Par Lucie Gillet
Une organisation bien rodée pour deux jours d’ateliers, de conférences et de débats; 350 participants pour la journée du mercredi, loin d’être tous originaires de Loire-Atlantique, et vous prenez la teneur de la portée de l’évènement. Comme un ange gardien de la bonne tenue du salon, la mémoire de Paul Le Bohec , décédé en ce début d’année 2009 veille en maints petits détails. Un salon où il sera évidemment question de méthode naturelle, où une salle sera rebaptisée pour honorer le pédagogue, et un salon qui s’ouvre sur un sémillant hommage sous la verve de Nicola Go.
Mais entrons dans le vif du sujet par un petit parcours dans la journée du 25 mars.
Les ateliers ou rendre compte des activités de la fourmillière…
Plutôt que de ne restituer qu’un seul des ateliers de la matinée dans son intégralité, picorons ici et là : les salles sont grandes ouvertes, installons-nous au sein des débats, saisissons-en quelques bribes. En point de mire, toujours et dans chacun des ateliers, l’organisation, la structuration sont de rigueur, une attention particulière à comment les enfants apprennent et ce qu’ils apprennent. Les contenus sont bien au coeur de la problématique, et s’il n’est pas certain de trouver des réponses, par contre on se pose beaucoup de questions. La pédagogie Freinet, c’est loin d’être de l’impro ! C’est plutôt tout un art, la mise en place de contraintes libératoires…
Le salon des apprentissages individualisés a la particularité d’allier théorie et pratique. Les enseignants présents échangent autour de leurs pratiques en classe, des théories sur lesquelles ils s’appuient telles des guides, mais les élèves sont aussi présents. L’an dernier Christelle Guillot menait une séance de français avec ses collégiens de Guérande et présentait ainsi le blog Les Mots à la bouche, support d’apprentissages, motivant pour ses élèves. Cette année, des élèves de cycle 2 et 3 de l’école ouverte Ange Guépin (Nantes) sont également au travail.
Enfin une classe de 5ème SEGPA de Vendée accompagnée de leur professeur a la lourde tâche de réaliser un journal… (voir : ici )
Pour cette revue des ateliers, la synthèse de Nicolas Go, choisi pour être le grand témoin de cette matinée met également la focale sur quelques données organisationnelles.
Prenant la tangente par rapport à sa mission de « grand témoin », Nicolas Go avoue que devant la « situation rocambolesque » de devoir rendre compte de ce qu’il n’a presque pas vu, donc « devant le risque de faire de faux témoignages », il a choisi de s’appuyer sur la présence des élèves « journalistes d’un jour » et qui eux aussi déambulaient entre salles et amphi, prenant leur notes, interrogeant quelques participants. Studieux ils ont pris la tâche très au sérieux. Nicolas Go propose donc à ces jeunes journalistes de pratiquer la « méthode naturelle » de grand témoin, c’est à dire commencer par dire n’importe quoi, le plus dur étant toujours de commencer. Bon gré mal gré, les journalistes timides se lancent…
Jordan a rencontré une dame qui vient de Normandie, Adrien explique leur objectif qui consiste à produire un journal qui devrait être mis en ligne le lendemain sur le site de l’ICEM, pour cela ils doivent prendre des notes, tout au long de la journée. Nicolas Go les tanne : « Allez qui a vu un truc nul? », personne n’ose répondre à la question ! Mélanie et Pauline avouent que l’atelier qu’elles avaient choisi d’écouter n’aura lieu que l’après-midi. Bryan a vu des images, des peintures, un bar, des expositions. C’est difficile la méthode naturelle, surtout les démarrages, argumente Nicolas Go, mais « un grognement suffit » dédramatise-t-il. Comme en classe, certains cachent leurs notes, avouent qu’ils n’ont pas envie de parler, d’autres évoquent la rencontre avec les enseignants chargés du « groupe international » qui mène des partenariats avec la Géorgie ou encore le Sénégal. Nicolas Go reprend le micro, il nous livre ses impressions, éparses, tout en faisant le pari, que ça y est « vous allez voir, c’est maintenant qu’ils vont parler… ».
