Par Gardy BERTILI
A quoi sert le conseil de discipline ? Cette question doit obséder chaque éducateur parce qu’elle se trouve au cœur de la mission fondamentale de l’école, celle d’éduquer et de faire véhiculer des valeurs à la fois républicaines et humanistes.
La formulation de la question peut paraître provocatrice, néanmoins pas tant que cela. Le conseil de discipline vise-t-il l’intérêt de l’élève, celui de l’institution ou sert-il à satisfaire des buts cachés, inavouables, indicibles ? Sert-il à permettre aux adultes de manifester leur désespoir, leur dépit, leur impuissance, leurs incompétences ou leurs résistances face à la peur, face à la violence caractérisée, face aux mutations profondes de l’école, aux évolutions des populations scolaires, et face à la machine institutionnelle qui les désarme ? Quelle place pour l’élève et quelles finalités doivent être pensées et assignées à cette instance ?
Le conseil de discipline, instance démocratique ?
Tout dépend de ce que l’on entend par démocratie. Si le concept de démocratie renvoie ici à la notion de décision du plus grand nombre, au vote qui donne à chacun et à tous le même pouvoir, il est possible de définir le conseil de discipline comme un espace et un lieu de démocratie. Et encore ! Affirmer cela reviendrait à oublier combien le vote peut être le produit de manipulations, de renversement, de tergiversations, de turbulences, de contradictions dont certains maîtrisent parfaitement toutes les ficelles et les arcanes. La présentation du cas, les éléments apportés, la teneur des débats, la capacité de conviction, l’incapacité de se défendre, l’absence de maîtrise de la langue française et des rouages, la difficulté de la famille à se positionner dans un système de défense approprié, voire le refus de s’adonner à des aveux ou à la repentance, tout cela suffit à faire pencher la balance de la décision finale d’un côté comme de l’autre.
Il faut du doigté, de l’intelligence, de la compétence au président de cette instance pour la rendre démocratique au sens où le débat argumenté, la confrontation des avis, et la circulation de la parole deviennent possibles et acceptés. Cette instance se comporte le plus souvent comme un tribunal omnipotent, qui instruit quasiment à charge ; et il est évident que les élèves et leurs familles les plus fragiles s’en sortent moins bien que ceux qui cheminent dans les arcanes du système, qui maîtrisent leurs droits et les revendiquent. Ce n’est pas anodin que les établissements à populations fragiles organisent plus de conseil de discipline que les autres, excluent plus que les autres. Le seuil de tolérance, l’épuisement des éducateurs et personnels, la capacité de recul, la prise en charge des élèves, le pullulement et la gravité des difficultés s’imposent avec acuité selon le contexte socio-économique, culturel, scolaire des établissements scolaires.
De nombreux élèves et leurs parents renoncent à s’expliquer, à se défendre, ou tout simplement déclinent à se présenter au conseil de discipline parce que se jugeant noyés et incapables de s’expliquer, ils estiment que la décision se joue en amont, et peu importe qu’ils y participent ou non. Ils renoncent à exercer leur droit, ce qui est inquiétant. Ils craignent d’être ridiculisés, d’être jugés, catalogués et culpabilisés. Les parents redoutent de se retrouver « nus » et démunis, ils n’ont pas forcément envie de clamer leurs difficultés, ils vivent déjà tant la culpabilité d’être ou de laisser penser qu’ils sont de mauvais parents. Ils renoncent par crainte d’être laminés, de devoir se justifier ou de laisser s’épancher leurs états d’âme, leurs faiblesses qu’ils ont déjà tant de mal à assumer quotidiennement.
