Par François Jarraud
S’il y a bien un sujet qui a mobilisé les profs ces derniers jours, c’est bien la cagnotte expérimentée dans l’académie de Créteil dans 6 classes pour lutter contre le décrochage.
Rappelons les faits. Six classes de trois lycées professionnels de l’académie de Créteil bénéficieront d’une somme qui pourra aller jusqu’à 10 000 euros si des objectifs d’assiduité sont atteints. Cet argent pourra servir pour payer un voyage de fin d’année, un équipement etc. Ce programme est financé par le fonds d’expérimentation du Haut commissaire à la jeunesse, Martin Hirsch. Le Parisien, qui a révélé ce projet, fait le parallèle avec un programme britannique de versement d’une rémunération hebdomadaire à des élèves défavorisés pour qu’ils poursuivent leurs études de 16 à 18 ans. Ce programme avait été lancé par T Blair en 2004.
Une mesure largement contestée. Sur les listes de discussion des enseignants intéressés, l’accueil a été majoritairement négatif. « Je trouve cette initiative insultante pour le travail que nous faisons », écrit un enseignant de l’académie de Créteil. « Ils n’ont rien compris ! ». Voilà de quoi déresponsabiliser un peu plus les élèves et les familles » pense un autre. Relevant que l’argent servira à financer un projet pédagogique, il ajoute » on va les récompenser en leur offrant ce qu’on leur doit ! ». Au-delà des enseignants de terrain, dans Le Monde, Philippe Meirieu se déclare « horrifié » par cette initiative. « C’est galvauder à la fois la notion de présence et celle de projet. En phase avec un contexte général de marchandisation, c’est un renversement complet du sens de l’école, lequel ne serait plus donné que par une rétribution. C’est une atteinte à ce qui fonde anthropologiquement l’échange éducatif. Car cet échange doit donner à la personne le goût d’aller au-delà, de se projeter dans l’avenir. Ce qui fait grandir l’élève, c’est la gratification symbolique, pas matérielle ».
Un sentiment partagé par Jean-Paul Huchon, président de la région Ile-de-France. « Loin de responsabiliser les élèves, la mise en place de « cagnottes collectives » nourrira un sentiment d’injustice entre les classes et les différentes filières de formation avec un risque d’accroissement des violences au sein des établissements. .. Le rôle de l’école n’est pas d’apprendre aux élèves comment gagner de l’argent par tous les moyens, mais de leur transmettre les savoirs et les valeurs indispensables pour leur épanouissement personnel et pour la vie en société ». La région relève qu’à l’opposé de ces « solutions démagogiques relevant de la baguette magique » elle agit au quotidien « pour s’attaquer aux raisons de fond qui expliquent l’absentéisme ». Elle rappelle le plan « Réussite pour tous » qui prend en charge près de 4 000 lycéens chaque année, le déploiement du cahier de textes électronique et des ENT, les nombreuses aides sociales (gratuité des manuels, financement des vêtements de travail, etc.). On est bien au-delà des petites cagnottes ! Les parents de la Fcpe demandent qu’on s’occupe des vrais facteurs d’absentéisme comme l’orientation non désirée ou même le manque de place dans les L.P… Ce que confirment trois syndicats de la FSU (Snes, Snep et Snuep). « L’absentéisme scolaire dans l’Enseignement Professionnel, trouve essentiellement des racines dans une orientation par défaut sur des 3ème, voire 4ème ou 5ème vœu des jeunes dans des filières non choisies. Ainsi à Créteil 80% d’élèves sont affectés sur 5 filières du tertiaire et 1 filière industrielle ! Les élèves ne peuvent être que déçus, non motivés et difficiles à intéresser pour l’enseignant. L’absentéisme, le refus scolaire le chahut ou l’agressivité sont alors autant de signes du mal-être des élèves ». Tous trois demandent le retrait de cette mesure.
Qui est favorable à ces cagnottes ? Martin Hirsch qui rappelle que l’on ne donne pas d’argent aux lycéens. Luc Chatel qui rappelle que ce n’est qu’une expérimentation dans 3 lycées. Et aussi quelques professeurs. « Pourquoi s’insurger contre une mesure qui a le mérite d’essayer quelque chose de nouveau ? Ce n’est pas « payer » les élèves que de les récompenser avec un projet collectif type « passer son code de la route » » estime une enseignante. « Cela coûtera moins cher de récompenser une classe par cette cagnotte collective que d’avoir « x » élèves dans la nature sans formation qui risquent de tomber définitivement dans la délinquance ou de rester chômeur ». Une autre rappelle que les apprentis sont payés sans que personne ne trouve rien à redire.