La classe au travail :
Pour reprendre le mot de Nicolas Go « les enfants enseignaient aux enseignants comment enseigner. ». Devant les enseignants intéressés pour qu’on leur raconte comment ça marche une classe Freinet, on bute parfois sur ce qui paraît évidences pour les enfants, ils ne comprennent pas d’emblée les questions. Les adultes se sont alors mis à l’écoute, leurs questions ne fonctionnaient pas, ils ont alors posé des questions pragmatiques sur comment les enfants travaillent, ils les ont écouté présenter leurs outils et dans ces présentations étaient contenues des tas de réponses. Tous se sont retrouvés autour de fichiers, plans de travail, cahiers, le « super c’est vendredi… », des techniques artistiques comme celle de l’encre-vapo…
Les enseignants se bousculent, les enfants répondent aux questionnements. Une élève explique l’inscription pour les responsabilités chaque lundi matin : « ce n’est pas trop la bagarre entre vous? » lui demande une maîtresse… Amankaya explique le « super c’est vendredi » : tous les 15 jours les élèves présentent à toute l’école le fruit de leurs recherches ou production élaboré durant la dernière quinzaine. Les tableaux sont décortiqués, les cahiers analysés. « Pourquoi on met un point jaune ici, et que ce passe-t-il si le point est rouge, a-t-on le droit de recommencer? » « Je ne sais pas, je n’ai jamais eu rouge… » confie l’élève quelque peu rougissante pour le coup!
L’atelier a remporté un franc succès , on pouvait y voir de multiples supports, audio compris, représentatifs dans la non hiérarchisation des activités, des pratiques de la pédagogie Freinet.
Atelier Créations mathématiques :
Dès la mise en place de l’atelier, les participants doivent se mettre à l’ouvrage : des feuilles leurs sont distribuées, ils doivent imaginer une « histoire mathématique ». Qu’est-ce que c’est que ça ? « ça » contient des données mathématiques, des nombres, des formes géométriques… Des témoignages et pratiques de classes sont questionnés : Combien de fois? La question de la régularité, de la fréquence des séances est posée, et fatalement comment suivre les programmes? Comment s’assurer de couvrir toutes les compétences s’il n’y a pas de contraintes? En tous les cas, une activité qui permet de penser autrement le rapport qu’on a aux mathématiques.
Atelier élémentaire : Les différents langages
La création orale : la question n’est pas seulement d’avoir le droit de parler, mais de savoir si on peut être entendu. Comment organise-t-on la vie de la classe pour que cette parole ait un effet de transformation de la vie, et ne soit pas seulement un droit dénué de prolongements. Sont présentés dans l’atelier les lieux institutionnels, l’adulte restant le garant de la parole.
Langage écrit : Ritualisation, organisation de l’expression. Comme les textes produits par les enfants font part de l’intime se pose la question du poids du regard des autres. Comment mettre en place la réécriture des textes libres? : le texte libre, doit-il être considéré comme outil d’étude de la langue? Quelles exigences de correction? Un enseignant fait remarquer que pour lui, l’orthographe ne doit pas forcément être le critère d’évaluation, dans ce cadre de production de texte, la cohérence du texte est aussi importante. Tout dépend de dans quel temps on est, création ou étude de la langue et tout dépend de l’objectif initial (publication, communication… ). Au travers du prisme des corrections, se pose la question de l’influence de l’enseignant et du fait de veiller à laisser l’enfant la propriété de son texte. L’influence est normale, elle fait partie du rôle de l’enseignant, loin de tout angélisme les participants ne croient pas au spontanéisme créateur de l’enfant. Ne pas être dans le tout interventionnisme, mais pas non plus crédule, jouer de son influence mais « une bonne influence » c’est à dire écoute de l’enfant, faire avec lui, l’accompagner. Le texte libre n’a de fonction que s’il est socialisé, c’est la socialisation qui nécessite l’exigence de la rigueur.
Langage du corps : en préalable, la place du corps à l’école est remise en cause, il est question de la circulation dans la classe, de règles de travail où l’on peut permettre au corps de s’exprimer pendant la journée scolaire.
L’objectif affiché est de mettre en place dans les classes une situation qui permet les conditions de la création : ainsi utiliser le détournement d’un objet, par le biais d’une consigne précise, ouvrir des possibles, puis l’acquisition d’une technique, grâce à laquelle on va pouvoir créer, créer du repère. De l’individu et de ses créations on va donner une valeur au groupe. Le chemin à parcourir se situe entre les propositions individuelles et la structuration collective. L’enseignant fait partie du collectif classe, n’est pas forcément uniquement le chef d’orchestre, en tant que participant, il est force de propositions, tel un chorégraphe prenant part à sa création en danse contemporaine.
