Le dernier médecin du travail de l’éducation nationale, vous l’avez rencontré sous Sarkozy, Chirac, Mitterrand ? C’était quand votre dernière radio professionnelle ? En pleine pandémie, l’administration vous a-t-elle dit ce que vous deviez faire si vous êtes un prof « à risque » ? Pour le Se-Unsa, une chose est claire : l’éducation nationale assure le service minimum pour l’application de la réglementation en matière d’hygiène, de sécurité et de santé au travail. Ses salariés n’ont pas la politique sanitaire qui s’impose dans les entreprises et les autres ministères.
Mardi 1er décembre, Christian Chevalier, secrétaire général du Se-Unsa, et Dominique Thoby, secrétaire nationale, présentaient les résultats d’une enquête Internet lancée par le Se-Unsa sur les conditions de travail et la santé des enseignants. Avec plus de 5 000 réponses en un mois, elle montre que le sujet est sensible chez tous les enseignants : tous les corps et toutes les tranches d’âge ont répondu.
Carence ministérielle. Pour C Chevalier, « le ministère n’accorde pas à ses salariés l’attention qu’ils sont en droit d’attendre ». Une majorité d’enseignants demande en priorité un service médical de proximité, un suivi médical ou de la prévention. Un ersatz existe bien : le PAS (prévention, aide et suivi). Mais 87% des enseignants n’en connaissent pas l’existence et ce n’est pas par hasard. 63% des enseignants estiment que leurs conditions de travail fragilise leur état de santé, 22% le poids des responsabilités. 70% jugent que les problèmes de santé qu’ils ont rencontré dans leur vie étaient en rapport avec l’exercice du métier. Mais à qui le dire ? 80% des enseignants estiment que l’administration est sourde face à leurs problèmes de santé. Quant aux 20% qui ont été entendus, plus de la moitié ne sont pas satisfaits de la prise en charge qui a suivi.
CHS ou CHSCT ? Pour D Thoby, le ministère ne prend pas en compte l’existence des risques psychosociaux, c’est-à-dire les risques professionnels qui portent atteinte à l’intégrité physique et mentale des salariés. 28% des enseignants souffrent ou ont souffert de stress, 18% de dépression, autant de troubles TMS (musculo squelettiques), 16% de troubles de la voix. L’éducation nationale a des Comité d’hygiène et sécurité, rarement réunis, sans budget, là où il faudrait une prise en compte des risques du travail, c’est-à-dire des CHSCT (Comité d’hygiène, sécurité et conditions de travail) .
La pandémie grippale illustre cette situation. D. Thoby rappelle que la circulaire sur la continuité pédagogique mentionnait du bout des lèvres les personnels. Elle constate qu’en dehors d’une académie, Versailles, aucune mesure préventive n’a été prise pour les enseignants « à risque ». Les médecins de l’administration renvoient vers les médecins libéraux pour un éventuel arrêt. On a même vu des personnes à risque désignées comme « personnel référent » c’est-à-dire d’astreinte en cas de fermeture d’établissement ! « C’est une question de culture », affirme –t-elle. « Il n’y a pas de culture de la gestion des ressources humaines dans l’éducation nationale. Elle est remplacée par l’autoritarisme ambiant. Luc Chatel a fait savoir qu’il s’intéressait à cette question et a nommé une responsable des ressources humaines. On attend la suite… »
Que faire ? Le Se-Unsa suit de près les dossiers qui lui arrivent en lien avec la pandémie. Le syndicat a signé le protocole d’accord « santé et sécurité au travail ». Il revendique la création de CHSCT prévue au protocole. Il interviendra pour son application. Il demandera aussi qu’enfin une ligne « dépenses de santé » apparaisse dans le budget ministériel…
Communiqué Se-Unsa
http://www.se-unsa.org/spip.php?article1953
Dossier La grippe et l’Ecole
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/Grippe.aspx
Grippe et droit de retrait : Qui a raison ?
Une enseignante » à risque » a-t-elle raison d’exercer son droit de retrait ? Le ministère a-t-il raison d’exposer des enseignants fragiles au virus h1n1 ? C’est la question que pose le Café à travers un cas précis : celui de Mme A.
Qu’est ce qu’une personne « à risque » ? Le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) a défini le 10 septembre les priorités pour la vaccination contre le virus H1N1. Les femmes enceintes sont la catégorie la plus à risque particulièrement à partir du début du 2d trimestre de grossesse. Viennent ensuite l’entourage des nourrissons (pour réduire la transmission aux nourrissons), les nourrissons âgés de 6 à 23 mois avec facteurs de risque, les personnes de 2 à 64 ans avec un autre facteur de risque, les nourrissons de 6 à 23 mois sans facteur de risque et les personnes de plus de 65 ans avec facteur de risque. En dehors de la grossesse, les pathologies à risque sont les affections broncho-pulmonaires chroniques, les cardiopathies congénitales, insuffisances cardiaques graves, les néphropathies, les accidents vasculaires cérébral invalidants, myopathie, épilepsie, les drépanocytoses, le diabète non équilibré, les personnes en immunodépression.
La circulaire du 3 septembre ne propose pas de mesures préventives claires pour les personnels à risque. « Outre la consultation de leur médecin traitant », écrit le B.O., « les personnes souffrant de pathologies à risque dans un contexte de grippe saisonnière, ainsi que les femmes enceintes, sont invitées à se signaler aux services de médecine de prévention. Ceux-ci pourront dispenser les conseils et les recommandations utiles aux personnes concernées. Ils pourront également suggérer, à l’autorité compétente, un aménagement de leurs conditions d’exercice. Leur situation sera prise en considération avec la plus grande attention dans le souci d’une meilleure protection contre le risque de contamination ». Le verbe « suggérer », la promesse de « la plus grande attention » n’engagent en rien l’administration à retirer pour quelques jours de la classe une enseignante « à risque » dont les élèves sont malades.
