Par François Jarraud
« Le dictionnaire n’est pas un glossaire agréé par l’Éducation nationale. D’ailleurs, il est dégagé de toute obédience ou obéissance ». Proviseur mais aussi grand innovateur du système éducatif, Gilbert Longhi est miuex placé que beaucoup d’autres pour donner un coup de projecteur sur le système éducatif, ses espoirs, ses difficultés, ses combats. C’est ce qu’il nous propose à travers un « Dictionnaire de l’Education » qui s’avère beaucoup plus qu’un recueil de formules froides. Un ouvrage vivement recommandé par le Café !
Le Dictionnaire de l’éducation c’est un gros ouvrage (670 pages, plus de 600 mots). Vous le destinez aux enseignants, aux parents, aux jeunes ?
L’utilisateur du dictionnaire sera aussi bien un délégué d’élèves souhaitant vérifier ce que l’on entend par le mot « Discipline », qu’un Inspecteur d’académie peaufinant un discours auquel il voudrait donner une teneur moins convenu qu’à l’accoutumé, par exemple en s’inspirant de l’article « Rentrée ». En 2009, prés de quinze millions de jeunes sont en formation de l’école maternelle à l’université en passant par les centres pour apprentis. Trois millions de professionnels (du public, du privé et des collectivités locales) les instruisent, les accueillent, les administrent et les prennent diversement en charge. Dans l’enseignement, l’éducation spécialisée, le travail social ou l’animation socioculturelle, chaque année 260 000 candidats passent des concours de recrutement ou des entretiens d’embauche qui comportent systématiquement (ou optionnellement) des questions sur l’école. Il faut ajouter à cette masse de professionnels, les membres d’associations de parents, les responsables de dispositifs périscolaires, les intervenants de structures d’aide aux devoirs et aussi les élus locaux et leurs collaborateurs qui veulent connaître le sens des mots parfois étranges qu’ils entendent ou qu’ils lisent en s’intéressant aux questions scolaires.
Vous avez une longue expérience de proviseur. En quoi a-t-elle pu vous aider pour ce dictionnaire ? Vous a-t-elle permis d’éclairer des thèmes précis ?
Je me suis situé avant tout comme lexicologue, mais ma position de proviseur a influencé la conception et la confection du dictionnaire en m’offrant une réalité très vivante. Dans un établissement scolaire on reçoit de plein fouet le fourmillement des mots lancés par les bureaucrates, les hiérarques, les technocrates, les politiciens et autres experts autoproclamés de l’école. Durant plus de dix ans, l’inventaire de cette profusion langagière a constitué le substrat du dictionnaire. Il s’agissait de procéder à un recensement méthodique de la fréquence d’utilisation des termes (à l’oral et à l’écrit) parmi les innombrables locuteurs prégnants, du plus haut de l’échelle (dans les services du ministère), au plus près du terrain (dans les salles de profs et les conseils de classe par exemple). In vivo, dans l’institution, un lexicologue peut repérer de la dérive du sens, les biais sémantiques, l’obsolescence des vocables, l’apparition des néologismes, la dictature des termes politiquement corrects et même des locutions qui feront fortune dans le futur.
On trouve trace de cette expérience dans des articles inattendus. Par exemple celui sur la « machine à café » comme révélateur de l’Ecole. D’autres articles vont encore plus loin. Je pense à ce que vous écrivez sur l’élève ou la liberté.
Le dictionnaire n’est pas un glossaire agréé par l’Éducation nationale. Ce n’est pas un recueil de mots labellisés par le ministère. D’ailleurs, il est dégagé de toute observance, obédience ou obéissance. C’est pour la garantir cette indépendance qu’il est publié chez un éditeur spécifique (Vuibert) qui ne l’a pas inscrit dans une logique de collection contrainte par une ligne rédactionnelle contrôlée pour des raisons mercantiles, militantes ou doctrinales. En revanche, les mots traités sont pris dans leur contexte et les auteurs des définitions restent pris dans l’Histoire. Leur intégrité de chercheurs et d’universitaires n’est pas en cause ; leur rigueur méthodologique est certes garantie ; néanmoins, leur renvoi à un état conjoncturel du débat sur l’école est inévitable, constituant en l’occurrence la prise directe du dictionnaire avec l’authenticité des acceptions retenues. Il n’y a pas de propriété privée de la signification des mots, en conséquence, les auteurs du dictionnaire se sont bien gardés de s’approprier le vocabulaire de l’éducation et pour donner un seul son de cloche.
Peut-on dire qu’au-delà de son rôle d’information le Dictionnaire peut aussi faire évoluer l’Ecole ?
Le futur nécessaire de l’école se trouve dans son évolution. Cependant, les choses sont plus fortes que les mots. Le dictionnaire n’a pas vocation à devenir un vade-mecum à l’usage des réformateurs ou des révolutionnaires. Les termes que nous définissons appartiennent à ceux qui s’en servent déjà pour prévoir leur action et en rendre compte dans le système éducatif. En revanche, un dictionnaire permet à chacun de s’interroger sur le sens de ce qu’il fait, de ce qu’il dit, de ce qu’il pense, de ce qu’il croit et d’être plus au clair (seul ou collectivement). Les significations que décompose le dictionnaire, (parfois sans parvenir à trancher dans le charabia propre à certains thèmes), n’est qu’un recensement, raisonné et imagé du vocabulaire en usage dans le système éducatif et sa périphérie (enseignement, pédagogie, didactique, formation, instruction, éducation…). J’insiste sur le terme « imagé ». Tous les mots sont adossés à des exemples concrets, à la vie effective des établissements, à l’organisation de la classe et au-delà (je pense à l’article sur la machine à café…).