Ateliers maternelle et « nature » :
Les participants sont organisés en cercle, une distribution de la parole est mise en place. Nicolas Go souligne l’organisation de l’atelier, la mise en oeuvre adéquate au contenu du discours (principes démocratiques). Sont évoqués les conflits entre apprentissage de la loi et apprentissage de la liberté. Par la libération de la parole on découvre la nécessité de la règle, qui se découvre en situations pratiques. Les problèmes de disciplines sont plus facilement résolus quand l’enfant s’intéresse à ce qu’il fait. La question est alors de comment mettre l’enfant au travail, investir son désir dans le projet personnel.
Un participant s’interroge, pose la question des outils, des supports pour démarrer.
La parole est donnée à de jeunes débutantes, T1 elles démarrent en pédagogie Freinet et n’osent d’ailleurs se coller l’étiquette. Une « plus vieille » coupe la jeune femme : « mais si tu peux t’étiqueter, on a tous démarrer comme toi, c’est en tâtonnant, en s’imprégnant petit à petit d’une chose ou deux ». Quelles réticences à s’étiqueter, se revendiquer, faut-il se sentir légitimé dans sa pratique? Ou finalement se réclame-t-on « labellisé Freinet » quand ce label est digéré en tant que « philosophie de vie »…
Est soulignée là l’importance du groupe IDEM pour pouvoir échanger avec des collègues dans la même approche, le groupe permet « de ne pas se sentir seul », de se donner également des arguments à défendre au sein de son équipe quand celle-ci n’a pas forcément les mêmes conceptions ou approches.
La parole revient aux jeunes collègues. Convaincues lors de stages d’observation chez PIUFM Freinet lors de leur année de formation à l’IUFM, elles ont été séduites par l’autonomie acquise par les enfants, le fait qu’ils soient responsabilisés dès la maternelle. « Mais, c’est possible aussi dès la petite section? », interroge un collègue dans la salle? « Ben … oui », répond un peu étonnée une autre débutante, elle cherche ses mots, mais cela lui semble une évidence… « oui !», affirme-t-elle, « certes les enfants ne sont pas toujours compréhensibles, ils apprennent », c’est l’année où la place de la parole est prépondérante, mais « oui, assûrément !»…
Ces enseignants ont pour dénominateur commun de prendre en compte la classe dans son ensemble, de vouloir faire en sorte que chaque petit individu progresse et acquiert sa propre autonomie. La structuration de la classe est déterminante, apprendre à utiliser les outils de la classe, c’est toute une organisation ! Et pour cela il faut prendre le temps, se donner le temps.
Toutes les classes ne se ressemblent pas, une collègue fait part de son choix de fonctionner en classe multi-âge, pour elle c’est la réponse évidente pour permettre l’acquisition de cette autonomie qui découle de fait de cette organisation. Les enfants de PS nécessitent une attention toute particulière, impossible pour cette enseignante de pouvoir l’apporter à 23 élèves en même temps. Dans sa classe, elle n’en a que 7, avec 9 moyens et 14 grands. Les petits ont toujours des plus grands pour les accompagner, quelqu’un susceptible de les écouter. Et cela là déculpabilise aussi en tant qu’enseignante.
Comment concilier les objectifs de l’enseignant-e et les désirs des enfants ? Et bien, parfois il n’y a pas à tergiverser, ni de scrupules à avoir, l’objectif de l’enseignant-e peut être posé comme une activité ou atelier obligatoire. L’enseignante qui explique son fonctionnement parle de ses outils : une grille pour noter ce que font les enfants : seuls, avec les autres. La validation, l’évaluation se fait aussi par ce biais. Un autre outil est évoqué, il s’agit du plan de travail, un outil qui peut amener une sécurité aux enfants fragilisés dans les apprentissages par le cadre qu’il procure. Comment organiser la classe pour les enfants puissent agir sur cette programmation d’activités, qu’ils organisent leurs emplois du temps tout en ne perdant pas de vue les objectifs de la classe, les contenus à enseigner…
Atelier Secondaire :
Nicolas Go relève le caractère éclectique des participants : des profs de collège ou de lycée bien sûr, mais également des enseignants en prison, des psys… Cet atelier est lieu de convergence, d’hétérogénéité…
Perdre du temps ou en gagner?
