre ». A l’occasion des 3èmes Rencontres nationales des Projets Educatifs Locaux (PEL), les 24 et 25 novembre, à Brest, l’Andev, association qui regroupe les directeurs de l’éducation des grandes villes, a plaidé pour une autre approche des PEL.
Anne-Sophie Benoit, présidente de l’Andev, a également confirmé l’urgence pour son organisation de voir se créer un observatoire des pratiques et politiques éducatives locales.