Par François Jarraud
Heureusement il y a la grippe. C’est elle qui met une pointe d’inattendu et de passion dans cette rentrée si atone. Car le contraste est saisissant avec la rentrée 2008. La rentrée 2009 est celle des dossiers en panne. Passons-les en revue.
Certes tout n’était pas rose début septembre 2008. Déjà le « débrouillez-vous » avait remplacé le « tout est possible » dans la bouche de Xavier Darcos. Mais, en cette rentrée, les débats ne manquaient pas. Il y avait une violente campagne à propos de l’orientation. On n’en perçoit plus qu’un écho très affaibli dans le rapport Saint-Girons. Il était question de réformer le métier suivant le rapport Pochard. Depuis le métier a été tellement décrié par celui-là même qui avait mission de le défendre. La réforme du brevet était annoncée et on pouvait encore croire qu’elle respecterait la philosophie du socle commun. On sait maintenant que le brevet réformé c’est l’ancien plus des formulaires. Il y avait le plan e-Educ qui promettait de tout faire pour l’intégration des Tice. Il y avait la réforme du lycée écrite pratiquement en finlandais… Et le plan banlieue… La plupart des projets lancés en 2008-2009 se sont figés. Le fossé s’est creusé entre le ministre et les enseignants. Le navire s’est immobilisé.
Qui se soucie de l’échec scolaire ?
Chaque année, environ 200 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme ou avec une certification de faible qualité ; soit presque le tiers d’une classe d’âge. Parmi ceux-ci, 30 000 sont pratiquement analphabètes. Pourtant, en cette période de rentrée où s’égrènent les conférences de presse, il est frappant de constater que cette question qui devrait être la priorité du système éducatif, n’apparaît généralement que de façon marginale dans ces réunions.
C’est le cas, par exemple, du dossier de presse ministériel de rentrée. L’éducation prioritaire y est absente. Mais, parce que le ministre affirme son souci de lutter contre les inégalités, à la place on parle d’aide personnalisée, d’accompagnement scolaire.
Comme si l’échec scolaire était affaire de personne. Evidemment il y a aussi de cela. L’échec scolaire touche parfois un enfant favorisé. Pourtant un coup d’œil sur les statistiques illustre sa dimension sociale. Ainsi si 4% des enfants de cadres sont en retard en sixième, c’est le cas de 34% des enfants d’inactifs. Juste 8 fois plus…
Comme si aussi tout avait déjà été dit et essayé. Comme si l’Ecole ne pouvait rien y faire. Parce qu’effectivement les 254 collèges et les 1710 écoles classées « Ambition réussite » bénéficient de moyens supplémentaires. Finalement s’impose l’idée que la composition sociale d’un établissement est le critère déterminant de réussite et que rien ne peut aller contre cette pesanteur.
Pourtant tous les établissements, à caractéristiques sociales égales, n’ont pas les mêmes résultats. C’est par exemple ce que montre l’expérience de S Connac, enseignant en zone populaire. C’est aussi ce qu’a établi Y Reuter quand il a étudié les écoles Freinet du Nord. Il a pu montrer qu’elles étaient plus efficaces que les autres écoles socialement identiques. Ce qui veut dire que la pédagogie reste un levier efficace dans un établissement.
Pour mieux s’intéresser à la lutte contre l’échec scolaire, faisons du social et de la scolarisation précoce. Mais intéressons nous aussi aux établissements qui réussissent. Tirons en les leçons? Acceptons l’idée que la plus-value pédagogique existe.
Qui s’intéresse à l’école efficace ?
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Quelle place pour les TICE à l’Ecole ?
« La révolution numérique n’a pas eu lieu » a pu écrire il y a peu Natacha Polony dans Le Figaro, estimant que l’expérience des Landes, un département où les collégiens sont équipés d’un ordinateur portable, aboutit à « un bilan qui reste mince ». La formulation est exagérée pour les Landes, où 57% des enseignants se servent de l’ordinateur au moins un cours sur deux, ce qui est très au-dessus des pratiques courantes. Mais elle est globalement exacte pour le France où l’écart entre l’équipement et les usages est important.