Entre autres, on évoque la nécessité de se pencher sur l’organisation du collège, de trouver des temps de parole. Une stagiaire donne son sentiment de « courir après les minutes » pour boucler le programme, alors donner du temps aux élèves pour « tenir un conseil », ça paraît difficilement tenable… Dans les échanges apparaît encore que l’on est jamais perdant à libérer les paroles, les conflits, s’autoriser 20 mn pour permettre au cours d’avoir lieu, de toutes façons sans ça, le cours de deux heures ne fonctionnera pas mieux. Il faut se l’autoriser et puis parfois on n’en a pas non plus besoin. Être attentif à ce qui bloque la classe, ce qui fait que le groupe va se mettre ou non au boulot. Ne pas hésiter, ce n’est pas perdre du temps. Le conseil est lieu de désirs également : les projets apparaissent, on y expose les réussites. Ce temps n’est pas que pour régler les conflits.
Perdre du temps ou en gagner c’est encore buter sur la question du programme: peut-il être fait intégralement par le biais des travaux de groupe et travaux individuels? Est-ce vraiment possible de traiter tous les contenus du programme plus l’actualité qui émerge souvent dans les « quoi de neuf? » ? Là encore on se demande comment les enfants apprennent et qu’est-ce qu’ils apprennent ? L’intérêt des profs est de faire levier sur le désir, ce qui motive les élèves. Mettre les enfants en position d’auteur. Une prof qui témoigne d’une expérience de 10 ans martèle les questions, elle veut être sûre de remplir son contrat, elle a quand même signé pour garantir le fameux programme, elle ne veut pas s’y soustraire, cela reste la clé de ses préoccupations.
On se pose la question du rôle de l’enseignant, il apparaît que pouvoir se détacher des programmes, c’est une vraie organisation. Il faut anticiper, préparer des cours, des documents, des mises en situations pour le traitement de 6 ou 7 sujets parfois. Sujets qui seront traités ensuite par les élèves lors de travaux en groupe. La clé de voûte du choix de cette organisation pédagogique : apprendre à supporter l’autre, à travailler à plusieurs, ne pas faire de copier-coller c’est à dire pouvoir restituer son savoir en changeant de supports, éviter « l’effet wikipédia » : faire une bd, une saynette, des diapos, une exposition . L’optique de la présentation, de la distorsion, la méthode naturelle, le tâtonnement permettent d’apprendre plus que les simples contenus. Travail de groupe fait peur au prof : la classe s’agite, ça fait du bruit. Plein de chantiers en même temps, plein de sujets à préparer, donner le choix, la liberté aux élèves.. ce n’est pas simple. Mais pour les convaincus, toutes les compétences transversales peuvent ainsi être abordées et les élèves effectuent un transfert des apprentissages, ils deviennent plus autonomes pour la suite.
Sont abordés également les difficultés du métier, le fait d’être seul dans sa discipline, confronté à des soucis, les problèmes liés aux collègues, la notation, l’institution « conseil de classe » qui n’a rien de coopératif… Comment innover, ajouter des choses, réfléchir tout en assurant ses heures d’enseignements ? On se prend même à rêver de briser le fonctionnement actuel du collège…
Au moment de la synthèse, Nicolas Go revient sur cette préoccupation, forts de ces 80 ans d’histoire, des consensus, comment faire à présent pour aller plus loin? Il propose aux participants de toujours mettre en chantier leurs propres pratiques, les interroger pour les faire évoluer.
TABLE RONDE :
Avec Sylvain Grandserre il va s’agir de « Repenser l’école », mais pas de la façon du gouvernement. La table ronde est dédiée à « ceux qui résistent ». Aussi en préambule deux interventions ont lieu, l’une du collectif de soutien à Sami Benméziane pour évoquer les suites du procès du 23/02. Ce collègue enseignant va faire appel de sa condamnation pour rébellion. La crainte est grande que le trésor public se retourne contre lui pour le paiement des jours d’ITT du policier blessé au doigt lors de l’évacuation de l’inspection académique en juin dernier. Cela représente des sommes importantes et un appel à solidarité est toujours lancé pour pourvoir aux frais à venir. La seconde prise de parole est axée sur les menaces pesant sur la formation suite aux récentes déclarations du Ministre. C’était la pire des solutions envisageables qui a été annoncée : la confusion est totale pour l’année prochaine avec le maintien des concours et la mise en place des masters.
« comment repenser l’école d’aujourd’hui? », « comment les réformes en cours ne permettent pas de repenser l’école ?»
