Par Rémi Boyer de l’association Aide aux Profs
Parcours et portrait d’un chef d’établissement.
Quel a été son parcours professionnel depuis la fin de ses études à aujourd’hui ?
Après l’Ecole Normale Supérieure et l’agrégation de mathématiques, Françoise Duplessis réalise un DEA et une thèse en analyse numérique. Elle enseigne ensuite en lycée, puis travaille à mi-temps à l’université de Toulon pour la Marine nationale, en analyse numérique et mathématiques appliquées, et simultanément passe un DEA d’informatique.
Elle occupe ensuite un poste d’assistant agrégé dans une école supérieure d’ingénieurs durant 3 ans, s’occupant d’étudiants recrutés sur concours après maths spé. Suite à une mutation de son conjoint, elle retourne enseigner en collège à des élèves de 6è, de 3ème et de CPPN durant 6 ans, avant d’évoluer vers un lycée, où elle enseigne pendant 5 années.
De 1999 à 2002, elle obtient un poste de responsable de formation en détachement au CNED de Poitiers en dirigeant une petite équipe, qui met en œuvre des formations d’adultes en sciences de l’éducation et sciences de gestion. En 2000-2001, elle participe au développement des campus numériques avec Canege (http://www.canege.org/ ) et Forse (http://www.sciencedu.org/ ).
En 2002, elle obtient le concours de personnel de direction, car au CNED, les élèves lui ont manqué. D’abord proviseur adjointe à Poitiers puis à Périgueux, elle devient proviseur en lycée professionnel à Bellac, et en parallèle principale du collège voisin, deux établissements juxtaposés, avec au total près de 90 personnes à diriger (équipes pédagogiques, administrative et agents d’entretien et de service).
Quelles sont les missions et responsabilités de la fonction de proviseur, les atouts et les contraintes de ce type de fonctions ?
Les missions officielles d’un chef d’établissement sont définies dans un BOEN de janvier 2002. La représentation que s’en fait Françoise est « de permettre à chaque élève d’acquérir des connaissances, de développer des compétences, d’apprendre à vivre en harmonie avec les autres et dans son univers proche, et de l’aider à se construire en tant qu’adulte, en lui faisant découvrir les différents parcours d’orientation pour devenir plus tard un citoyen responsable et humain. » Pour Françoise, aucun élève ne doit quitter l’école sans diplôme. Elle tient à ce que les élèves apprennent à bien vivre ensemble, heureux, dans le respect de l’autre, en sachant surmonter les difficultés que la vie leur impose parfois. Il faut leur donner le plaisir de l’effort, tout en valorisant les compétences, le travail et les goûts de chacun.
Le chef d’établissement, souligne-t-elle, « est responsable des personnes et des biens », en particulier en cas d’accident. « Il ne faut pas penser à cela sans arrêt bien entendu », et il est du devoir du chef d’établissement d’être vigilant en matière de sécurité, d’avoir pris toutes précautions nécessaires. La sécurité doit être assurée dans la cour, durant les activités sportives, durant les sorties et voyages pédagogiques, et son travail est de sensibiliser chaque membre des équipes éducatives des deux établissements à cette responsabilité importante. « Il y aussi les élèves absentéistes ou fugueurs, et dans ce cas il faut rapidement avertir les familles, voire réaliser des signalements à l’inspection académique et à la gendarmerie ».
Le chef d’établissement est aussi le garant de la mise en œuvre des instructions ministérielles et du respect de l’enseignement des programmes officiels dans son établissement. Il s’assure que les horaires légaux sont pratiqués dans chacune des matières enseignées. Il organise les emplois du temps de chacun, diffuse par des réunions de rentrée les orientations des circulaires de rentrée. Chaque année, des objectifs doivent être réalisés.
Il n’est pas toujours facile de mettre en œuvre les nouveaux dispositifs : par exemple, pour la rentrée 2008, pour la mise en place de l’accompagnement éducatif dans tous les collèges, il y a eu des réticences au sein des équipes pédagogiques. Françoise souligne que « l’adhésion des équipes n’est pas innée. Il y a une certaine inertie, beaucoup de réticences face au changement, avec des mots d’ordre syndicaux qui dénoncent que les enseignants doivent toujours faire plus avec des moyens de plus en plus réduits ».