Pour Le Figaro, cette faible utilisation va de soi. « Pouvait-il en être autrement ? » écrit-elle « Le défaut de formation n’est sans doute pas seul en cause. Les professeurs de français invoquent la nécessité du lien concret avec le texte, l’importance de l’écriture ». Et elle explique que l’usage de l’ordinateur nuirait à l’apprentissage de l’écriture.
Pourquoi ces usages limités ? Ce que nous apprend l’expérience des Landes ce sont les facteurs de résistance aux tice en France. Quand on demande aux enseignants des Landes pourquoi ils utilisent peu ou jamais l’informatique, les arguments avancés mettent tous en question la forme pédagogique. On a peur de perdre du temps, de perturber le cours. On ne voit pas l’intérêt pédagogique de l’utilisation de l’ordinateur ou d’Internet. Ce que nous confirme l’exemple des Landes c’est que c’est parce que l’ordinateur et Internet ne sont pas perçus comme réellement indispensables à sa discipline qu’ils ont du mal à trouver place. La culture numérique paraît perturbante et saugrenue dans l’univers scolaire.
Pourtant bien des études ont conclu à l’efficacité des TICE. Ainsi, récemment, une étude européenne qui souligne le fait que les Tice motivent les élèves et encourage l’autonomie et la collaboration. Récemment aussi, une étude du Becta qui souligne le fait que les Tice permettent d’aller plus vite et encouragent les enseignants à collaborer. Une autre étude, réalisée par Stephen Machin, Sandra Mc Nally et Olmo Silva pour le Forschungsinstitute zur Zukunft des Arbeit (IZA) en 2006, va dans le même sens. « Nous avons la preuve d’un impact positif de l’investissement en TIC sur les performances scolaires dans l’enseignement primaire » écrivent les auteurs qui ont croisé les investissements faits dans les TIC avec les résultats aux tests KS2, passés par les enfants en fin de primaire.
Les Tice, la lecture et l’écriture. Contrairement à ce qu’écrit Le Figaro, c’est justement pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture que les Tice sont efficaces. C’est ce que montre une étude de Jean Heutte, publiée dans la revue académique Spirale. « Globalement le niveau scolaire des élèves habitués aux TIC a significativement progressé au cours du cycle 3, tout particulièrement pour les élèves faibles en début de cycle » souligne-t-il. Les élèves habitués à l’informatique ont un temps de lecture plus rapide (gain de 15%). Ils comprennent mieux ce qu’ils lisent. Mais plus que dans le lire c’est dans l’écrire que les TICE lui semblent efficaces.
Culture contre culture scolaire. Les Tice ont encre bien d’autres avantages pour l’Ecole. Elles permettent d’accéder directement à la culture puisque celle-ci s’est totalement numérisée. Dès maintenant Internet est le premier vecteur culturel de très loin. S’y opposer c’est choisir de creuser le fossé entre culture et culture scolaire, voire parfois préférer la seconde à la première.
Ce n’est pas un mince paradoxe que de présenter les Tice en ennemis de l’Ecole en ce moment. Car c’est sur elles que les pays développés misent pour assurer la continuité pédagogique lors de la pandémie grippale. En Angleterre, aux Etats-Unis, les enseignants vont porter sur le réseau les documents pédagogiques qui permettront de prendre en charge leurs élèves malades. Qui pourra encore douter de leur efficacité ?
Landes : L’Ecole hésite devant le numérique
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TICE : Le défi de l’efficacité
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TICE : une efficacité prouvée mais pas démontrée
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L’Europe confirme l’impact éducatif positif des TICE
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Une troisième étude confirme
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Article Le Figaro
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2009/08/28/0101[…]
L’Ecole peut-elle échapper à la crise ?
Alors que les premiers élèves entrent en classe, en apparence rien n’est changé. L’Ecole semble imperturbablement laisser la crise économique à sa porte, comme un mauvais élève perturbateur. L’OCDE, elle-même, dans Assurer le bien-être des enfants , invite les états à la nier. » La crise met les budgets publics sous pression dans tous les pays… Mais toutes les économies de court terme faites sur les dépenses pour l’éducation et la santé des enfants auraient des coûts importants à long terme pour la société ».