Sylvain Grandserre saisit la balle au vol et se permet de jouer sur les mots : il s’agit pour lui de la repenser et re-panser, « allo maman bobo, darcos comment tu m’as fait j’suis pas beau » : l’école a mal au corps enseignant. Puisque certains se posent la question, avant d’y répondre, faut-il la repenser? On a déjà des vieilles recettes, il suffirait de se référer à un âge d’or (contrairement à ce que démontre les études, les recherches universitaires…) et appliquer des méthodes soit-disant bien connues et infaillibles. Après tout c’est ce que préconise un désobéisseur bien connu, Marc Lebris, décoré de l’ordre national du mérité, alors même qu’il a revendiqué de refuser d’appliquer les programmes de 2002, la mise en place des cycles etc.
Finalement c’est plus à la seconde question que Sylvain Grandserre s’attachera, essayant de montrer la direction prise aujourd’hui, « prétendument au nom du bon sens ». Dans son propos, il définit différentes composantes interagissant avec l’école, toutes en mutation complète.
La société de consommation voire de sur-consommation : dans un monde où le principe général est la satisfaction immédiate des désirs, tout s’accélère. L’organisation de la société est basée sur la satisfaction du caprice. Alors qu’on demande aux enfants d’apprendre la frustration, de différer leurs envies, l’immédiate satisfaction possible de nos désirs est érigée en principe de fonctionnement pour les adultes. Au sein de la société, l’institution scolaire est selon Sylvain Grandserre obsédée par deux choses: le moindre coût, et il rappelle que l’économie réalisée par la suppression des 13 500 postes n’équivaut qu’à un demi milliard par an et liquider mai 68. Afin de qualifier la démarche du Ministère qui gouverne l’institution scolaire, Sylvain Grandserre convoque deux images : selon lui, on y est inspiré par Bartabas et Zingaro son cheval à qui il avait appris le galop à reculons. Le ministère s’agite, se cabre, et finalement recule. Il essaie de faire passer des logiques absurdes : avec moins de temps (suppression du samedi matin), on va travailler mieux ou ce qui est bon, c’est de supprimer la formation, contrairement à n’importe quel corps de métier. La deuxième image tutélaire, c’est celle de Karl Lagerfeld : « Darcos prend des mesures pour faire de l’habillage ». Donner un habillage pédagogique à des mesures comptables. Ainsi il témoigne de la mise en place des évaluations CM2 : « on nous a demandé de mettre en échec des élèves », « d’évaluer sur des compétences non travaillées en classe ».
Les parents : eux aussi en complète mutation. Ils ne sont plus les mêmes qu’il y a quelques années, et subissent un monde du travail extrêmement difficile. Aujourd’hui les parents sont pressurés et deviennent des consommateurs d’école. Ils s’inscrivent dans une démarche où intervient un rapport de rendement, de retour sur investissement. Autrefois des tas de gens rataient l’école et réussissaient dans la vie, aujourd’hui beaucoup de gens diplômés ne trouvent aucun débouché, même si le diplôme semble encore le meilleur atout pour réussir. Tout cela pèse sur le climat de classe, d’école.
Les collègues, les enseignants : autrefois être instituteur, c’était une promotion, travailler sans se salir les mains. Aujourd’hui, les conséquences sociologiques du recrutement à bac +5 émergent. Pour Sylvain Grandserre, il y a danger d’homogénéisation, il n’est pas bon de cultiver uniquement au sein de l’institution un profil de personnels de condition sociale élevée qui au contact d’autres tranches de la société va subir une rencontre de troisième type. Comment permettre dans ces conditions de se rencontrer, se comprendre? Le corps enseignant qui se féminise : est-ce bon signe? Rarement, et souvent c’est porteur de sens, ça veut dire des choses en particulier que les hommes n’en veulent pas… laissent la place. Métier de la femme? Est-ce un salaire d’appoint dans le couple? Un métier second, qu’on fait à côté. La vision sous cet angle risque de se développer. Sylvain Grandserre constate que les écoles se vident de leurs enseignantes, jeunes collègues et jeunes mères, à 4 heures et demi, quelles incidences sur la vie de l’école? Sylvain Grandserre se défie aussi d’un désenchantement généralisé, selon lui c’est un discours dangereux, il est parfois important de « zoomer arrière » pour regarder le système de plus haut. Mais il pointe la dépolitisation d’un corps professoral moins inscrit politiquement, syndicalement. Or la « pédagogie in vitro » selon lui, ça n’existe pas. La pédagogie ne peut pas tout, une action à l’externe est aussi indispensable, c’est aussi le prix à payer, il faudrait le concevoir comme conquête sociale.