Vous êtes militant pédagogique. Cela vous a-t-il aidé à présenter les courants pédagogiques ?
Le dictionnaire n’est pas l’émanation d’un courant pédagogique. Du reste, il n’est pas conçu comme un répertoire exhaustif des doctrines ou des mouvements éducatifs. Il est consacré à toutes les composantes du système scolaire très au-delà de l’enseignement ou de la pédagogie stricto sensu. Ainsi, les auteurs ont pu épingler l’éducation active et notamment son dévoiement éventuel dans le pédagogisme. Leur liberté de chercheur les a même conduits à égratigner l’icône Célestin Freinet pour son indulgence envers les maîtres qui (jadis) transformaient les élèves gauchers en droitiers. À l’opposé, le dictionnaire dénombre sans complaisance les inepties du négativisme pédagogique et les déficiences de ses partisans (dits républicains) prônant une soi-disant priorité du savoir corrélée à une forme de cruauté éducative car il s’agit pour eux de promouvoir systématiquement une tératologie des apprentissages interdisant la dynamique du collectif et la réalité de l’affectif.
Il y a bien longtemps le militant républicain qu’était Pierre Larousse avait utilisé son « Dictionnaire universel » pour régler quelques comptes (par exemple dans l’article Bonaparte). Pensez-vous avoir succombé à la même tentation dans ce dictionnaire (je pense à l’article Finkielkraut ou à celui sur le constructivisme).
Tout dictionnaire est daté car il procède de son époque donc d’un état de la réflexion dans une société donnée. Ce truisme incontestable doit être accentué lorsqu’on l’applique à un ouvrage thématique consacré au monde de l’instruction et de l’éducation en France étant donné que les questions relatives à l’école génèrent consubstantiellement des querelles dont quelques unes confinent à la fracture sociale voire à la haine de classes. Dans le traitement des noms propres, ce genre d’atmosphère transparaît plus clairement que pour les noms communs. D’ailleurs, l’équipe de rédaction a fait le choix de rédiger les articles consacrés aux patronymes comme une synthèse des polémiques associées aux personnages concernés dont certains ne rentreront pas dans l’Histoire, bien qu’ils s’appliquent aujourd’hui à tenter d’écrire celle de l’école. De ce point de vue, le dictionnaire ironise sur plusieurs apparatchiks dont l’apport à la pensée éducative est moins significatif que leur position sur le marché de l’édition et des médias. Le dictionnaire range Alain Finkielkraut parmi eux, non par méchanceté mais par méthode. L’avenir dira s’il s’agissait d’un parti pris.
Chaque métier a son jargon. La particularité de l’Ecole c’est que c’est un métier mais aussi une institution utilisée par tous les Français. A t elle besoin de vocabulaire propre ou doit elle pour mieux communiquer l’abandonner ?
Le dictionnaire n’est pas une entreprise populiste qui proposerait un appauvrissement du vocabulaire pour que tout un chacun ait l’illusion de comprendre l’école comme par enchantement à travers des slogans ou des idées simplettes. Il s’agit de définir des mots dont le sens est parfois imprécis ou qui sont utilisés de manière contradictoires et ambiguë. En définitive, le dictionnaire ne suggère jamais de se priver de la complexité au profit d’un lexique officiel (orthodoxe). Mieux communiquer dans l’école et sur l’école, c’est accepter la profusion des notions et des vocables qui prétendent en rendre compte à hue et à dia. En la circonstance, beaucoup trop de commentateurs réussissent mieux à s’écouter qu’à se faire entendre et peu nombreux sont ceux qui précisent quels sens ils donnent aux mots qu’ils utilisent (éducation, lire, analyser, moyen, apprentissage, niveau, punition, note…) Les auteurs du dictionnaire ont décortiqué ce charivari et tous ces discours péremptoires. Ils ont vérifié les occurrences des termes, la fiabilité des acceptions et en ont extrait les définitions (en commençant par les rédacteurs des innombrables rapports, revues et circulaires du Ministère). D’ailleurs on y perd son latin. Pour l’anecdote, prenons le mot « élève ». Il désigne tout individu suivant une scolarité de l’école maternelle aux grandes écoles. Parfois il est remplacé par le mot « apprenant », mais aussi par « enseigné » (les rapports enseignants enseignés). Pour compliquer un peu, il est aussi utilisé comme synonyme de « écolier », « collégien » et « lycéen ». Enfin, un « élève » n’est pas un « étudiant » puisque ce dernier est titulaire du Baccalauréat et poursuit un cursus dans le supérieur. Néanmoins, l’usage appelle encore « élèves » les étudiants des classes préparatoires et des sections de techniciens supérieurs.
Gilbert Longhi
Entretien : François Jarraud
Gilbert Longhi, Dictionnaire de l’éducation, Pour mieux connaître le système éducatif, Vuibert, 2009, 670 pages.
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