Françoise enfin nous confirme que le recrutement des chefs d’établissement se diversifie, puisqu’il ne concerne plus spécifiquement les enseignants. Des personnels administratifs, comme les CASU, les AASU, les CPE, également les professeurs des écoles, les conseillers d’orientation peuvent y accéder, voire des cadres A d’autres ministères.
« Un chef d’établissement est évalué sur une lettre de mission et des objectifs à atteindre. Dans certains cas, l’Inspecteur d’Académie ou le Recteur peut être amené à formuler des observations auprès d’un chef d’établissement qui ne remplirait pas correctement les objectifs fixés ou qui s’éloignerait des indicateurs affichés. »
Françoise insiste sur l’adhésion nécessaire de l’équipe pédagogique pour réussir sa mission : « si l’équipe ne suit pas, tout est difficile à mettre en œuvre ».
Quel plaisir y a-t-il à devenir chef d’établissement ?
« C’est comme être capitaine d’un navire : il est nécessaire que tout le monde rame dans le même sens, il faut savoir profiter des vents porteurs, aller au même rythme ; c’est au capitaine de piloter avec finesse, en ménageant les susceptibilités des uns et des autres, il faut aimer les relations humaines, savoir gérer son stress et celui des autres, désamorcer les conflits très rapidement. Parfois, il faut laisser passer des vagues et l’orage et savoir patienter pour retrouver le cap . Aucun établissement ne ressemble à un autre, il faut savoir écouter, dialoguer, entendre ce que les personnels ont à dire, passer beaucoup de temps dans son établissement ».
Quelles astreintes concernent ces fonctions ?
Françoise arrive vers 7h30-8h et ne repart bien souvent que vers 19h30. Son domicile est très proche, puisque chaque chef d’établissement, sauf dérogation exceptionnelle, doit occuper le logement de fonction qui lui est destiné (cette astreinte concerne aussi les adjoints, le gestionnaire et le CPE).
Le matin, c’est le CPE qui accueille dès 7h les élèves de l’internat.
Certaines soirées et nuits, une fois par semaine dans notre établissement, il faut assurer une astreinte téléphonique. Le fait de devoir résider sur place est une contrainte, surtout lorsque l’établissement dispose d’un internat : « on peut être appelé à tout moment, il n’y a pas vraiment d’horaire, même en pleine nuit. Il peut être nécessaire d’appeler le SAMU, de réagir au déclenchement d’une alarme incendie. Lors des départs en vacances, nous réalisons une rotation entre nous pour qu’il y ait toujours un membre de l’équipe de direction disponible pour assurer la continuité du service public avec des permanences téléphoniques. »
« Il est souvent difficile de concilier sa vie privée avec son travail, et le logement que l’on occupe n’est pas toujours luxueux, il s’impose à nous, même si l’on ne paie pas de loyer ». Françoise ajoute qu’au niveau de la déclaration d’impôts, le logement est déclaré comme avantage en nature, ainsi que le chauffage et l’électricité. Seules les taxes d’habitation et d’enlèvement des ordures ménagères sont à payer.
Qu’est-ce qu’une journée-type et comment s’organise le temps de travail ?
« Le matin, par exemple, je me rends au service de restauration pour rencontrer les agents, évoquer les différents travaux à réaliser dans l’établissement, les spécificités du calendrier de la semaine, par exemple des pique-nique à préparer pour une sortie scolaire, ou une ouverture plus tardive en raison de réunions parents –professeurs,… . Il faut également participer à l’élaboration des menus proposés en liaison avec le chef et la gestionnaire. Je m’occupe également des difficultés posées par les remplacements des personnes en congé maladie, puis je lis le courrier, avant de faire un point avec la vie scolaire sur les difficultés survenues avec tel ou tel élève ou des parents d’élèves. Ensuite, le suivi de certains dossiers m’amène à téléphoner aux services du Rectorat : par exemple pour la gestion des ressources humaines, pour le suivi des moyens qui sont attribués aux établissements que je pilote. J’ai parfois des élèves à réprimander ; En fait aucune journée ne ressemble à une autre, toutes sont pleines d’imprévus, Les activités sont extrêmement variées, et c’est ce qui peut constituer en partie l’un des attraits de ce métier. On court toujours après le temps, les semaines de travail sont au minimum de 45 à 50h. Il reste les week-ends où l’on est à peu près tranquille, sauf lors des portes ouvertes des établissements. Les congés scolaires sont divisés par deux par rapport à ceux d’un enseignant, soit 8 semaines environ. »
Il faut également assurer le suivi des travaux d’entretien ou plus importants comme des travaux de restructuration en liaison avec le conseil régional ou le conseil général. Le chef d’établissement a également à assurer un rôle de représentation localement à l’extérieur.