Les enfants, ces acteurs les plus importants du système éducatif évoluent également : ils vivent dans l’un des pays les plus riches du monde, naissent dans ce monde de satisfaction immédiate des désirs, ils sont, quand tout se passe bien le fruit d’un projet. Ce sont aujourd’hui des enfants choisis, mais la somme de désirs investis sur leurs frêles épaules peut être difficile à porter. De nos jours, les enfants sont perçus comme des merveilles uniques, cela se traduit jusqu’au choix du prénom qui doit illustrer la singularité, alors qu’autre fois le prénom choisi situait l’enfant dans une lignée. Les projections parentales sont une pression qui se ressent jusque dans le système scolaire, aujourd’hui les gens ne supportent plus l’échec scolaire et l’on constate que moins il y a de l’échec, moins on le supporte. Dans les années 60, seule la moitié d’une classe d’âge accédait au collège et le terme d’échec scolaire n’existait pas. Les enfants et adolescents ont une hygiène de vie qui doit nous questionner : un récent bulletin de santé des élèves de 3ème montre que ces jeunes adolescents ont une consommation d’alcool et de tabac à la hausse, 40% des collégiens ne prendraient pas de petit déjeuner le matin, leur temps de sommeil diminue et la somnolence en classe est un vrai problème (ainsi 1/3 des élèves de 6ème se couche après 22h. et plus du quart des élèves de 3ème après minuit), les écrans occupent trois heures par jour de nos jeunes ce qui représente 40 % du temps de leurs loisirs.
Et le système scolaire dans tout ça? Il avance, il progresse, mais si cela semble lent, il avance mais les avancées semble subies. Sylvain Grandserre dénonce le manque d’éducateurs quand on prône aujourd’hui un retour à l’instruction. Il est urgent pour lui d’avoir l’ambition d’agir sur l’Education. Les différents acteurs du système sont en mutation, or Sylvain Grandserre rappelle qu’il n’y a pas d’éducation sans frustration, c’est une évidence. Dans ce contexte la pédagogie Freinet est bien une pédagogie du travail, finalement « c’est l’une des pédagogies qui a le plus réfléchi au maintien de l’ordre ». Les ceintures de comportement en sont un exemple. Filant la métaphore Sylvain Grandserre constate « qu’ il n’y a rien de plus rigoureux que la souplesse », il est beaucoup plus facile de faire un cours frontal, cela nécessite nettement moins de préparation que de s’ajuster sans cesse et de chercher les dispositifs qui mettront vraiment les enfants au travail.
Alors qu’on lui demande de citer ce qui lui semble positif dans le système actuel, Sylvain Grandserre s’appuie sur 4 expériences dont il faut tirer parti, l’école de Mons-en-Baroeul et la recherche de l’Université Lille 3, l’école Ballard de Montpellier où enseigne Sylvain Connac, le collège Clisthène de Bordeaux qui a obtenu les meilleurs résultats au brevet en Gironde et il se réfère au livre de Luc Cédelle Un plaisir de collège, enfin les résultats de la Finlande dont le système n’a pas que des qualités, mais dont il est intéressant de constater qu’il favorise les pédagogies actives et les regards positifs sur l’élève. Citant Philippe Meirieu qui affirme « en pédagogie on est revenu de tout sans y être allé », il remarque qu’il ne faut pas se laisser décourager, ne pas céder à l’abandon devant la difficulté : « le premier travail de groupe, c’est toujours le bazar ! ; le premier exposé est toujours nul, c’est normal il faut le dire! » Mais il ne faut pas s’arrêter sur le constat et « revenir aux vieilles valeurs », cent fois sur le métier tu remettras ton ouvrage… Les adversaires des pédagogies nouvelles sont dans la logique du don : on est doué ou non pour la profession, Sylvain Grandserre revendique le fait que la pédagogie nécessite des ajustements, qu’il n’y a rien de spontané. « Il faudra toujours renouveler, trouver des solutions, ne pas avoir peur de chercher, tout est possible, il faut toujours essayer… »
Finalement Sylvain Grandserre aura dans cette « tribune libre » en lieu et place de table ronde, plus dressé des constats sur où en est l’école d’aujourd’hui et les contradictions avec lesquelles elle est en prise que proposé des pistes à creuser. Mais il fallait garder de la matière pour continuer de creuser le sujet en atelier…
TABLE RONDE : Hubert Montagner et la FCPE
Plaidoyer pour un « éco-système »
Avant sa conférence qui se tenait le soir-même à l’Hôtel de Région, Hubert Montagner rencontrait en « petit comité » des élus FCPE, quelques formateurs, un élu, un enseignant-chercheur. Autour de la question de la prise en compte des rythmes de vie l’enfant dans les structures scolaires, Hubert Montagner a développé sa conception d’un « éco-système » à inventer pour coller au plus près des besoins des plus petits. C’est en effet surtout des enfants entre la crèche et l’école maternelle dont il a été question lors de cet atelier, alors que la FCPE proposait de réfléchir sur la question large de « la prise en charge du temps des enfants dans la société », « plutôt que changer l’école, comment changer la prise en charge du temps des parents, du temps des enfants, au sein même de la société ?» s’interrogeait la présidente FCPE 44.