Le conseil de discipline, s’il est mal présidé ou s’il s’érige en tribunal, leur renvoie leur propre vécu, leur propre échec scolaire et social ; malheureusement l’histoire a tendance à se répéter. C’est évidemment poignant et stressant de s’exprimer devant 15 personnes, de parler de soi, de ses souffrances, de ses échecs, d’autant plus stressant lorsqu’en plus existe le handicap de la langue, la méconnaissance du système. Le conseil de discipline ne doit pas chercher à broyer l’élève et/ou ses parents, ne juge pas les consciences mais s’intéresse à la compréhension, à l’explicitation des faits, à l’aide à apporter, aux mesures les plus adéquates à imaginer pour aider l’élève à aller de l’avant. Parmi elles figure évidemment l’exclusion définitive qui n’est pas toujours l’échec absolu de l’établissement, des éducateurs ou du système mais elle peut traduire la nécessité d’arrêter à temps les dérives, celle de protéger, celle de permettre de rebondir.
Le conseil de discipline devrait être éclairé par l’intervention systématique des acteurs sociaux et médicaux tels que l’assistante sociale, l’infirmière ou le médecin scolaire et/ou l’éducateur spécialisé (judiciaire notamment) s’il y en a un. Ce regard croisé avec le rapport du professeur principal, des délégués de classe, et de ceux des membres de droits ou invités doivent pouvoir mieux éclairer le conseil de discipline sur la personnalité de l’élève, les manquements constatés, les difficultés sociales, familiales ou médicales. Ce n’est que sur la base de ce croisement de regards avertis, de débats éclairants, de mises en perspective et de « détachement des a priori », de recul suffisant qu’une décision réfléchie et motivée peut être arrêtée dans l’intérêt de l’élève, des élèves, de l’établissement, et évidemment de l’institution.
Ces regards croisés, cette ouverture seraient d’autant plus nécessaires que les postures des différents membres se fondent sur leur approche subjective, approche qui s’appuie sur la relation avec la direction, sur la représentation de l’établissement, sur leurs propres repères moraux, sociaux ou culturels. Repères qui peuvent se trouver en décalage avec des élèves et des parents démunis, perdus, démobilisés ou relevant d’univers complètement différents.
Sans oublier la posture du président du conseil de discipline qui joue beaucoup dans la conduite des débats et dans l’orientation de ses décisions. Le charisme à lui seul ne suffit pas mais peut engendrer des réactions et des positions soit radicales, soit laxistes soit mesurées, voire épidermiques.
Pourquoi traduit-on un élève en conseil de discipline ?
La décision de traduire un élève en conseil de discipline n’est en rien anodine. Elle doit être dûment fondée, motivée, réfléchie. Elle devrait se discuter en équipe élargie : direction, infirmière, assistante sociale, professeur principal, et avec les parents et l’élève. Etant entendu que la prise de décision finale relève de la responsabilité de la direction, et notamment du chef d’établissement. Sauf pour des situations graves avérées, caractérisées de violence sur personne.
Pour que cela soit possible, le conseil de discipline doit faire partie d’une réflexion globale conduite entre les différentes équipes, une réflexion commune sur la place de cette instance dans le maillage et la logique des mesures et des sanctions que l’établissement applique aux élèves. Cette réflexion doit s’interroger en profondeur sur la place de la sanction, à quoi elle sert, que vise-t-elle comme finalités, quels moyens appliqués ? Il faut aussi s’interroger sur l’amont et l’aval du conseil de discipline. Que mettre en œuvre comme dispositifs pour permettre une prise en charge efficace et globale de chaque élève ? La sanction, et encore moins le conseil de discipline, ne doit pas être utilisée comme technique d’évitement, comme palliatif, comme masque des dysfonctionnements et des carences des services d’enseignement ou de vie scolaire ou du pilotage.
Le conseil de discipline, de par sa lourdeur, sa solennité et les décisions graves qu’il peut être amené à assumer, ne peut se réunir avec désinvolture. Ses objectifs ne consistent ni à plaire, ni à caresser dans le sens du poil, ni à satisfaire ni à casser. L’avenir de l’élève peut en dépendre et le but n’est pas de l’évacuer et avoir la paix. Paix sociale, paix scolaire. Il ne s’agit pas de donner du gage, de lâcher du leste pour calmer les ardeurs, les rancunes, les amertumes, il ne s’agit pas de rallier à soi ou dans le camp de la direction ou de la vie scolaire les récalcitrants, les frondeurs, les prétendus fauteurs de troubles de la salle des professeurs ou les supposés ennemis.
