Propos recueillis par
Christel FOURNIER
Antoine Legrand est un jeune
professeur des écoles motivé et – fils
d’enseignants – lucide sur les difficultés du
métier. C’est donc en toute connaissance de cause qu’il a
choisi ce « sacerdoce » il y a 4
ans.
Remplaçant
de secteur dans la région parisienne, il a pour l’instant
une classe de petit-grand en maternelle. Convaincu de
l’utilité de l’école maternelle, il
développe cette idée avec une collègue
(Lidwine Ferreira), dans son cahier de vie numérique, un
cahier original développé grâce au
logiciel Didapages*. La mission de ce cahier : présenter le
travail de la classe sur un support multimédia, durable et
facile d’accès ; mais aussi
défendre une certaine idée de la maternelle,
mettre en lumière l’urgence à défendre
cette école pré-élémentaire
spécifique et indispensable.
Comment vous est venue
l’idée de ce cahier de vie numérique ?
Après avoir
expérimenté la version papier du cahier de vie
« traditionnel », je n’en
étais pas satisfait. En effet, soit c’est l’ATSEM ou
l’enseignant qui le fait, et ce n’est plus le cahier des enfants, soit
les enfants font tout de A à Z et il a une durée
de vie très limitée… Cela pose aussi
la question de la valeur que les enfants lui accordent.
Pour moi
l’intérêt principal du cahier de vie c’est
d’être un support de langage. Or il passe
finalement peu de temps dans les familles. Avec le cahier de vie
numérique, tout le monde, des parents aux mamies peut le
consulter, d’où il veut, quand il le veut, pas besoin de le
trimbaler, il suffit d’un accès internet.
Justement, et ceux qui n’ont
pas d’accès Internet, comment font-ils ?
Nous y avons
réfléchi, c’est un des problèmes qui
s’est posé. Le projet est né en
même temps que la volonté communale de raccorder
l’ensemble des foyers à l’ADSL. Internet
s’étant démocratisé, il reste peu de
personnes qui n’ont pas accès à un ordinateur
connecté. Cependant, je propose aux parents qui n’ont pas
d’ordinateur de venir le matin pendant l’accueil, consulter avec leur
enfant le cahier numérique sur l’ordinateur de la
classe.
En fin d’année
comme on peut exporter le cahier numérique au format html,
je pense graver les cahiers sur un CD ou DVD, pour que les enfants
gardent une trace de ce qu’ils ont fait.
Quel retour peuvent avoir les
parents sur ce cahier de vie, que vous en disent-ils ?
Ils sont très
contents de cet outil. Au départ, je pensais installer une
sorte de forum, où les parents pourraient réagir
et participer, mais c’est difficilement gérable.
Il faut que je puisse garder un contrôle sur le contenu du
site.
Le cahier de vie a deux
niveaux de lecture : pour les enfants, grâce aux sons et aux
images, il n’y a pas besoin d’être lecteur pour utiliser le
cahier. Pour les parents, en bas de page on peut trouver un M (pour
maître) qui permet, en le survolant avec la souris,
d’accéder à un texte à
l’attention des adultes. J’y explicite le travail que l’on
fait, et présente les objectifs pédagogiques.
J’ai déjà intégré des
petits jeux, j’envisage aussi de créer un cahier
d’exercices (rodés en classe) que les enfants pourraient
refaire avec leurs parents.
Pour les petits, je conserve
un cahier papier, pour qu’il reste un objet palpable de ce qui est fait
en classe, les petits en ont encore besoin.
Qui décide de ce
qu’il y aura dans ce cahier numérique ?
Au début,
c’était moi, ça restait assez abstrait pour les
élèves. Je sélectionne tout ce qui me
paraît être propice au langage
d’évocation. Je ne m’impose pas de rubrique
définitive, à chaque période je
renouvelle le contenu en fonction de ce que l’on a fait.
Au bout de deux
éditions du cahier, les élèves ont
bien compris le fonctionnement. Pour l’édition de
janvier/février, à l’issue des 15
séances de piscine, ils ont souhaité que leurs
dessins sur ce sujet figurent dans le cahier.
Ils aiment se voir en couleur
sur les pages du site et parler de leur travail, c’est un formidable
vecteur de langage. En fin d’année
j’aimerais qu’ils aient acquis les
compétences pour scanner des documents, se prendre en photo,
s’enregistrer. On pose les jalons du B2I. Pour des
élèves de cycle 2 ou 3 on pourrait envisager de
les faire concevoir eux même leur cahier, le logiciel
Didapages est vraiment facile à utiliser.
Quel retour avez-vous eu de
l’administration académique, et des collègues ?
Au début du
projet, j’ai travaillé avec le relais TICE de ma
circonscription, pour savoir comment faire un site
d’école. Le site est hébergé
sur le serveur de l’inspection académique,
l’inspectrice est responsable d’édition, mais elle
n’intervient pas sur le contenu. Les retours après la mise
en ligne ont été très favorables,
vraiment enthousiasmants. Du côté des
collègues, peu de vocations se sont
déclarées, on verra après cet article
! Il faut dire qu’avec ce cahier numérique non seulement on
a une charge de travail supplémentaire, mais en plus on se
met à nu, car on parle de sa pratique. Je trouve cela
motivant de pouvoir partager et échanger sur ce que
l’on fait en classe. Et puis surtout j’ai la
possibilité d’expliquer pourquoi et comment nous
travaillons avec les enfants.
Est-il difficile à
un enseignant motivé de se lancer dans l’aventure ?
Pas du tout, il suffit de
savoir utiliser l’explorateur de son ordinateur et avoir deux
trois notions de traitement d’images. Le concepteur du
logiciel a prévu un dictaticiel qui, en 2 heures, vous
permet de créer votre premier cahier. Il n’y a pas besoin
d’un ordinateur très puissant, le logiciel n’est pas
très gourmand. On peut aussi, sans se lancer dans la gestion
un site Internet, utiliser le cahier sur l’ordinateur de la
classe, en toute confidentialité.
Donc, grâce
à ce projet, vous être un enseignant heureux ?
Cela enrichi le travail fait
en classe et lui donne une visibilité auprès des
familles qu’il n’avait pas avant. Je le
considère aussi comme une tribune pour expliquer la valeur
du travail effectué par les enfants et la richesse des
enseignements de maternelle. Les enfants de maternelle parlent peu de
leur journée d’école,
j’estimais nécessaire d’informer les
parents. Ce cahier est un peu l’ambassadeur de
l’école, il rassemble les familles autour du temps
scolaire et donne du sens aux apprentissages.
Je reconnais que ce cahier me
prend beaucoup de temps, mais il y a un réel retour sur
investissement. Pour moi la liberté c’est d’avoir le choix,
cette pratique me permet de fabriquer des outils sur mesure, on
n’a plus alors comme limite que sa propre imagination…
*Didapages –
http://www.fruitsdusavoir.org