Avec un franc-parler Hubert Montagner déplore un manque de réflexion sérieuse sur les finalités de l’école maternelle, selon lui il est étonnant que toutes les associations qui se battent pour les élèves n’aient pas fait une analyse politique suffisante. Pour lui, il faut mettre en regard la disparition des maternités (qui génère des problèmes pour les accouchements et suites de naissances), l’annonce de volonté de réduction du congé de maternité corrélée à la reprise du travail de la Garde des Seaux quelques 5 jours après la naissance de son enfant, le discours qualifié « d’obscène » sur la maternelle par le Ministre avec l’épisode « couches » et la perception actuelle des structures d’accueil de la petite enfance. Ainsi il évoque le rapport Papon et la création des jardins d’éveil, un sujet « lancé en pâture à l’opinion publique », alors que rien n’est vraiment élaboré, le mot est lancé et l’on risque très prochainement de considérer les jardins d’éveil comme de vraies structures d’accueil au détriment de l’école et de la crèche.
Il aurait fallu donc une « réflexion sérieuse, conséquente » : une école maternelle, pour quoi faire? , avec quels moyens? , pour quelles familles? Hubert Montagner regrette vraiment qu’elle n’ait eu lieu, c’est selon lui un travail qu’il est urgent de faire mais dont le Ministère n’a pas l’air de se saisir.
Hubert Montagner s’interroge sur la formation, les compétences professionnelles nécessaires, il constate que la formation des éducateurs de jeunes enfants est bien meilleure que le faible nombre d’heures consacrées à la question en IUFM.
Enfin son intervention se situera essentiellement pour l’heure à la description d’une expérience de création de « maison de la petite enfance » à Pau, une crèche-école enfantine pour les enfants de 2 à 4 ans. Dans la conception de cet « éco-système » ont peut également accueillir des enfants de moyenne et grandes sections fragilisés dans leurs apprentissages et nécessitant de travailler en touts petits groupes. Les enfants « scolarisés » dans ce type de structure rejoindraient ensuite une « école première » (et non plus « maternelle ») avant d’accéder au CP qui serait une classe charnière, une plaque tournante avant le parcours en école élémentaire.
Penser un « éco-système »
Le système doit être pluridisciplinaire : faire travailler ensemble les professionnels issus de la petite enfance et de l’Education Nationale. Les espaces y seront diversifiés et vastes pour que tous les aspects du développement de l’enfant soient couverts. Avoir des lieux spécifiques d’alimentation dans lequel on puisse faire de l’éducation à l’alimentation, des lieux spécifiques pour respecter le sommeil des enfants ( deux lieux pour courts et longs dormeurs), des lieux spécifiques pour les soins d’hygiène.
Chaque enfant doit pouvoir y être accueilli dans la continuité de la sécurité affective de la structure familiale, cette sécurité affective étant le moteur du développement de l’enfant. Les professionnels doivent s’attacher à permettre à l’enfant de se mettre en position de personne, et ce sens, veiller à une libération du langage oral, le langage doit d’ailleurs être considéré sur le point de vue émotionnel. Pour illustrer son propos Hubert Montagner évoque les enfants installés dans la sécurité affective qui posent des questions pendant la lecture d’une histoire sur les sentiments ressentis par les personnages, alors que les enfants insécure posent rarement ou pas de questions comme par peur de partager leurs émotions.
Ce type de lieux doit être gratuit et assurer les besoins fondamentaux primaires : installation dans la sécurité affective, aménager l’espace pour que les enfants puissent se structurer dans leur corps et qu’ils puissent vivre des expériences leur permettant d’acquérir « l’alliance du corps et de la pensée » :ainsi par exemple, que les enfants puisent maîtriser des concepts de base : au-dessus, en dessous, et tout concepts topologiques par le vécu corporel. Les enfants doivent pouvoir également y développer leur système sensoriel et par exemple pouvoir expérimenter sur la question des couleurs : qu’est ce que sont les couleurs? Tout résulte du mélange par deux des couleurs fondamentales. Hubert Montagner estime fondamental de découvrir dès le plus jeune âge ces propriétés physiques de la matière qui permettent aux enfants d’apprendre qu’une couleur n’est jamais complètement déterminée et qu’il y a des nuances. Acquérir un prisme et décomposer la lumière naturelle devrait être un réflexe de professionnel de la petite enfance.