Mais à l’évidence, la crise économique a déjà sauté les murs de la forteresse. L’Etat se garde bien d’appliquer les recommandations de l’OCDE. La dépense intérieure d’éducation est en baisse : elle représentait 7,6% du PIB en 1995, c’est 6,6% en 2007. La part de l’Etat y a diminué (de 55 à 53%). On arrive même à une baisse en euros : 60 milliards en 2006 pour l’enseignement scolaire contre 59 deux ans plus tard. Ce désinvestissement se traduit en suppressions de postes, dont on sait qu’elles vont au-delà du recul démographique. Les contorsions savantes des experts arrivent à donner l’apparence du maintien de l’encadrement des élèves au programme de réduction. Ce sont les élèves en difficulté (rased) , tous les services qui accompagnent l’Ecole qui en font les frais en premier et cela contribue à dégrader le climat et l’offre.
La baisse des recettes fiscales touche également les collectivités locales. Or elles contribuent pour 24% à la dépense d’éducation et la particularité de cet apport c’est que c’est le seul argent qui permette à l’Ecole d’évoluer. Outre les locaux, les collectivités payent de l’encadrement, des spécialistes, des animateurs, du matériel pédagogiques, des projets , des voyages, des ateliers… Tout cela contribue puissamment au climat scolaire mais est maintenant en concurrence avec la montée des dépenses sociales. Et on voit dès maintenant monter les interrogations par exemple sur l’équipement informatique, alors même qu’il peut être générateur d’efficacité et d’économies.
La crise touche évidemment les familles. La montée du chômage va également peser sur le climat scolaire, peut-être sur les stratégies scolaires (école privée, études longues) et donc sur les inégalités scolaires.
Alors rien que du négatif ? La crise aide aussi l’Ecole. D’une part elle remet en valeur les idées de solidarité qui sont sympathiques à l’Ecole. D’autre part elle exerce sur l’Ecole une tension vers l’efficacité qui pourrait la préserver des tentations rétrogrades.
Accompagner les enseignants vers le changement
C’est à peine si j’ose aborder cette question, tellement elle peut aujourd’hui paraître déplacée à la fois sous l’angle de l’accompagnement que du changement. Non pas que ces deux questions n’aient été longuement abordées cers derniers mois, mais généralement les réflexions se sont perdues.
Accompagner c’est à la fois évaluer les enseignants, diriger les établissements, conseiller. La réflexion sur la direction hésite entre plusieurs voies. Pour l’OCDE » la direction des écoles joue un rôle essentiel pour rendre les écoles plus efficaces » mais l’OCDE perçoit la direction comme un art collectif. « Les chefs d’établissements d’aujourd’hui ont besoin d’apprendre à adopter de nouvelles formes de direction mieux réparties, plus collégiales ». A cette vision s’oppose celle du manager que l’on tente par exemple d’imposer au primaire avec les Epep.
La réflexion sur l’évaluation des enseignants est elle aussi en panne. L’Inspection avait réfléchi et même testé des évaluations d’établissement, à l’anglaise, à la place d el’évaluation individuelle. Mais un autre modèle s’est retrouvé poussé en avant : celui du mérite. Là on est au pole extrème : accompagner ce n’est pas payer au mérite.
Le changement. En deux années Xavier Darcos a imposé bien des changements mais c’était toujours pour revenir à un état antérieur. Ainsi la réflexion sur le métier développée dans le rapport Pochard n’a pas vraiment été prise en compte dans la réforme de la formation des enseignants. Celle-ci tend à sacrifier la formation professionnelle à une formation disciplinaire. C’est cette opposition là qui a participé à faire échouer la réforme du lycée.
« Une bonne partie des enseignants sont prêts a changer mais pas à n’importe quelle condition » notait C Maroy. On pourrait tout aussi bien dire pas pour n’importe quelle direction…
Sur ces questions