Il ne s’agit pas non plus d’utiliser le conseil de discipline comme moyen de mener la fronde anti institution, nous n’avons pas à utiliser les élèves comme moyens de régler nos comptes avec nos tutelles. Le conseil de discipline ne doit pas être manipulé à des fins idéologiques, personnelles, catégorielles, ou encore pour satisfaire un égo démesuré. On ne cherche pas à avoir la peau d’un élève qui ne serait pas dans les normes voulues.
Le conseil de discipline doit être réuni principalement et fondamentalement en cas de situations graves, en cas de mise en danger d’autrui, des biens, donc en cas de violence, racket, « taxage », intimidation répétée, harcèlement physique et moral, viol, vol conséquent, ou autres situations tout aussi catastrophiques. Il s’agit de protéger les biens, les autres élèves, l’établissement, l’institution, il s’agit aussi de protéger l’élève lui-même.
Le conseil de discipline est un mal nécessaire pour poser la limite, pour signifier la ligne rouge à ne pas dépasser. Le but consiste à casser le sentiment de la toute-puissance, à mettre l’élève face à lui-même, face aux autres, face à la communauté, et l’inciter à réfléchir sur ses actes et ses conséquences. Conséquences pour les autres, pour l’établissement, pour l’institution et pour lui-même. L’élève s’inscrit dans une vie sociale et scolaire, et le vivre-ensemble ne peut se fonder que sur le respect, la tolérance, la solidarité, la liberté, l’égalité, sur le débat argumenté, sur la confrontation à l’altérité.
Ce n’est qu’ainsi qu’il se construit en se confrontant aux autres, aux principes de réalité, à la frustration de ses désirs, au dépassement de soi. Il ne s’agit pas de s’aliéner, de se dissoudre dans le collectif mais de se conformer aux règles sociales, morales et républicaines qui fondent notre société commune. Il y a des interdits sur lesquels il n’est en rien possible de transiger, de négocier.
Le conseil de discipline doit s’occuper essentiellement de ce qui n’est pas négociable, de l’absolu interdit. Interdiction de frapper, interdiction de harceler, interdiction de s’attaquer à l’intégrité physique et morale, interdiction de s’emparer de ce qu’il ne lui appartient pas, interdiction de tuer, interdiction d’avilir l’autre. Si le conseil de discipline parvient à faire émerger une prise de conscience, à inscrire l’élève en projet et dans un projet, il y a des chances que le principe d’éducabilité – que tout éducateur ne doit jamais oublier- fonctionne pour lui aussi.
Dans tous les autres cas, un suivi en amont bien pensé, bien organisé doit pouvoir limiter considérablement la convocation du conseil de discipline. C’est dans la coéducation école-famille, dans le travail d’équipe et transversal que surgissent les mesures appropriées, adaptées et adéquates pour chaque élève. Pour cela, les équipes, toutes les équipes doivent être mobilisées autour de projet, doivent faire preuve d’idées novatrices pour être à l’écoute et trouver les réponses, les mesures ou décisions adaptées. En associant les partenaires internes et externes.
Faute de travailler ensemble, de réfléchir ensemble, faute de mettre en place un suivi organisé, faute de tisser un maillage autour de l’élève (CPE, Assistante Sociale, Infirmière, Conseiller d’Orientation Psychologue, médecin scolaire, éducateurs spécialisés, associations de quartier ou autres, CMP(P), parents, ou autres), nous ne pouvons assister à une détérioration du comportement, de la situation, de la scolarité, de la motivation. Et à une multiplication de conseils de discipline pour absentéisme, pour manque de travail, pour comportements anodins mais accumulés et répétitifs qui engendrent dépit et désarroi des personnels qui les affrontent au quotidien. Faute d’agir immédiatement en traitant chaque rapport, chaque incident, faute d’avoir des punitions, des mesures alternatives et des sanctions intermédiaires progressives et proportionnelles, nous nous voyons contraint d’utiliser l’artillerie lourde qu’est le conseil de discipline pour calmer, répondre, couper court, satisfaire. La réponse doit être continue, le suivi régulier pour que le conseil de discipline prenne du sens puisqu’inscrit en fin de parcours après que tout ait été essayé, expérimenté.