Afin que les enfants puissent se réaliser dans leur dimension sociale il convient de favoriser les interactions. Hubert Montagner pense qu’avec une mezzanine on développe des interactions entre petits enfants dès l’âge de 2 ans et que dispositif permet de construire « l’alliance du corps et de la pensée dans toutes les dimensions de l’espace ». Entre 2 et 4 ans, il faut que grâce à un choix approprié de dispositifs, les enfants découvrent les processus cognitifs cachés. Il faut définir les finalités en pensant aux enfants, en se disant que tous les enfants ont des compétences cachées qu’ils ne montrent pas pour des raisons diverses et qu’il faut leur permettre d’utiliser leur imaginaire pour créer. Ainsi dans la réflexion sur la mise en oeuvre, l’aménagement de l’espace, il faut questionner nos pratiques où on pré-formate pour les enfants des espaces définis (les fameux « coins » en maternelle), il serait plus bénéfique par exemple de donner aux enfants des briques de mousse et de les laisser construire leur maison. Aujourd’hui la plupart du temps en maternelle, les coins, les parcours de motricité sont déjà construits et pensés uniquement par l’enseignant en fonction de ses objectifs. Hubert Montagner se réclame d’une conception où l’enseignant doit être « un ferment et non le guide. » tout en se gardant de généraliser et de condamner absolument tous les enseignants et leurs pratiques.
Il se pose donc la question de comment construire aujourd’hui un vrai projet qui permette de définir les finalités de l’école maternelle, un projet qui fasse évoluer les choses.
Que faut-il comme structures d’accueil de la petite enfance? Ce n’est pas qu’une question de garde, ni qu’une question d’apprentissages… Il faut veiller à un triple aspect des choses : favoriser des stratégies relationnelles, penser l’aménagement du temps et l’aménagement des espaces. Il serait faux de croire qu’il suffit de cloisonner l’espace pour que le cerveau se développe. Le développement du cerveau ne peut se faire que dans des espaces libres. Les enseignants doivent se fabriquer des boites à outils de façon à ce que les enfants puissent agir, investir toutes les dimensions de l’espace. En vue de les contrôler, l’enfant doit pouvoir dans un premier temps libérer ses émotions, qui sont au nombre de 6 : la joie, la tristesse, la peur, la colère, la surprise et le dégoût. Il faut pour cela admettre que l’enfant puisse consolider un attachement sécurisant avec sa maîtresse, or il convient de distinguer pour le professionnel compétence pédagogique et compétence relationnelle, cette dernière étant celle requise pour les stratégies relationnelles.
Pour l’heure, comment procéder?
L’urgence est de sauver l’école maternelle en expliquant son extrême importance, même si rien n’est définitif. On peut ensuite se poser la question des volumes horaires, quel temps faut-il? Le Ministère a toujours entretenu la confusion entre le temps des enfants et temps des enseignants , le pire des exemple en ayant été la mise en place de l’aide personnalisée aux pires moments de la journée. Pour Hubert Montagner, il conviendrait de d’une part, diminuer le temps de la journée scolaire, d’autre part la diminuer en fonction de l’âge des enfants, mais c’est selon lui une question qui a toujours été occultée, alors qu’il conviendrait d’être « ferme sur les intérêts des enfants. »
Comment se fait-il que le temps du sujet apprenant soit passé à la trappe du temps social et du temps des adultes?
Il convient de repenser l’école dans ses facteurs humains et non strictement pédagogiques, mais ce ne semble pas être au goût du jour quand on constate que l’essentiel des travaux d’Hubert Montagner n’ont plus leur place dans les référentiels de compétences des enseignants. C’est l’organisation d’un grand séminaire sur toutes ces questions que souhaiterait Hubert Montagner, lui qui dit ne pas s’inscrire dans les systèmes institutionnels, et avoir eu des désaccords avec les tenants de l’école moderne et les syndicats.
« Oui mais, après le séminaire, on fait quoi? » C’est la question posée plusieurs fois par Jean Le Gal, fervent défenseur des droits de l’enfant, le besoin de concrétiser les choses reste en suspens…
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