Quelles compétences, développées comme enseignante, vous sont le plus utiles dans vos fonctions actuelles?
Françoise indique avoir acquis beaucoup de compétences au CNED comme la gestion administrative et financière, l’animation d’équipes, le pilotage de projets. Elle ajoute aussi : « pour comprendre le cœur de métier des enseignants, les diriger, il faut savoir se mettre à leur place, c’est cela l’avantage d’avoir été enseignante avant de diriger un établissement scolaire. Ceux qui n’ont pas été enseignants avant n’ont pas cette culture là, ils ont un également autre regard. »
Le chef d’établissement doit être structuré, organisé, anticiper régulièrement sur le calendrier, savoir gérer des groupes, s’exprimer en public, savoir écouter les autres, être attentif à chacun, savoir encourager, remercier aussi, aimer les gens et les respecter : Françoise est une humaniste, et ce métier est pour elle une vraie passion, passion qu’elle partage auprès des autres, élèves et adultes.
Au sein d’un établissement scolaire, quelles pourraient être les fonctions administratives ou d’appui que pourraient occuper des enseignants – après 50 ans – au titre d’une « seconde carrière » tout en enseignant à mi-temps ou en cessant d’enseigner ?
« Les enseignants peuvent travailler dans l’organisation pédagogique de l’établissement, dans des missions d’innovation, d’expérimentation, et faire du tutorat pour aider de jeunes enseignants à surmonter les difficultés inévitables des premières années. Beaucoup d’enseignants se lassent au fil des ans des programmes, se fatiguent, et il est important de pouvoir à un moment donné leur proposer une répartition différente de leurs tâches au sein de l’établissement et qui permettent d’utiliser leurs compétences. »
Un chef d’établissement doit bouger tous les 7 à 9 ans : Françoise est en accord avec nous sur le fait que s’il en était de même pour les enseignants, cela contribuerait à redynamiser certaines équipes, et à briser la routine dans laquelle s’enferment certains enseignants, qui perdent alors goût à l’enseignement, sans pour autant réagir pour faire autre chose et diversifier leurs activités.
Quitter l’enseignement vous semble-t-il facile pour un enseignant ? Pour quelles raisons ?
« Pour un enseignant, il est difficile de quitter sa discipline. Souvent, on arrive là par passion pour une discipline. A 50 ans, on a déjà passé la moitié de sa vie à enseigner, et à cet âge là, il devient difficile de se reconvertir ailleurs. Souvent les enseignants ne savent pas à qui s’adresser pour évoquer leur évolution de carrière, et votre association me paraît une bonne initiative, car les cellules académiques d’aide aux enseignants sont de qualité inégale, elles ne prennent pas en compte toutes les reconversions.
L’avantage d’une association est d’apporter un regard extérieur, d’être déconnectée d’un contexte hiérarchique, sans jugement, ce qui ne peut qu’être profitable à l’enseignant, le maintenir en confiance dans son projet. »
Françoise ajoute « un prof se méconnaît, ignore ses compétences, pense qu’il n’est bon qu’à enseigner sa discipline. Il est important de lui permettre de faire autre chose à différents moments de sa carrière, comme des stages de longue durée en entreprise, de 4 à 6 semaines au moins, afin qu’il se sente capable de faire autre chose, qu’il découvre aussi un autre rythme de travail, celui auquel il prépare souvent ses élèves. J’ai eu pour ma part la chance de réaliser un stage au sein de l’entreprise Thomson quand j’ai réalisé mon CPR après la réussite à l’agrégation. Je crois que ce dispositif avait été proposé deux années, c’est dommage que cela ne se pratique plus ».