De nombreux dispositifs existent en amont, il faut les faire vivre au sein de l’établissement pour qu’ils soient au service des élèves. Le conseil de discipline ne constitue pas la panacée à tous les maux, il ne sert pas à apurer des situations pourries, à épurer, à se délester de ceux dont nous savons que faire : comment leur apprendre, comment les aider, comment les motiver, comment les faire réussir.
Le conseil de discipline ne doit pas servir de défouloir, d’exutoire, de compensation aux défaillances, aux manques. Traduire des élèves par charrette entière dans le but d’élaguer pour l’année suivante n’a pas beaucoup de sens. On se contente d’évacuer le problème, d’éviter la prise en charge, de refuser de faire preuve de réflexion globale et d’actions novatrices.
Et les années suivent et se ressemblent, on exclut des dizaines d’élèves sans jamais se poser la question du comment faire autrement, des finalités. On reconduit des habitudes ancrées, on veut faire des exemples, or d’années en années on se confronte aux mêmes échecs. Alors on peut s’enivrer de satisfactions personnelles, on peut se gargariser sur le niveau scolaire qui baisse, sur la démission des parents, sur l’absence d’éducation des jeunes d’aujourd’hui, sur la place et le rôle des petits boulots, sur le manque de moyens de l’école, on peut invectiver et renvoyer la responsabilité (de ses échecs, de ses manques et dysfonctionnements) sur les autres, mais rien ne changera si l’on n’accepte pas de remettre en question ses propres pratiques, ses propres valeurs, ses propres repères.
Si chacun campe droit dans ses bottes sur sa posture professionnelle, morale, idéologique ou catégorielle, nous n’aiderons pas les élèves à progresser, à se projeter, à réussir, à s’insérer, à devenir des hommes. Non, ils seront les victimes de nos luttes intestines, de nos petites victoires mesquines, de notre approche de courte vue.
Evidemment, nous ne pouvons sauver tous les élèves. L’accusation de naïveté, d’angélisme, d’empêcheur de tourner en rond va s’abattre, les contre arguments qui justifient le conseil de discipline, qui le magnifient et qui le juge salvateur vont pleuvoir. Que les choses soient claires, il n’est nullement question nier la valeur du conseil de discipline s’il vise la finalité est éducative et éducatrice.
Le conseil de discipline est quelques fois la seule réponse que certains élèves et parents sont en capacité d’entendre. Il faut à un moment donné, agir et agir fort pour les placer face à leurs responsabilités, à leurs contradictions, à leurs limites, à leur toute-puissance prétendue, à leur volonté manifeste de ne se soumettre à aucune règle. Quelques fois aussi le conseil de discipline est le seul moment de faire passer des messages qu’il était impossible de transmettre jusque là. Le caractère solennel, la diversité des membres lui confèrent un pouvoir et une aura particulière, une capacité d’action non négligeable.
Néanmoins, le conseil de discipline ne doit nullement devenir anodin, ne doit pas se banaliser, ne doit pas être un exutoire, un défouloir, une compensation. Il ne doit pas être une machine à exclure, un lieu et un espace de luttes de pouvoir, de règlement de comptes avec les élèves, avec les parents, avec la direction ou avec l’institution ou le système éducatif qui seraient laxistes et/ou en déliquescence . C’est l’intérêt supérieur des élèves et l’intérêt général du service public d’éducation qui doivent primer sur toute autre considération.