Quelles réponses au décrochage ? Français et Anglais parlent-ils du même décrochage ? Au-delà des différences d’approches, empirique d’un coté, arc-boutée sur les principes de l’autre, les facteurs de décrochage semblent très différents entre la France, où le chômage des jeunes sévit massivement, et le Royaume-Uni où l’Ecole a pu apparaître en concurrence plus facilement avec l’emploi. Experts, syndicats et enseignants parlent-ils tous également du même phénomène ? Les raisons du décrochage sont trop variées pour être enfermées dans une seule formule (l’ennui, l’effort, l’orientation) ou une seule solution (la cagnotte !). On serait plutôt rassuré que la perspective d’un voyage pédagogique suffise à lutter contre l’absentéisme de jeunes dont certains vivent des situations sociales et familiales terribles, sont enferrés dans des drames personnels ou un échec scolaire tenace, ou encore en prise aux micro-persécutions des banlieues.
Quant aux Anglais, BBC News du 2 octobre nous apprend qu’ils réfléchissent à rémunérer… les étudiants pour qu’ils choisissent des filières mieux adaptées…
P Meirieu dans Le MOnde
http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/10/03/galvauder[…]
Chatel et Hirsch
http://tempsreel.nouvelobs.com/depeches/societe/20091002.FA[…]
La Fcpe
http://www.fcpe.asso.fr/ewb_pages/a/actualite-fcpe-2319.php
Le plan T Blair (Le Café 2004)
http://cafepedagogique.net/lemensuel/leleve/Pages/2004[…]
Les réactions du Sgen et du Se-Unsa
« Cette démarche, même expérimentale, prend, pour le SE-UNSA, le contre pied de ce que doit être une éducation à la solidarité et à la citoyenneté ». Le syndicat s’oppose à l’expérimentation menée dans 3 lycées de l’académie de Créteil. « L’Ecole ne peut importer les pires pratiques de motivation d’équipes ou seul l’appât du gain souderait les individus. Faire du groupe-classe une équipe à « la koh lanta » est indigne des valeurs que doit porter le service public d’Education ».
L’opinion du Sgen n’est pas plus positive. » Comment se fait-il que les jeunes de nos banlieues ne ressentent pas comme une chance la possibilité d’être scolarisés ? Pourquoi considèrent-ils que le système éducatif n’est pas en mesure de leur permettre de peser sur leur devenir ? » interroge le Sgen. « Le fait qu’une académie en arrive à ce type de propositions envoie à notre société le même message que les révoltes de jeunes : le sentiment qu’ils n’ont pas d’avenir dans l’École et la société qui leur sont proposées ». Pour le Sgen il serait préférable que le gouvernement s’investisse « en réformant la scolarité pour passer du modèle sélectif qui perdure encore à une école de la réussite de tous, fondée sur l’implication – en redynamisant une politique d’éducation prioritaire pour donner aux territoires les plus défavorisés les moyens de sortir de l’impasse ».
Communiqué
http://www.se-unsa.org/spip.php?article1835
Batailles pour une cagnotte
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2009/10/0[…]
Facebook contre le décrochage ?
Plutôt décrié dans les milieux éducatifs français, Facebook peut-il être mis au service de l’Ecole ? BBC News montre comment le Gloucestershire College, un établissement post-bac anglais, utilise Facebook. Selon un responsable du College, le nombre de décrocheurs a diminué depuis l’ouverture du site sur Facebook.
Facebook permet aux étudiants de s’entre aider et d’échanger des informations. Mais il donne aussi la possibilité pour l’équipe éducative de rester en contact avec les élèves. Le College a ainsi fixé des rendez-vous réguliers sur la plateforme entre les enseignants et les étudiants.
Il est vrai qu’en Angleterre, Facebook et les autres réseaux sociaux sont entrés dans les nouveaux programmes du primaire…
Article BBC News
http://news.bbc.co.uk/2/hi/uk_news/education/8299050.stm
Sans Internet est-on instruit au 21ème siècle