Par Adeline Sontot-Buisson
Le français, enjeu social, trésor culturel
Dans le cadre du plan d’action Le français, une priorité à l’école, un devoir de société, lancé en février 2008 au Québec, la revue Vie Pédagogique propose dans son numéro de décembre un dossier sur l’enseignement du français. L’angle d’attaque est le suivant : comment participer à la valorisation de la langue ?
Il faut garder à l’esprit que cet article concerne et s’adresse aux membres du système éducatif québecquois. Je vous passerai donc les détails de la mise en place, pour la prochain rentrée, de l’enseignement intitulé Ethique et culture religieuse qui n’est – pas encore – à l’ordre du jour dans nos propres programmes. En revanche, les réflexions sur l’apprentissage de la langue et les distorsions culturelles entre élèves et enseignants peuvent intéresser.
La langue française, bastion des enseignants de Lettres ?
Le mot d’ordre qui préside à ce dossier est l’interdisciplinarité. Développer, améliorer et évaluer la langue française ne devrait pas uniquement être affaire d’enseignants de Lettres. Musique, mathématiques, sciences physiques… autant d’occasions d’enrichir le langage des élèves puisque chaque enseignant maîtrise un domaine de langage spécifique. L’idée séduit, mais concrètement ?
La langue : outil de structuration de la pensée
Une table ronde d’enseignants a mis en lumière plusieurs points de travail à méditer. Ressortent de cette enquête, notamment, le besoin de varier les situations de communication, d’établir des passerelles efficaces entre le langage institutionnel et celui des élèves, ainsi qu’une réflexion sur les registres de langue. La généralisation de l’interdisciplinarité donnerait du sens à l’école, à rendre visible le chemin d’apprentissage qu’empruntent les élèves. En bref, les enseignants de Montréal souhaitent ancrer l’école dans la réalité quotidienne des élèves, et espèrent par ce biais consolider la communication. Une fois encore, si un océan nous sépare, nos préoccupations en revanche peuvent se rejoindre.
Le problème de l’évaluation interdisciplinaire
Cette enquête met en lumière une problématique commune entre l’enseignement québecquois et la mise en place du socle commun en France. Comment mettre en place une évaluation interdisciplinaire de la langue ? Le raccourci le plus évident consiste à évaluer l’orthographe, à laquelle notre langue ne se réduit pas , peu s’en faut. Plusieurs propositions sont suggérées. En ce qui concerne les pratiques de lecture, chaque enseignant peut orienter les élèves vers des magazines spécialisés.
Norme et usage
La distorsion entre la langue des enseignants et celle des élèves grandit d’année en année. Comment établir une communication efficace en maintenant un français académique dans une salle de cours ? Si les enseignants, de lettres en particulier, demeurent les gardiens du trésor de la langue français (ceci n’est pas une marque déposée), ils doivent avant tout rester compréhensibles par tous. Des extraits d’un article de Charles-Eugène Lessard, « La norme et les registres de langue », publiés sur le site iquébec.com en 2001, éclairent le débat.
La tolérance est de mise en ce qui concerne le langage des élèves. Fautes de langue ? Non, transgression d’un registre écrit. Respect et compréhension faciliteraient les échanges et apaiseraient les heures de cours dans les établissements difficiles. M. Lessard, spécialité de la norme langagière, instaure cinq registres de langue :
– Registre standard : celui de l’école, des communications publiques ; le registre étalon qui permet de définir les autres strates de la langue ; il est conforme aux dictionnaires et aux règles de grammaire
– Registre familier : celui de l’intimité, qui comprend pléonasmes et hypocoristiques
– Registre populaire : il se caractérise par les emprunts, les régionalismes et tous les écarts autorisés par rapport à la norme (comme, par exemple, modifier le genre d’un mot). L’expression « jouzent aux cartes » entre dans cette catégorie.
– Registre argotique : propre à un groupe donné
– Registre littéraire : celui des romans et de la poésie
Cette classification étonne, déroute (litote). Rappelons toutefois que, toute francophone que soit leur langue, elle s’écarte en bien des points (notamment lexical) de notre français gaulois. N’empêche…
La conclusion de cette étude, en revanche, se rattache à notre propre système scolaire. Il n’est peut-être plus question de corriger la langue des élèves mais de leur apprendre à jouer avec les registres pour s’adapter aux diverses situations de communication. Et pour jouer, il faut connaître les règles. L’élève apprend à l’école à dire autrement ce qui lui a été inculqué depuis sa naissance. Mais là encore, quid des élèves issus de milieux étrangers qui, une fois rentrés du collège, reprennent leur langue natale ? Quid des élèves dont le niveau scolaire, même au collège, surpasse celui de leurs parents ? Ces situations préoccupent car elles créent parfois des clivages entre l’école et les familles. Autant de failles dangereuses pour des élèves susceptibles de déscolarisation.
On l’aura compris, l’écart culturel entre (certains) élèves et enseignants n’est pas proprement français. Il touche également nos confrères d’outre-Atlantique et nous avons tout à gagner de mutualiser nos réflexions. Au-delà d’un débat digne d’intérêt sur les raisons et les constats de cette distorsion qui alimentent les spécialistes en science de l’éducation, force est de constater qu’aucune solution universelle n’a été appliquée. Une fois encore, ce sont les actions isolées (d’un enseignant, d’un établissement) qui parviennt à dépasser ces obstacles. C’est ce qui s’appelle l’autonomie et l’initiative. Jugés regrettables pour certains, qui aspirent à une plus grande mutualisation et à un partage des pratiques, ils demeurent toutefois les piliers de notre chère liberté pédagogique.
Vie pédagogique, n°148, décembre 2008
http://www.mels.gouv.qc.ca/sections/viepedagogique/149/index.asp