Le droit de retrait a été introduit dans le droit de la fonction publique par le décret n° 95-680 du 9 mai 1995. Il prévoit « qu’aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre de l’agent ou du groupe d’agents qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d’eux ».
Le cas de Mme A. Professeure de lettres, Mme A enseigne dans un collège Zep de l’académie de Paris. Elle est enceinte de 5 mois et demi. Le 18 novembre elle apprend par oui dire que plusieurs de ses élèves sont grippés et ont la grippe A. Quand elle en parle à ses collègues, elle est immédiatement chapitrée par le chef d’établissement qui nie la présence de la grippe A au collège. Mais voilà, jeudi 19 novembre elle obtient la preuve qu’au moins deux de ses élèves ont développé la grippe A. Elle annonce au chef d’établissement son intention d’user de son droit de retrait. Elle arrive à se faire vacciner dès le lundi 23 et annonce au principal qu’elle use de son droit de retrait jusqu’au 7 décembre. Dès le 24 novembre, le rectorat lui envoie un courrier qui lui affirme que « le droit de retrait ne peut s’exercer qu’en présence d’un danger grave et imminent » et que son cas « ne présente pas ces caractéristiques ». Par conséquent « à défaut d’une régularisation de votre position administrative, vous ferez l’objet d’une retenue sur salaire pour toute absence non justifiée ». Mme A. a choisi de ne pas mettre sa vie et celle du bébé en danger et de persévérer dans son retrait. Elle se prépare à poursuivre ne justice l’académie si elle effectue un retrait sur salaire.
Un cas significatif. Le cas de Mme A. nous semble assez significatif des affaires de ce type qui commencent à remonter dans les académies. Il pose des questions qui interpellent directement les enseignants et les cadres. Le chef d’établissement a-t-il le droit de dissimuler les cas de grippe dont il a connaissance ? Les pressions autoritaires sont elles légitimes quand la santé et la vie des personnes est en jeu ? Ce mode de gestion des personnels est-il acceptable ? Est-ce de la bonne gestion que supprimer des postes de remplaçants ne année de pandémie ? Est-il raisonnable qu’au moment où ces lignes sont publiées dans la plupart des académies les enseignants à risque continuent à faire face à la pandémie ? Qu’ils ne soient pas informés de leurs droits et des démarches possibles ? Est-il légitime et bon de les pousser à choisir entre leur santé et l’insubordination ?
Le ministère accorde finalement « l’absence rémunérée » à l’enseignante qui s’était retirée. En rendant public dans L’Expresso du 2 décembre le cas de Mme A, une professeure enceinte qui a usé du droit de retrait alors que ses élèves étaient porteurs du virus H1N1, alors que le Se-Unsa lançait une campagne pour une véritable gestion médicale des enseignants, nous avons contribué à soulever un tabou : l’absence de prise en compte des enseignants « à risque » en pleine phase pandémique. 48 heures plus tard nous avons revu Mme A et fait le point avec elle.
« Je pense avoir eu raison d’agir comme je l’ai fait, c’est-à-dire en faisant reconnaître la légitimité de mon retrait et en mettant en évidence par la même occasion les carences de l’administration » nous dit-elle. Son action a abouti à poser le problème et a obtenir un règlement de son cas personnel dans des conditions de publicité qui donnent à penser que des instructions devraient très prochainement être envoyées aux rectorats.
Lisez l’entretien avec Mme A.
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2009/12/041209a.aspx
Quand la grippe fait une nouvelle victime : la gestion de l’Education nationale
La réunion entre syndicats et ministère vendredi 4 décembre met en évidence les faiblesses de gestion du ministère. « Décevante ». C’est ainsi que Dominique Thoby (Se Unsa) nous décrit la réunion qui s’est tenue le 4 décembre entre ministère et syndicats sur la grippe et ses retombées dans l’Education nationale. Elle faisait suite à une enquête de ce syndicat sur les carences de la médecine du travail dans ce ministère et à la question posée par les personnels à risque face à la pandémie grippale. Le Se-Unsa estime « n’avoir pas reçu de réponses concrètes à ses demandes ».
Interrogé également par le Café, Gérard Aschieri (FSU) juge également la réunion « décevante ». Aux questions soulevées, le ministère ne répond pas vraiment. La FSU a notamment exprimé le mécontentement des personnels de santé, réquisitionnés pour la vaccination dans des conditions « d’autoritarisme et d’irrespect de la déontologie ». Le ministère semble incapable d’apporter une réponse simple à la question de la vaccination des enseignants en même temps que les élèves : le ministère de la santé a distingué des priorités différentes pour les jeunes et les enseignants et il n’est pas possible de revenir dessus. Quant aux personnels à risque, faute de médecine de prévention, le ministère s’avoue incapable de les identifier et donc de les informer… La FSU se demande s’il y a « une volonté assez forte de l’éducation nationale face à la Santé et à l’Intérieur ».
La seule conséquence matérielle de cette réunion c’est la promesse de mettre des informations en ligne à destination des personnels. En effet, vendredi 4 décembre, le site du ministère affichait une page spéciale sur la pandémie. Les personnels à risque n’y trouveront aucun conseil pour affronter la pandémie. Une seule information les concerne : pour le ministère le droit de retrait ne s’applique pas…